Citations de Rachel Khan (44)
Racée, j'ai un secret intraduisible, intime, celui d'avoir la peau des autres dans la mienne, qu'ils soient visibles ou invisibles.
(p. 93 - pied de page)
Est-ce que le livre de Rokhaya Diallo peut m'être remboursé ?
Les communautaristes ont compris que la notion de minorité est un levier. Pour eux, la seule question est de savoir comment maintenir dans ce monde de mélanges une ligne de démarcation permettant de nourrir les revendications victimaires. Affirmer son appartenance à une minorité a vocation à se couper du reste de la population et d’en jouir. Si la Constitution ne permet pas le dénombrement des citoyens en fonction de caractères ethniques, qu’importe ! Certains racisés se réclament de la minorité pour se séparer d’une majorité « française » à laquelle ils fantasment ne pas appartenir. Peu importe le chiffre, la stratégie est dans la revendication, même si, à l’œil nu, le nombre de Noirs est supérieur à celui des roux34. Ce clivage est alimenté par la victimisation. Cette dernière est fondamentale pour justifier la revendication de nouveaux droits. Dès lors, se dire victime de harcèlement, de contrôle au faciès, de non-représentativité, par exemple, permet d’attirer les soutiens nécessaires pour faire entendre sa voix.
Comme beaucoup d’enfants d’immigrés, je suis Afro-européenne, bourgeon de deux continents. La déchirure des terres est certaine, mais la possibilité d’en faire quelque chose aussi. Il m’est impossible d’être Afro-descendante, de tricher, de me définir uniquement à l’aune d’une seule terre, d’une seule histoire et d’une seule culture. Il m’est impossible intellectuellement d’exclure autant de moi.
L’appauvrissement du langage, le rétrécissement du champ lexical, la diminution du vocabulaire ont un impact sur la construction d’une pensée complexe, nuancée, aux multiples subtilités. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe et plus les incompréhensions engendrent la haine. Des études ont montré que l’incapacité à mettre des mots sur les émotions provoque les pires tensions.
Comment répondre à Rokhaya Diallo quand elle explique doctement que les jeunes Noirs ne peuvent s’identifier à personne puisqu’il n’y a pas assez de Noirs à la télé ? Comment consentir à un tel affront ? Aucun de mes parents n’a la même couleur que moi, puisque l’une est très blanche et l’autre très noir. Or, c’est précisément parce que je m’identifie à eux, forts de leur dissemblance, tournés de concert vers l’avenir, que chaque jour, comme dirait Socrate, je diffère de moi-même. Comment se taire quand une pyromane simplifie le monde et lave le cerveau d’une jeunesse racée, en attente d’une parole enfin responsable ? Qu’y puis-je ? Je ne mange pas de ce pain blanc. L’homogène me dérange.
C’est susceptible, les Noires, je le sais, à cause de mon père. Sur Twitter, il fallait que je la ferme face aux indigènes et autres racistes s’autoproclamant « racisés » pour être intouchables. (p. 17-18)
(p.58)
Ce clivage est alimenté par la victimisation. Cette dernière est fondamentale pour justifier la revendication de nouveaux droits. Dès lors, se dire victime de harcèlement, de contrôle au faciès, de non représentativité, par exemple, permet d'attirer les soutiens nécessaires pour faire entendre sa voix.
Selon l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Ce texte décrète le sentiment indomptable qu’est la fraternité. Si nous avons en tant que citoyens du même pays des causes communes, une obligation morale de nous lever contre tout assaillant et un devoir à la résistance, entre nous le ciment qui créera l’unité réelle ne peut être une injonction. Des coupes du monde de foot tous les quatre ans ne suffisent pas à rendre possible l’attachement commun. Or, dans la rue, aussi infimes qu’ils soient, les comportements sont d’une violence rare contre le respect de l’intimité de chacun. Le temps que nous accordons à l’intimité se restreint. C’est pourtant la clef pour trouver le désir ultime de s’unir, de devenir « un et indivisible »
Aucune réparation n’est possible sans cette écoute, ce silence. Pourtant, la place du silence se restreint comme peau de chagrin. Sous l’influence des réseaux sociaux et autres applis, la communication est ininterrompue à l’échelle planétaire. Nous y participons désormais jour et nuit. Qu’importe l’heure universelle, c’est écran allumé, toujours prêts à dire quelque chose aux followers, que nous tentons de trouver le sommeil. Nous vivons ainsi le paradoxe d’un besoin criant d’être en relation avec les autres, tout en exigeant d’eux un peu de silence.
Ce qui prime, c'est la foire aux bons sentiments portés par des mots devenus sans vie à force de les utiliser comme des figues imposées.
Une dose d'ouverture, de modernité, de "progressisme", d'écologie et le tour est joué. Ainsi, au green painting, pour les préoccupations environnementales, correspond le black washing. De la même manière, le gay friendly a trouvé son pendant dans la race friendly.
'Diversité", "mixité", "collectif", "vivre-ensemble", les mots creux sont si légers à dire que nous les colportons sans nous en rendre compte. A ces mots vides correspondent des actes inactifs où seules les fameuses "annonces" permettent de croire qu'un discours morbide est vivant.
p. 77-78
(p. 103)
Pour les identitaires, est-e la perte du colon qui est intolérable ou celle de leur place dans les médias ? Certainement les deux. Puisque leur statut de victime est leur raison d'être, toute idée de réparation est improductive.
(p.37)
Les identitaires déchirent la nation, pour en faire une sous-France. Et c'est à cet endroit morbide de notre langue que s'opposent "Souchiens" et "Racisés".
(p.63)
L'afro-descendance s'invite dans la question des quoitas lorsque l'acteur Samuel L. Jackson s'offusque que les Noirs britanniques se mettent à jouer les rôles des Afro-Américains qui, eux, ont un passé d'esclaves. Nous atteignons des limites décentes de l'exercice.
- Je sais que tu étais cachée sous un autre nom pendant la guerre. Maman, est-ce-que tu m'as choisi un père noir pour me protéger ?
- On ne choisit pas de tomber amoureux ni d'un Noir ni d'un Blanc, ma chérie.
- OK, mais , inconsciemment, tu n'as pas choisi que je sois métisse pour éviter que la SS m'embarque, au cas où ?
- J'aime ton père plus que tout. Mais je ne veux pas qu(il vous arrive, à ton frère et à toi, la même chose qu'à moi. Donc, oui, certainement...
La réponse est sans ambiguïté. Grâce à la Gestapo, je suis noire. Wunderbar !
"il ne faut pas dire a mon père que la définition de "juif" a disparu pendant un temps. Sinon il fera des cauchemars, comme Yoram."
Quand on est petite fille de déportés et que l'on a le même sang que celui qui coulait dans les cales des bateaux d'esclaves, c'est normal de savoir courir vite. L'espèce s'adapte toujours, au cas où.
Ma mère m'a faite noire pour que je m'en sorte toujours, pour que ma cachette à moi, ce soit la couleur de ma peau. Mon père m'a faite blanche pour que je n'aie pas à prendre le bateau à fond de cale et que j'aie des papiers en règle.
Je suis une fille issue de deux histoires qui sont dans les livres. Celle d'un peuple qu'on a voulu éradiquer et celle d'un autre peuple que l'on a voulu soumettre.
Par exemple, « racisé.e » ou « afro-descendant.e » me font froid dans le dos. Il a pourtant fallu que je les avale, ces termes, au point de devenir une « femme de couleuvre » à l’écriture faussement inclusive mais si excluante, mes cher.e.s ami.e.s, qu’elle n’a trouvé comme solution pour asseoir l’égalité entre les hommes et les femmes que le point final, empêchant la discussion. De plus, cette sorte d’écriture (un cauchemar pour les dyslexiques, noirs ou non) impose paradoxalement une lecture hachée, donc coupée de nos congénères mâles, et qui nous fait passer après « E », puisque la mettre qui nous caractérise se met toujours à la fin. De la même manière, nous voici, avec de nouveau mots, soi-disant pertinents pour lutter contre les discriminations, alors qu’ils sont eux-mêmes discriminatoires. (…) Dans le contexte du dérèglement climatique, de la disparition des espaces et des espèces, il existe une autre disparition, celle de l’expression des nuances linguistiques, de l’humour, des silences, de la pluralité des univers. (p.25)