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Citations de Ruth Klüger (28)


Il avait un cabinet qui marchait bien au centre de Manhattan, car la psychiatrie était une spécialité où l'accent autrichien inspirait confiance. La psychanalyse austro-sauvage qui faisait fureur à New-York à cette époque se gardait toute critique sociale et évitait d'établir le lien entre le mal psychique et le mal historique, car on voulait avant tout fuir cet excès d'histoire que l'on avait enfin réussi à laisser derrière soi. Toutes les souffrances psychiques prenaient leur source en soi-même. Rien ne venait du dehors.
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Donnez-vous quand même la peine de demander ce que pensaient ces êtres déracinés par la violence, ou ce qu'ils voulaient. Si vous posez vraiment la question, j'apporterai à la solution de ce problème ma modeste contribution : je voulais la tartine de saindoux du gros Allemand. Sinon, je n'avais rien à faire de lui. Je la voulais non seulement pour la manger, mais aussi la partager. Et pour la partager non seulement par amour, mais aussi par besoin de me faire valoir. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas eu la tartine de saindoux. Dans la mémoire du gros Allemand, que j'étais ou que je suis encore une petite juive qui n'était pas tellement à plaindre, puisqu'elle n'a pas raconté d'horreurs (...) elle ne devait pas non plus avoir peur, ni aucune raison d'avoir peur, sinon, elle n'aurait pas parlé aussi franchement.
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C'est la plus belle et la plus extraordinaire histoire que je puisse raconter à propos de ma mère : elle a adopté un enfant à Auschwitz. Comme si cela allait de soi, et sans la moindre réserve, elle a considéré que cette enfant faisait désormais partie de la famille, et elle s'est occupée d'elle comme de moi, jusqu'à que se manifeste après la guerre un oncle de Saint Louis qui a permis à Ditha d'émigrer avant nous. A Christianstadt, je n'avais qu'une seule amie, Ditha, que je désigne encore aujourd'hui comme ma soeur, car je ne vois pas comment on pourrait exprimer autrement une relation qui ne repose pas sur beaucoup d'intérêt communs, mais qui a en même temps quelque chose d'absolu. L'absolu : 1944, 1945.
(...)
Mais voilà : aujourd'hui cette relation s'est perdue dans les sables, pire : ma mère rejette totalement celle qu'elle a traitée et considérée comme sa fille adoptive (...) Ma mère à peur de Ditha. Parce que Ditha est devenue infirmière psychiatrique, et elle a commis l'erreur de traiter une fois ma mère avec une condescendance de tuteur(...) Elle est persuadée que Ditha veut la faire enfermer en hôpital psychiatrique.
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La plupart des femmes, dont ma mère, travaillaient dans une fabrique de munition, avec des Français, des hommes mieux nourris que nous, parce qu'ils avaient une meilleur formation que nous pour ce travail et qu'on leur accordait donc plus de valeur. Du même coup, ils pouvaient mieux saboter. Quand ils arrivaient avec un petit sourire en disant "plus de travail les filles", on pouvait être sûr qu'ils avaient une fois de plus arrêté une machine, en dévissant les bons boulons ou en pratiquant quelque autre interventions discrète que les Allemands avaient d'abord beaucoup de mal à déceler, et qu'ils devaient ensuite réparer.
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Il peut expliquer, montrer même. Ainsi les douleurs dans le dos dont il souffre encore, et qui datent de là. Et néanmoins les détails qu'il donne nivellent cette atrocité, seul son ton de voix fait entendre la réalité autre, étrangère, du mal.
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la conscience de l'absurdité de l'ensemble, son aberration, le non-sens absolu de ces meurtres et de ces déportations que nous appelons la solution finale, l'holocauste, la catastrophe juive et depuis peu la shoah, toujours des appellations nouvelles, parce que les noms pour désigner tout cela se putréfient très vite dans la bouche.
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Tous les jours derrière les baraques,
Je vois monter les flammes et la fumée.
Juif, sous le joug tu devras plier,
Car cela, nul ne peut y échapper.
Ne distingues-tu pas dans la fumée
Un visage atrocement déformé ?
Ne l'entends-tu pas qui se moque et crie :
cinq millions sont déjà engloutis !
Auschwitz sera toujours entre mes mains,
et ce que je tiens brûlera demain.

Tous les jours derrière les barbelés,
Le soleil se lève tout empourpré,
Mais sa lumière faiblit et pâlit,
Quand vers le ciel l'autre flamme jaillit.
Car la chaude lumière de la vie,
A Auschwitz depuis longtemps a péri ;
Il n'est de vrai que cette cheminée.
Auschwitz sera toujours entre mes mains
Et ce qu'elle tient brûlera demain.
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Et c'est ainsi que j'en suis venue à penser que je n'étais plus obligée de conserver mon matricule (...). Je l'ai porté un demi-siècle sur la peau de mon bras gauche et puis j'ai perdu patience. Dans une clinique de Californie où des spécialistes gagnent des fortunes à effacer les rides de femmes vieillissantes et les tatouages de jeunes regrettant d'avoir dégradé leur apparence soignée juste pour s'amuser un soir de beuverie, une jeune dermatologue a mis plusieurs mois à faire disparaître au laser ce morceau de "monument". J'ai alors enfin su ce numéro par cœur; auparavant j'avais toujours eu du mal à m'en souvenir : A-3537. Cette suite de chiffres ne signifiait rien de plus qu'un tatouage de chien, elle n'avait jamais représenté pour moi une unité, comme une adresse ou un numéro de téléphone, alors pourquoi essayer de le retenir?
Pour la comptabilité d'Auschwitz, si l'on peut nommer ainsi cette précision macabre, le matricule était inutile : marqués ou non, les Juifs étaient exterminés. On ne m'a jamais appelée par ce numéro, il ne servait même pas à cela.
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