A galopar
Paco Ibañez et Rafael Alberti
Au théâtre Alcala de Madrid le 21 mai 1991
Il est des portes sur la mer que l'on ouvre avec des mots.
"Gémissant pour voir la mer
un petit marin à terre
hisse dans le vent sa plainte :
Ah ! Ma blouse marinière !
Toujours le vent la gonflait
à la vue de la jetée."
Ma chérie porte gravé
à la cambrure du pied
le nom de son adoré.
- Déchausse-toi, ma chérie,
livre tes jambes au vent,
et sur l'eau douce et glacée
laisse flotter tes souliers.
Marin à terre - 1924
Je ne veux rien savoir
Je ne veux rien savoir...
Ni de cette lumière incertaine
qui s'éloigne vague
ni de cette nue claire
aux contours de conte.
Non plus du magnolia
qui parfume encore peut-être
de sa neige insistante...
Ne pas savoir, ne pas rêver,
mais tout inventer.
-
No quiero saber nada
No quiero saber nada…
Ni de esa luz incierta
que retrocede vaga
ni de esa nube limpia
con perfiles de cuento.
Tampoco del magnolio
que quizá aún perfume
con su nieve insistente…
No saber, no soñar,
pero inventarlo todo.
Ernestina de Champourcín (1905-1999)
« Poemas del ser y del estar », 1972 / Traduction de Jeanne Marie (pp. 196-7)
Sur la terre de personne
Sur la terre de personne, dans la poussière
que foulent ceux qui vont et ce qui viennent
j'ai planté ma tente sans aide
et je regarde s'ils s'en vont comme ils reviennent.
Les uns disent que je suis de ceux qui s'en vont,
bien que je me repose encore du chemin.
D'autres «savent» que je reviens, bien que je me taise;
et ma route bien certaine, moi je n'en parle pas.
J'ai essayé de leur démontrer que là où je vais
c'est à moi, seulement à moi, pour m'y tenir.
Et à l'écoute, ils sourient parce que tous
sont les gens qui s'en vont, mais qui reviennent.
Écoutez-moi une fois : que m'importent désormais
les chemins d'ici, qui valent tant.
Parce qu'une fois j'ai marché, là je me suis arrêtée
pour me fixer dans la terre qui n'est de personne.
-
En la tierra de nadie
En la tierra de nadie, sobre el polvo
que pisan los que van y los que vienen,
he plantado mi tienda sin amparo
y contemplo si van como si vuelven.
Unos dicen que soy de los que van,
aunque estoy descansando del camino.
Otros «saben» que vuelvo, aunque me calle;
y mi ruta más cierta yo no digo.
Intenté demostrar que a donde voy
es a mí, sólo a mí, para tenerme.
Y sonríen al oír, porque ellos todos
son la gente que va, pero que vuelve.
Escuchadme una vez: ya no me importan
los caminos de aquí, que tanto valen.
Porque anduve una vez, ya me he parado
para ahincarme en la tierra que es de nadie.
Carmen Conde (1907-1996)
« En la tierra de nadie », 1962 / Traduction de Jeanne Marie (pp. 212-13)
Ange mort, réveille-toi…
– Ange mort, réveille-toi.
Où te tiens-tu ? Illumine
de ton rayon le retour.
[…]
Pour, sans que je me lamente,
creuser une rivière de lumière douce dans ma poitrine
et rendre mon âme navigable.
LES ENFANTS DE L'ESTREMADURE
Les enfants de l'Estrémadure
vont nu-pieds .
Qui leur a volé leurs souliers ?
La chaleur et le froid les blessent .
Qui a déchiré leurs effets ?
La pluie
trempe leur sommeil et leur lit .
Qui a démoli leur maison ?
Ils ignorent
le nom que portent les étoiles .
Qui donc a fermé leurs écoles ?
Les enfants de l'Estrémadure
sont sérieux .
Qui leur a dérobé leurs jeux ?
L'amante
Sous le peuplier noir, mon amour,
sous le peuplier noir, non.
Au pied du peuplier, oui,
du peuplier blanc et vert.
Feuille blanche, toi,
feuille verte, moi.
L'AUBE DE LA GIROFLÉE
16
Il est toujours une chevrette
qui se fourvoie sur le chemin
et qui tourne à un autre coin.
Toujours, aussi, un chevrier,
de porte en porte, par les rues,
qui demande : L'avez-vous vue ?
p.283
LE BON ANGE
Une année, déjà endormi,
quelqu’un d’inattendu
s’arrêta à ma fenêtre.
Lève-toi ! Et mes yeux
virent des épées et des plumes.
Derrière moi monts et mers,
nuages, becs et ailes,
les crépuscules, les aubes.
Regarde-la là-bas ! Son rêve,
suspendu au néant.
Oh désir, marbre fixe,
fixe lumière, fixes eaux
mobiles de mon âme !
Quelqu’un dit : Lève-toi !
Et me voilà dans ta demeure.