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Citations de Ruth Klüger (28)


Le rôle qu'un "séjour" dans un camp de concentration joue dans une vie ne peut pas se définir d'après quelque vague règle psychologique, mais diffère pour chacun, dépend de ce qui a précédé et de ce qui a suivi, et même de la façon dont les choses se sont passées, pour lui ou pour elle, dans le camp. Ce fut une expérience unique pour chacun.
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L'un d'eux raconte qu'il a fait la connaissance à Jérusalem d'un vieux Hongrois qui avait été détenu à Auschwitz et qui néanmoins, "dans un même souffle", disait du mal des Arabes, prétendant qu'ils étaient tous mauvais. Comment quelqu'un qui est passé par Auschwitz peut-il parler ainsi ? demande l'Allemand. J'interviens, demande, sur un ton peut-être un peu plus acerbe qu'il ne faudrait, ce qu'on espère : Auschwitz n'a jamais été un établissement d'éducation d'aucune sorte, et surtout pas d'éducation à l'humanité et à la tolérance. Il n'est absolument rien sorti de bon des camps, et il en attendrait une élévation morale ?
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a fait la connaissance à Jérusalem d’un vieux Hongrois qui avait été détenu à Auschwitz et qui néanmoins, « dans un même souffle », disait du mal des Arabes, prétendant qu’ils étaient tous mauvais.Comment quelqu’un qui est passé par Auschwitz peut-il parler ainsi ? demande l’allemand. J’interviens, demande, sur un ton peut-être un peu acerbe qu’il ne faudrait , ce qu’on espère : Auschwitz n’a jamais été un établissement d’éducation d’aucune sorte, et surtout pas d’éducation à l’humanité et à la tolérance (p.80)
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La mémoire est une faculté, non une vertu. Nous n'avons aucun mérite particulier de nous souvenir, pas plus qu'à survivre.
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Ditha aussi s’est entendu dire qu’en continuant de laisser visible ce numéro elle voulait imposer aux autres des sentiments de culpabilité. Ne devraient-ils pas essayer d’analyser pourquoi la vue de ces numéros déclenche une telle agressivité de leur part ? (Que devons-nous alors penser quand vous jurez de jamais oublier sans qu’on vous le demande ?) (p.261)
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Quelque temps après que j'eus quitté l'école, on me fit encore donner des leçons particulières d'anglais par une Anglaise de naissance qui admirait les nazis et que je détestais à proportion. Mais comment ma mère - me demande un ami plus jeune - put-elle donc en arriver à employer une sympathisante des nazis comme professeur particulier? Je réponds que nazis et non-nazis ne se distinguaient pas aussi facilement que les torchons et les serviettes. Les convictions étaient flottantes, les humeurs changeants, les sympathisants d'aujourd'hui pouvaient être les adversaires du lendemain, et inversement. Ma mère pensait que l'essentiel était le bon accent britannique, que les opinions politiques de mon professeur ne me concernaient pas, et que je pouvais de toute façon apprendre des choses avec elle. Elle se trompait: la petite Juive ne plaisait pas plus à cette femme que celle-ci ne me plaisait, ces leçons étaient un supplice à force d'aversion mutuelle. Quoique j'apprisse, je m'empressais de l'oublier d'une leçon à l'autre, avec une application qui eût fait honneur à Pénélope.
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La porte du wagon était ouverte. On avait de l'air. Et surtout, on quittait Birkenau. J'étais toute heureuse de soulagement.
Pourtant tout avait changé. Au sortir du camp d'extermination, je regardais le paysage normal comme s'il était devenu irréel. A l'aller, je ne l'avais pas vu, mais maintenant, ce pays dont les Silésiens chantent encore les louanges aujourd'hui s'étendait paisiblement sous mes yeux, avec une beauté de carte postale, comme si le temps avait été suspendu, et que je ne sortisse pas directement d'Auschwitz. Des cyclistes sur de tranquilles chemins de terre, entre des champs inondés de soleil. Le monde n'avait pas changé, Auschwitz n'était pas sur une autre planète, il faisait partie de la vie qui s'étendait devant nous et avait continué comme par le passé. Je méditais l'illogisme qui faisait qu'une telle insouciance pût coexister avec notre convoi, sur un même espace. Notre train venait quand même des camps, relevait de la spécificité particulière de l'existence des camps, et sous nos yeux s'étendait la Pologne, ou l'Allemagne, la Haute-Silésie, peu importe le nom, en tout cas une patrie pour les hommes devant lesquels nous passions, un lieu, où ils se sentaient bien. Ce que je venais de vivre ne les avaient même pas touchés. Je découvrais le mystère de la simultanéité comme une réalité insondable, qu'on ne pouvait pas tout à fait se représenter, apparentée à l'infini, à l'éternité.
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Giséla (...) me parle d'un émigré qui a reçu des décorations en Allemagne, et qui n'éprouve me aucune rancoeur à l'égard des Allemands. Je le connais, et je me demande un peu étonnée, s'il manque tellement de caractère qu'il offre une réconciliation et un pardon qu'il ne lui revient pas d'accorder. (...) Une injustice n'est pas réparée par les états d'âme de ceux qui en ont été les victimes. Je m'en suis tirée, la vie sauve, c'est beaucoup, mais je n'en suis pas sortie avec un sac plein de certificats d'acquittements que les fantômes m'auraient remis pour que je les distribue à ma guise.
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Ce n'était pas possible, une jeune fille juive avec un goy, et de surcroît un Allemand. J'étais ulcérée. Vous, et vos liaisons avec les jeunes Allemandes, comment osez-vous me faire la leçon? C'était différent, ils étaient des hommes, ils pouvaient avoir des rapports avec qui ils voulaient. Je n'étais pas assez initiée aux perversités de la distribution sociale des rôles des deux sexes pour saisir ce genre de finesse. Je perçus seulement ce qu'il y avait de mépris pour les femmes dans l'établissement de cette distinction et dans la prétention des hommes à vouloir exercer sur moi une sorte de tutelle.
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Je me plaignais de la grant-tante à ma mère. "C'est une mère de garçons", disait ma mère pour prendre la défense de sa tante préférée. "Que veux-tu, elle n'est pas habituée aux filles." Je ne voyais pas ce qui exigeait qu'on s'y habituât. C'est ainsi qu'elle incarne, figée dans la mort, la distance qui me sépare de la génération de mes parents, et je ne saurais me souvenir avec émotion ni d'elle ni de l'oncle qui allait avec. En même temps, je suis atterrée que la Tante Rosa, morte en chambre à gaz, demeure uniquement un mauvais souvenir d'enfance, la femme qui me punissait lorsqu'elle découvrait que j'avais versé dans l'évier mon cacao du matin.
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C'était la mort et non le sexe, le secret dont les grandes personnes parlaient en chuchotant, et sur lequel on aurait bien voulu en apprendre davantage. Prétextant que je n'arrivais pas à dormir, je suppliais qu'on me laissât m'endormir sur le divan de la salle de séjour (qu'en fait nous appelions "le salon") et, naturellement, je ne m'endormais pas: la tête sous la couverture, j'espérais saisir quelques bribes des nouvelles terrifiantes qui s'échangeaient autour de la table. Certaines concernaient des inconnus, certaines des parents, toutes concernaient des Juifs.
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Elle me vit dans la file, enfant condamnée à mort, elle vint vers moi, me souffla les mots qu'il fallait dire, elle prit ma défense et me permit de passer au travers des mailles. Jamais nulle part on eut d'avantage d'occasion d'agir librement, et spontanément que là-bas, à cette époque. Je le répète, parce que je ne trouve pas de moyen plus percutant de le faire comprendre que la répétition. J'ai fait l'expérience de "l'acte pur". Ecoutez et ne le contestez pas mesquinement, mais prenez-le comme c'est écrit ici, et retenez le bien.
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Le nom d'Auschwitz a aujourd'hui un rayonnement, même négatif, tel qu'il détermine dans une large mesure la réflexion sur une personne, à partir du moment où l'on sait qu'elle y a été.
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Le viol comme un empiétement sur un droit de propriété masculin. Selon la formule "on lui a violé sa femme", avec même peut-être une secrète réserve, issue de la rivalité entre hommes : "C'est bien fait pour lui, cette ordure." Et les femmes, ainsi réduites à l'état d'objet se taisaient. Sur un acte de violence qui a aussi nom "déshonneur", le mieux est de garder le silence. Le langage sert les hommes dans la mesure où il met la honte de la victime au service du bourreau.
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Sur des expériences aussi extrêmes, il y a fort peu à dire. Le langage humain a été inventé pour autre chose et il est destiné à autre chose.
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Nous avons beaucoup ri au cours de cette fuite. Le danger est un bon terrain pour le comique, je ne sais pas pourquoi. (Un ami qui lit cette phrase me donne la réponse: le comique sert de soupape à la peur, d'où l'humour noir. Les névrosés, me dit-il, sont les meilleurs comiques.)
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Dans ce camp d'extermination, ma mère a eut dès le départ les réactions qu'il fallait. Ayant compris tout de suite ce qui se passait là, à notre arrivée, elle avait proposé le suicide pour toutes les deux. Comme je m'y refusais, elle saisit la première et la seule issue. Je ne pense pas que ce soit la raison mais une profonde folie de la persécution qui l'a fait réagir ainsi. Les psychologues comme Bruno Bettelheim pensent qu'un individu équilibré, raisonnable, qui n'a pas été gâté par une éducation bourgeoise, devait être capable de s'adapter à une situation nouvelle du genre d'Auschwitz. Je ne suis pas du même avis sur ce point. Je pense que les névrosés obsessionnels, menacés de paranoïa, étaient ceux qui s'en tiraient le mieux à Auschwitz, parce qu'ils avaient atterri en un lieu où l'ordre, ou le désordre, social rattrapaient leurs fantasmes.
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Elle s'était engagée à rester là jusqu'à ce qu'elle ait payé l'impôt dû pour "déserter le Reich". Car le Reich entendait percevoir un dédommagement lorsque les citoyens qu'il jetait dehors partaient effectivement. Cela me fait penser au terme en vigueur en RDA : "déserteur de la République". C'est le servage étatique.
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Ce qu'elle a su autrefois de la mort de son premier enfant, ma mère l'a refoulé. Ou bien peut-être était-ce comme un fer rouge qu'on a mis entre ses mains tendues et qu'elle a dû laisser tomber pour ne pas s'y brûler.
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C'est comme une génération entière qui me séparait de mes cousins et cousines, et me sépare encore aujourd’hui des émigrés originaires de Vienne qui ont pu à une époque s'y déplacer librement. Tous ceux qui avaient juste quelques années de plus ont connu une autre Vienne que moi, qui dès sept ans n'eus pas le droit de m’asseoir sur un banc de square, et sus dès lors que j'appartenais au peuple élu. Vienne est la ville dont je ne suis pas parvenue à m'échapper.
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