En fan des écrits des soeurs Brontë, forcément tout texte qui emprunte à leur univers, mieux qui les fait revivre, m'intéresse au plus haut point. J'ai déjà passé un très bon moment avec un policier pour la jeunesse où c'était la jeune Jane Austen qui menait l'enquête, je ne doutais pas qu'il en serait de même avec le trio des soeurs Brontë dans celui-ci. Ce fut une franche réussite.
Je salue tout d'abord la beauté des couvertures de cette collection. Tout en raffinement, Anne-Claire Payet s'amuse à reprendre les codes de la littérature féminine en y ajoutant un petit twist, ici une héroïne la pipe au bec ainsi qu'un soulier abandonné, puis dans chaque tome, elle glissera ainsi un indice sur la teneur de l'enquête de ses héroïnes, subtil mais simple et efficace. La plume de l'autrice a les mêmes vertus. Pas de phrase alambiquées ou volontairement vieillies pour coller au style de l'époque, non juste une prose simple et contemporaine, sans anachronisme racoleur. C'était extrêmement agréable.
Avec La mariée disparue, on découvre l'univers singulier imaginé par Bella Ellis. C'est simple, à ses côtés, on se retrouve plongé littéralement dans la vie des soeurs et du frère Brontë, dans leur petit village de Haworth dans l'Angleterre du XIXe. Le texte est ainsi un subtile mélange d'enquête policière et de récit biographique sur ces personnages hautement célèbres. En effet, l'autrice s'amuse à distiller dans les pages des aventures qu'ils vont vivre tout plein de petits éléments biographiques savoureux pour qui connaît ou ne connaît pas ces figures de la littérature anglaise. C'est très délectable à suivre.
On retrouve également mélangés à l'enquête des éléments qui pourraient servir d'inspiration à nos autrices dans leurs écrits futurs. Bella Ellis semble beaucoup s'amuser à reprendre des éléments et ambiances clés des écrits de chacune d'elles pour les glisser ici, de la passion d'Emily pour la poésie, la solitude et les landes, de l'amour perdue de Charlotte pour son professeur, à la mélancolie de leur frère qui inspirera Anne. Tout y est en sous-texte ici. Bella Ellis plonge même son récit dans une belle et riche ambiance gothique qui fera le sel de bien des textes de nos écrivaines. Excellent !
Cependant, tout cela prend énormément de place et rend la narration un peu mollassonne parfois. Nous sommes tout de même dans un texte qui se veut être une enquête policière, où nos charmantes filles de pasteur viennent mettre leur nez dans la disparition tragique d'une voisine, cela devrait donc être plus aventureux. Or à vouloir planter ce décor riche en détails sur leur vie à elles, parfois l'autrice oublie un peu son enquête et la fait avancer lentement et par à coups. Il y a un déséquilibre entre la place pris par celle-ci dans le texte et celle prise par les détails sur la vie de nos héroïnes. C'est un peu dommage.
Toutefois, j'ai apprécié de les voir se lancer sur les traces de leur voisine et tenter de comprendre ce qui lui était arrivé. En remontant le fil de sa vie grâce aux indices trouvées, nos héroïnes brossent ainsi le portrait de la condition des femmes en Angleterre au XIXe, tandis qu'elles-mêmes font un peu figure d'exception. Le propos de Bella Ellis est rude mais juste, non être une femme n'a rien de facile à l'époque, la vie n'est faite, souvent, que de contraintes et de choix imposés. Cette mariée disparue a été obligée de se marier, d'avoir un enfant, de subir les violences de son époux. Heureusement, la lumière vient des sororités qui se mettent en place également avec le temps et j'ai beaucoup aimé le portrait plein de nuances fait de ces femmes qui aident les autres femmes. Ainsi, en plus d'une aventure policière, j'ai également eu une belle mais âpre aventure humaine.
L'enquête cependant fut vraiment plaisante à suivre. Depuis mon rendez-vous manqué avec Agatha Raisin, j'ai toujours peur des textes qu'on qualifie de cosy mystery, hors ici, j'ai l'impression qu'on est plus dans un policier avec figure historique féminine que réellement dans un cosy mystery car ce n'est pas une ambiance légère, cosy, chaleureuse qui plane, mais plus une ambiance gothique rappelant du Wilkie Collins où le vent souffle fort, où la forêt fait peur, où les maisons vides semblent pleines de mystères. C'est donc un style qui me convient mieux. Certes, il y a ici aussi de très grosses ficelles avec des indices qui pleuvent presque du ciel pour que nos héroïnes les trouvent et des liens faits de manière totalement improbables, mais on se plaît à les suivre d'un lieu légèrement inquiétant à l'autre, d'une figure bourrue à l'autre, d'un coin perdu de l'Angleterre à l'autre. C'est dépaysant et en même temps presque cocooning pour une fan de la littérature des soeurs Brontë comme moi, tant on y retrouve des ambiances similaires.
Rencontre réussie pour moi avec ce mystère mené de mains de maître par nos charmantes enquêtrices. J'ai beaucoup aimé la façon originale de recroiser de telles figures littéraires chéries. C'était agréable de voir une autrice manier aussi bien le sous-texte de son histoire pour y glisser tant d'éléments biographiques et littéraires. Certes l'enquête en a un peu pâti mais ce n'est pas grave car elle fut tout de même fort agréable à suivre et avec un message fort sur la condition féminine au XIXe siècle en Angleterre. Alors je veux bien lire ce genre de roman policier à la fois historique, littéraire et engagé !
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