Citations de René Louis (75)
Les amours infinis ne cessent de recommencer.
"Seigneur Tristan, par Dieu le roi glorieux, c'est me faire commettre une grave faute que de m'appeler à une heure pareille !"
L'amour est insatiable et nulle raison ne le gouverne. Un geste, un regard, un soupir suffisent à le révéler. L'insouciance des amants faisait le jeu de leurs ennemis.
Chacun s'aime plus qu'autrui.
Dès que les deux jeunes gens eurent bu de ce vin, l'amour, tourment du monde, se glissa dans leurs cœurs. Avant qu'ils s'en fussent aperçu, il les courba tous deux sous son joug.
« Seigneur, vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et de mort ?
C’est de Tristan et d’Iseut la reine.
Écoutez comme à grande joie, à grand deuil ils s’aimèrent
Puis en moururent le même jour, lui par elle, elle par lui »
Ils se cherchaient comme des aveugles qui marchent à tâtons l'un vers l'autre, malheureux quand ils étaient séparés, plus malheureux encore lorsqu'ils étaient réunis devant l'horreur du premier aveu.
Il semblait à Tristan qu'une ronce vivace, aux épines aiguës, aux fleurs odorantes, poussait ses racines dans le sang de son coeur et par de forts liens enlaçait au beau corps d'Iseut son corps et toute sa pensée, et tout son désir.
Son seul espoir est de guérir du mal d'amour : il aimerait mieux mourir une bonne fois que de vivre dans la douleur tout le reste de sa vie.
Tristan avait coutume d'errer dans la forêt bretonne sous prétexte d'y poursuivre le gibier, mais, en réalité, pour y trouver la solitude propice aux rêveries et aux amoureux pensers qui le ramenaient toujours à l'Iseult aux cheveux d'or.
"belle amie ainsi est de nous ni vous sans moi ni moi sans vous"
- (..) je suis déjà demain. Le présent pour moi est sans commencement.
- Je suis celui qui peut danser dans le feu et qui désigne la flamme déjà prise par la cendre. Je puis tenir dialogue avec les cailloux, ouvrir dans la mer des maisons et des refuges, construire une hutte d'algues et faire chanter les crabes. Je suis déjà demain. Le présent pour moi est sans commencement. Je dis genoux et je vois coude. Je dis épée et je pense pluie. Je parle la langue de tous les objets. Mes loques sont mon théâtre, vos bijoux des aveugles. De mes paumes j'ai touche toutes les femmes par une seule femme. La mort me fera revivre puisque depuis toujours je deviens plusieurs. Regardez moi ne plus me voir ! Regardez !
Elle entend Tristan murmurer : les amours infinis ne cessent de recommencer.
Il arrive que l'amour et la mort soient un seul mot pour deux personnages : ainsi de Tristan et Iseut venus en ce monde pour se connaitre, se nommer et perdre l'un dans l'autre, et disparaître ensemble.
Dès la naissance de Tristan, tout est formulé, son histoire déjà écrite.
Leurs deux corps bien que rapprochés ne se touchaient pas et l’acier froid de l’épée brillait entre eux. Ils ne tardèrent pas à sombrer dans le sommeil, l’un près de l’autre, leurs deux corps étendus face à face, immobiles et beaux comme des statues.
Iseut l'aimait. Elle voulait le haïr, pourtant : ne l'avait-il pas vilement dédaignée ? Elle voulait le haïr, et ne pouvait, irritée en son cœur de cette tendresse plus douloureuse que la haine.
C'est assez dire combien ce vin herbé diffère d'un simple aphrodisiaque : autant que la plus haute magie l'emporte sur une vulgaire pharmacie. La comparaison serait moins boiteuse avec les philtres de l'Antiquité grecque (philtrom) et latine (philtrum), dont le nom est de la racine du verbe grec philein, "aimer". Ovide, dans son Art d'aimer, déconseille de faire boire des philtres aux jeunes filles qu'on veut rendre amoureuses parce que ces drogues excessives égaraient, selon lui, leur raison en même temps qu'altéraient la fraîcheur de leur teint et les jetaient dans des accès de fureur érotique.
[...] Ce n'est donc pas sans quelque abus que les érudits modernes - et moi-même à leur suite - appliquent au vin herbé le nom savant de philtre qui n'est entré dans la langue française qu'à la fin du XIVe siècle et que n'ont connu ni Béroul ni Thomas, ni l'auteur du plus ancien roman en prose. Une différence essentielle subsiste entre les philtres de l'Antiquité et le vin herbé, le philtre n'était administré qu'à la jeune femme qu'il s'agissait de séduire et le séducteur, soucieux de rester maître de lui-même, se gardait bien d'en boire, tandis que le vin herbé ne produisait son effet que si l'homme et la femme le partageaient entre eux et le buvaient ensemble, dans une seule et même coupe. Tel était le lovendrin, le lovendrant (boisson d'amour) dont les jongleurs bretons ou anglo-normands ont apporté de Grande-Bretagne et répandu en France le nom prestigieux, que Béroul emploie encore.
[...] Ce qui paraissait normal aux gens de cette époque, c’est que l’amour fût représenté en quelque sorte comme une partie de chasse dans laquelle l’homme était le veneur et la femme était la proie. Cet ordre de choses leur paraissait naturel et même légitime, tandis que l’inverse blessait profondément leur sens moral. Ils concevaient fort bien que l’amant courtois fît l’élection d’une dame et se soumît à elle, mais ils n’admettaient pas de voir l’homme poursuivi et traqué par une femme qui s’était éprise de lui et qui, par tous les moyens possibles, s’employait à le faire tomber dans ses filets et à le réduire à sa merci. Or c’est bien cela qui se passait dans le Tristan primitif : le vin herbé, conçu par la reine d’Irlande pour subjuguer le roi Marc, avait été détourné de sa fin par Iseult, secondée par Brangien, en vue de faire naître en Tristan un amour irrésistible pour la femme de son oncle. On peut dire qu’Iseult a, en cette circonstance, changé le cours du destin par personne interposée.
[Edition présentée et commentée par René Louis - Notes et commentaires]
[...] Chrétien de Troyes [...] dans une page fameuse de son Cligès, flétrit Iseult comme impudique et la ravale au rang d’une « vilaine » parce qu’elle a constamment partagé son corps entre deux hommes [...].
Chrétien aurait voulu qu’Iseult réservât son corps à l’homme qu’elle aimait de cœur, c’est-à-dire à Tristan, et en refusât la jouissance à son mari. C’est là une pure vue de l’esprit, une chimère, car l’eût-elle voulu, Iseult n’aurait pu se refuser au mari et se réserver à l’amant sans se mettre en conflit ouvert avec les interdits de son milieu social, ce qui lui aurait fait encourir à la fois l’opprobre et la mort. La règle qu’énonce Chrétien de Troyes dans sa célèbre maxime : « Que celui-là ait le corps qui a le cœur » est une théorie morale, sans doute légitime en soi, mais dont l’application pratique était impossible dans le cas particulier d’Iseult la blonde.
[Edition présentée et commentée par René Louis - Notes et commentaires]