AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Sadegh Hedayat (46)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


L'homme qui tua son désir

“Tout ce qui n’est pas littérature m’ennuie et je le hais” écrivait Kafka dans son journal.

Sadegh Hedayat qui fut le traducteur de l’auteur tchèque de langue allemande en persan ne fut pas loin de penser la même chose, l’écrivaine Cécile Ladjali relève ce point commun entre l’iranien, qui se donna la mort à Paris en 1951 et le maître de l’absurde ; autre similitude, tous deux occupaient des métiers alimentaires où ils s’ennuyaient à cent sous de l’heure, souligne t-elle.



Aucun doute, c’est leur désir de vivre que tuent les personnages de ces délicates nouvelles, d’une alchimie étrange mais efficace.



L’Homme qui tua son désir, La méprise, l’Impasse, l’Ombre du Mongol, Lâleh… Ces nouvelles oscillent entre fines touches d’ironie, carte postale d’un Iran d’avant la révolution, des invasions Mongols aux bouddhistes Barmécides, influence des années françaises d’Hedayat, et tragédie silencieuse.



L’unité du style est au service d’une variété de thèmes, de la difficulté d’être, de l’hypocrisie des hommes, de la folie qui ronge, qui corrompt, de la méprise entre les hommes et leurs envies, les faux espoirs, les indicibles désirs et l’amour qui tente d’éclore, de toutes ses forces, dans un combat sans témoin, à l’instar d’une jeune pousse tentant de se frayer un chemin par-delà les neiges hostiles du mont Damavand.



Hedayat fait la preuve par l’écrit, sans jamais laisser le narrateur s’immiscer, s’interposer ou fournir un quelconque recul, le lecteur reste seul, à portée d’épiderme, avec les personnages jusqu’au tragique.



Le style d’Hedayat, beau et froid comme le marbre, finit d’enterrer la révolte et l’injustice du destin sous une mélancolie douce et résignée… Peut-être le fameux blue(s) d’Ispahan ?



Qu’en pensez-vous ?
Commenter  J’apprécie          815
Trois gouttes de sang

"Le calme de la nuit te leurre :

le malheur viendra au matin."

(Les Mille et Une Nuits, Conte du marchand et du démon)



Le Livre du Destin serait-il moins favorable aux pessimistes ? Pendant mille et une nuits, Shéhérazade raconte des histoires merveilleuses au sultan Shahryar, et elle finit par gagner son amour et la vie sauve. le 10 avril 1951, Sadeq Hedayat - conteur aussi talentueux que la fille volubile du grand vizir - brûle ses manuscrits et ouvre le robinet du gaz dans son appartement parisien.

Peu de ses voisins remarquent la disparition de ce timide petit Iranien à lunettes, qui vivait seul avec son chat, prenait ses repas dans les cafés solitaires et passait ses nuits à arpenter les bas-fonds du 10ème arrondissement, en laissant dans son sillage des vapeurs de vodka et d'opium.



J'ai croisé Hedayat pour la première fois dans "Boussole" de Mathias Enard. Dans sa confrontation entre l'Orient et l'Occident, le roman n'a pas pu présenter une meilleure figure tragique. Ballotté entre deux cultures, héritier à la fois de la tradition orientale, de la poésie de Rûmî et d'Omar Khayyam, et d'écrivains occidentaux comme Kafka, Woolf, Rilke ou Faulkner, Hedayat est considéré comme le premier écrivain iranien "moderne". Il va abandonner les traditionnelles formes poétiques, et se tourner vers la prose.

Et quelle prose !

Je crois que c'est Nietzsche qui a dit "si tu regardes longtemps un abîme, l'abîme regarde aussi en toi" ; ce fut probablement le cas de Sadeq Hedayat. Ses écrits sont à l'image de lui-même : dans un triste camaïeu de gris, ils sont incroyablement pessimistes, souvent ironiques et teintés d'absurde, et génèrent un sentiment d'impuissance. Il faut dire que l'époque n'était pas exactement propice aux plaisanteries ; le fond de l'abîme grouillait de spectres de la guerre, de la misère, de la solitude et de la peur du lendemain. Certains ont pu supporter ce regard et s'en sortir indemnes, d'autres se sont transformés en monstres. D'autres encore y ont laissé leur raison ou leur peau. Sans doute, c'était ainsi écrit...



On pourrait argumenter qu'il y a bien d'autres récits sombres dans la littérature et on n'en fait pas un cas particulier ; ou même qu'il suffit d'allumer la télé pour être immédiatement convaincu que le malheur est partout dans le monde, et que l'âme humaine est quelque chose de noir et de pourri. le problème avec Hedayat, c'est qu'il est un excellent écrivain : et il ne suffit pas d'éteindre la télé ou fermer le livre pour s'en débarrasser. Ses histoires collent comme la poix.

Admirable conteur, il présente ses personnages et met l'intrigue en place avec la même aisance que la princesse Shéhérazade... on se laisse envoûter par ses mots, sans réaliser que l'écrivain bâtit en même temps un mur contre lequel son héros finira par se fracasser. le dernier paragraphe ou la dernière phrase sont ensuite taillés au couteau particulièrement tranchant, et détrompent rapidement le lecteur naïf qui pense que cette fois, peut-être... non, contrairement aux Mille et Une Nuits, les histoires d'Hedayat ne se finissent pas bien.

Son Iran des années 30 ne diffère guère de récits anciens, et seules quelques rares voitures qui cahotent sur les routes poussiéreuses nous renseignent sur l'époque. Les hommes font le malheur des femmes et les femmes le malheur des hommes. L'amour est remplacé par la passion destructrice, la compréhension par la méprise, et la bonté n'est jamais récompensée.



Difficile de dire lequel des dix récits proposés est le "meilleur" ; ils sont tous ciselés avec le même art. Serait-ce l'éponyme "Trois gouttes de sang", sans doute le plus "kafkaïen", où le héros nous raconte l'origine de sa folie ? L'histoire de Pât, le chien errant ? La confession déchirante de Galine Khânoum sur son désir de se débarrasser de la deuxième épouse de son mari, après l'avoir poussé elle-même dans cette union ? Ou celle, dans le registre plus fantastique, du grand Abou Nasr qui quittera sa tombe à la recherche de sa bien aimée d'autrefois ?

Les morts ressuscitent pour surprendre les vivants, et les vivants sont pris dans un tourbillon tragique, avant de trouver la folie ou la mort. Ni la délaissée Zarrine-Kolâh, qui, son bébé sous le bras, part à la recherche de son mari, parce que ses coups de fouet lui manquent, ni le voyou au grand coeur, Dâsh Âkol, qui sacrifie tout à l'amour, ne sortiront grandis de leurs épreuves. le chemin des héros d'Hedayat est bordé de ronces qui déchirent leurs vêtements et leurs coeurs en lambeaux. Et pourtant, il est impossible ne pas admirer la façon dont l'écrivain dépeint leurs misérables déambulations.

4,5/5 pour ces obscurs diamants noirs, tachés de quelques gouttes de sang.
Commenter  J’apprécie          7013
Les chants d'Omar Khayam

Ces Chants d'Omar Khayam sont comme un vin rare que le sage appréciait tant... Comme uns source très mesurée, dont Sadegh Hedayat a élagué les possibles ou probables impuretés.

En effet, on a prêté à Omar Khayam, comme à mains auteurs lointain, mal connus et entrés dans la légende, maints écrits d'une autre plume... Et, pire, certains religieux ont tenté de lui imputer des propos de leur triste cru!

Il ne reste donc que Cent-quarante-trois quatrains proposés au lecteur qui en fera grand profit. Il y verra une libre pensée du vrai sage dont le doute et l'aspiration au bonheur du jour est au centre de la poésie.

Cette roue, si souvent évoquée, c'est l'éternel retour, aussi, de philosophies qui reviennent comme le tour de manège des innombrables interrogations de l'homme.

Un magnifique travail de Sadegh hedayat, sur Omar Khayam... Et une traduction soigneuse et inspirée de Messieurs Farnzaneth et Malaplate; puisque traduire c'est tout de même réécrire sans trahir.
Commenter  J’apprécie          681
Madame Alavieh

Je suis allé à la bibliothèque pour emprunter un titre précis, La chouette aveugle. Hélas, il n’y était pas, quelqu’un d’autre avait été plus rapide que moi. Je me suis rabattu sur Madame Alavieh, un autre titre de Sadegh Hedayat, question de m’introduire tranquillement dans son univers. Le résultat ? Bof… Drôle, oui, avec ses personnages colorés et son ton humoristique, malgré un style incisif. Agréable, je ne sais pas trop… L’histoire ? La fameuse Mme Alavieh fait son pèlerinage vers un lieu saint et, en route, elle déverse autour d’elle son fiel, n’arrête pas de se plaindre de sa famille, des pèlerins qu’elle rencontre sur son chemin, des marchands ambulants qu’elle associe à des voleurs, bref, que des gens cherchant à la départir de son argent à chacune de ses étapes. Mais elle ne se contente pas de les renvoyer, elle leur balance tout un lot d’insultes grossières. Je ne dis pas qu’ils sont mieux, qu’ils ne méritent pas ce crachat verbal. Donc, si caricaturaux, ces personnages ? Peut-être pas tant que ça, je peux facilement imaginer des manants d’un autre siècle agissant comme eux. Je me demande bien où est la piété… Ainsi, à travers ce conte aux saveurs folkloriques, Hedayat se fait un peu le critique d’une société qui refuse de voir ses travers. Le titre contenait deux autres nouvelles dont je me rappelle à peine, elles m’en ennuyé sérieusement. En fin de compte, si je n’ai pas détesté Madame Alavieh, je ne suis pas certain avoir ressenti beaucoup de plaisir à le lire. Un rendez-vous manqué ? Assurément.
Commenter  J’apprécie          442
Trois gouttes de sang

Il y a quelques années, j’ai lu deux bouquins de l’auteur iranien Sadegh Hedayat (dont son populaire La chouette aveugle, que, moi, j’avais trouvé correct, sans plus. Mais j’étais encore curieux de la littérature persane et disposé à donner une autre chance à cet auteur. Et heureusement. Son recueil de nouvelles Trois gouttes de sang m’a énormément plu. La première nouvelle donne le ton. Le narrateur, un homme reclus, un peu trouble, raconte son histoire. Son vieil ami Siavosh lui rend visite, et cela lui rappelle une autre époque où c’est lui-même qui rendait visite à cet ami d’enfance, alors que ce dernier souffrait d’un déséquilibre nerveux. De folie. Mais cette histoire, étrange d’abord, se révèle superbement bien construite. Elle va de rebondissement en rebondissement. Cette nouvelle et les autres qui constituent ce recueil sont faites sur le même modèle. Brèves, allant à l’essentiel, marquant l’évolution des personnages dans un beau crescendo. Poussés au paroxysme de la folie, rejetés, isolés, abandonnés, ils se révèlent toujours intéressants.



Certaines nouvelles sont d’un registre plus anecdotique, comme celle de ce chien qui erre dans la ville. Ou bien celle de cette femme qui part à la recherche du père de sa fille. Ou encore la sœur aînée laide, qui vit dans l’ombre de sa cadette si jolie, la « Favorite ». Ces histoires paraissaient plus simples, proches de la vie ordinaire, mais elles étaient d’autant plus poignantes.



D’autres nouvelles penchaient vers le fantastique. Par exemple, Les nuits de Varâmine. On y retrouve le jeune Fereydoun, à la santé fragile, qui hérite du domaine familial. Malheureusement, sa belle épouse se meurt. « Sensible et affectueux comme il était, Fereydoun ne se remit pas de ce coup. » (p. 43). Quand des événements étranges se produisent, on peut se demander si le jeune homme ne les imagine pas. « Il respirait à peine, des ombres fantastiques dansaient devant ses yeux. » (p. 46). La progression lente et inévitable de ses troubles nerveux, l’impression d’un drame imminent, tout contribue à créer une atmosphère réussie. J’en ai presque ressenti des frissons. Puis, un soir, il croit entendre de la musique dans le pavillon fermé…. Je ne dévoile pas la fin, elle est inattendue. Toutefois, elle fonctionne à merveille. Un autre exemple de nouvelle plonge dans le fantastique est Le trône d’Abou Nasr, dans laquelle des archéologues américains font des fouilles près de Chiraz, découvrent un tombeau avec des squelettes vieux de quelques millénaires, l’occasion de raconter leur histoire et de les laisser reprendre vie.



Bon, vous comprenez un peu, je ne vais pas raconter chacune des nouvelles. Il suffit de rappeler que je les ai toutes appréciées, sans exception. Elles se recoupent par certains thèmes (la folie, l’étrange, la détermination et la souffrance, les entreprises vouées à l’échec, etc.) mais elles sont suffisamment originales, divergent assez pour que le lecteur ne sente pas la redite. Bref, une sorte de mosaïque qui renvoie une certaine image de l’Iran de la première moitié du XXe siècle. Je ne peux que recommander la lecture de ce recueil fort intéressant.
Commenter  J’apprécie          372
La Chouette aveugle

Que dire de ce livre extraordinaire ? Il est tellement riche que le fond en semble inépuisable, et les interprétations possibles quasiment illimitées.

D'abord le style, poétique et cru, avec une symbolique récurrente : la mort, omniprésente ; la chair qui pourrit, les vers ; mais aussi les rapports de l'amour et de la haine ; les capucines violettes partout répandues, le serpent naja, les maisons géométriques ; le boucher dépeceur ; les ressemblances entre les personnages qui se transforment et finissent par n'être qu'un : celui du délire du rêveur ou l'homme au bec de lièvre ? un vase ancien découvert dans le sable et orné d'un visage de femme, le même que celui qui hante le narrateur ; la folie ; les hallucinations .... et toujours ce baiser frais comme un trognon de concombre...

Prosaïquement : un opiomane suicidaire s'imagine que sa femme le trompe et sombre peu à peu dans un délire irrémissible.

Mais ce résumé est tellement parcellaire qu'il en est faux : ce conte envoûtant en recèle mille.
Commenter  J’apprécie          222
La Chouette aveugle

Là c’est carton vide : j’ai lu, relu et aussi lu les avis des autres pour y voir plus clair. Mais c’est pas pour moi. Qqs mots pour me rappeler si on m’oblige à en parler ;-)

Trop tourmenté, ressassé, opiacé, dépravé et surtout : je n'ai apprécié ni le courant qui se veut poète ni son surréalisme. Ils imbibent tout le récit, c’est sûrement parfaitement maitrisé, mais ils m’ ont lassée la cervelle avec leurs airs embrigadés si bien que mon interêt s’est éteint de lui même. Lire en état semi vaporeux une narration semi hallucinée l’exercice ne m’a pas plus. C'est comme un rêve qui se mord la queue, piétine, sans fin, oui il y a mille analogies, références et la traduction est sûrement très réductrice encore de l'oeuvre iranienne mais tout ça est beaucoup trop niché pour moi, je suis vraiment pas assez intellectuelle pour apprécier ce genre de proposition, ce libraire qui me l’a pourtant vendu comme un de ses livres préférés! Pwa, pourvu que ça ne me suive pas dans mon sommeil! Allez c’est le moment de retrouver le monde des ferrailleurs que j’aime tant ;-)
Commenter  J’apprécie          196
La Chouette aveugle

Lautréamont l'a dit, il n'est pas bon que certains livres soient lus par tout le monde. Cette Chouette aveugle fait partie des fruits amers pour gourmets avertis. Car elle procède de la vision d'un esprit malade, qui s'est rendu étranger à la vie, en se laissant porter par des rêveries morbides imprégnées d'opium. Dans cette fiction pas si éloignée de son existence tourmentée (qui le ballota entre la France et son Iran natal, en passant par l'Inde), Sadegh Hedayat, observe la mort avec une douleur mêlée d'admiration, comme en attente de découvrir ce nouvel horizon.



De fait, le roman possède une tonalité doloriste, qui ressort bien dans cet extrait où le narrateur tente de renouer les fils de sa vie : « Fils composant ma destinée sombre, triste, terrible et délicieuse — lieux où la vie se mêle à la mort et où naissent des images déformées, lieux où d'antiques refoulements, des désirs confus, réprimés, ressuscitent en criant vengeance. »



La souffrance du narrateur l'isole d'un monde mauvais, rempli de « canaille », et elle devient donc en cela une vertu à ses yeux. L'avatar d'Hedayat constitue un « être-pour-la-mort », qui a cessé de se faire toute illusion sur la vie et ne veut plus avancer en elle. Ainsi, il fait du surplace, il ressasse les mêmes souvenirs confus, les mêmes visions hallucinées, qui constituent les leitmotivs de ce roman.



Tout s'articule autour de deux personnages : une femme inaccessible et un vieillard au rire horrible, susceptible de personnifier la mort. le titre du roman s'établit en opposition avec les yeux de la femme, deux grands yeux captivant le narrateur et l'entraînant à sacraliser cette figure féminine :



« Je voulus parler, mais je craignis que le son de ma voix ne blessât ses oreilles, ses oreilles si délicates, habituées sans doute à quelque musique céleste, lointaine et suave. »



Ce passage est symptomatique du mal qui gangrène le narrateur et sans doute Hedayat lui-même : une crainte obsessionnelle de souiller un idéal qui n'existe que dans son esprit. Il s'abandonne à ses fantasmes tel un Des Esseintes, et rejette la réalité de la vie, en n'en conservant qu'un moignon, impropre à subsister de lui-même.



« Ma vie, pour tes yeux, lentement s'empoisonne », disait Apollinaire dans un poème intitulé « Les colchiques ». Or, les colchiques font partie des leitmotivs secondaires de la Chouette Aveugle. Par cette coïncidence qui n'en est peut-être pas une, Hedayat établit un lien avec le père spirituel du surréalisme, dont les successeurs célébreront l'écrivain persan.



Dans la seconde partie du roman, les deux figures principales, la femme et l'homme, glisseront malgré tout vers la réalité honnie d'un Iran imprécis et d'une vie misérable. Ils s'incarnent alors dans des personnages plus concrets, qui n'en restent pas moins potentiellement des fantasmes.



Les effets de répétition sont donc tempérés par des changements subtils, du moins aux yeux du lecteur. Les signifiants demeurent invariables, mais leurs signifiés se multiplient au fur et à mesure que le récit avance. Il y a là le même effet hypnotique que chez David Lynch, qui construit ses univers glauques d'une manière analogue.



Ce ressassement des figures féminines et masculines établit inévitablement une confusion oedipienne entre la mère et l'épouse. Mais aussi entre le père et le fils, qui est condamné à reproduire les fautes de son géniteur, et à se rapprocher de la mort. Ce à quoi le narrateur se résigne dans son apathie. La mort, qui est la même pour tous, entretient la confusion entre lui et les autres. Elle abolit la division entre les hommes, jusqu'à ne plus les distinguer. Les cadavres s'unissent en une étreinte ambigüe, obscurcie par l'ombre pour laquelle le narrateur dit qu'il écrit, et qui n'est plus la sienne propre. Elle grandit en une chape de ténèbres où même la chouette ne voit plus rien. Et pour cause.
Commenter  J’apprécie          172
La Chouette aveugle

Chef d’œuvre poétique, cette Chouette Aveugle nous glace le sang par les images vénéneuses, incestueuses et morbides qu'elles suscitent. Le narrateur ne va pas bien, ses souvenirs se mêlent à ses cauchemars et quand il prend de l'opium pour calmer sa mélancolie, les niveaux narratifs se troublent encore davantage.

Si le roman est ancré dans une Perse sans âge, il nous parle sans difficulté par son universalité et la puissance des images qu'il parvient à créer.

Longtemps après, nous restent des images de vieillard ricanant, de maisons aux toits pointus et aux petites lucarnes éclairées, de rivières bordées de cyprès et de violettes. Et toutes ces images gardent les mystères qu'elles recèlent, pour ne les distiller que la nuit venue... dans nos rêves.
Commenter  J’apprécie          150
L'abîme et autres récits

L'adjectif « macabre » n'est pas usurpé pour décrire l'oeuvre de Sadegh Hedayat, qui fait écho aux figures de la déliquescence chez Poe et Kafka (dont il traduisit « La métamorphose » en persan). Dans les paysages urbains de l'Iran et de la France, les fantaisies mortifères des narrateurs renversent le réel, pour lui préférer une ombre. Ainsi l'un des deux personnages de la première nouvelle s'enferme-t-il dans sa « chambre noire », en vue d'extraire de lui-même les images d'une autre réalité, préférable aux illusions du monde sensible.



« Je voulais m'engloutir dans un trou comme les bêtes en hiver. Je voulais me plonger dans ma propre obscurité et me développer en moi-même. »



L'introduction compare ce processus au terrier kafkaïen, mais le personnage d'Hedayat est doté d'une mentalité aristocratique qui lui fait refuser le travail. Plutôt que par des efforts futiles et angoissés, c'est donc par une inanité volontaire et apaisée que la mort advient. Elle entraîne au-delà de « l'abîme » entre les êtres, une distance faite de dissimulations et d'incompréhensions qui ne laissent pas de les blesser, parfois mortellement. Les autres nouvelles explorent la part sombre des rapports amoureux, entre coups de sang, coups de feu et autres coups du sort. L'issue la plus optimiste est peut-être celle où la « chair brûlée » des amants devient indifférenciée.
Commenter  J’apprécie          1312
La Chouette aveugle

Hou Hou où es-tu chouette aveugle ? Je ne te vois pas.



Ne t'aurait-on pas bouffée court ? Désossėe jusqu'à l'os ? Demembrée ? Ne t'aurait-on pas dėplumée ? Déprimée ?



Tu étais clouée, crucifiée, sur la porte.
Commenter  J’apprécie          1111
La Chouette aveugle

Trad. Roger Lescot. Œuvre datée 1936, 1ère éd. française (posthume) 1953. cette éd.-ci : 1985.



Je comprends très bien que cette œuvre soit considérée le chef-d’œuvre de Hedayat et qu'elle ait provoqué l'enthousiasme de grands noms de la littérature française lors de sa très belle traduction et publication. Un roman ? Personnellement je penche plutôt pour parler de deux longues nouvelles (pp. 1-77 et 78-191), dont les narrateurs à la première personne sont deux hommes différents, mais tout aussi proches l'un que l'autre de la folie, du désespoir, du crime et du suicide. Cependant, les nouvelles sont construites et reliées par une multiplicités de renvois réciproques : objets et images qui se transforment instantanément en emblèmes dont on devine la polysémie qui pourtant nous échappe : le vase antique, la bouteille de vin mélangé au venin de naja, le couteau à manche d'os, le vieillard au rire tonitruant, le goût âpre du trognon de concombre. La chute, qui n'est pas un vrai final et qui fait penser qu'elle l'ouvrage était inachevé, est abrupte et banale : elle suggère que l'un des deux récits soit un rêve du protagoniste de l'autre.

Les deux nouvelles, par contre, ont une cohérence interne et une structure magnifiques, leurs trames se déroulent sur des histoires terribles et fascinantes. En effet, les récits sont constitués, en parts comparables, de l'angoisse existentielle la plus radicale du narrateur, contée avec un réalisme obsédant, du fantastique de ses visions oniriques et de ses cauchemars, du symbolisme des objets qui l'entourent et des images culturelles qu'il convoque – relatives à la Perse et à l'Inde – qui confèrent au récit un certain goût de conte. De ces éléments se dégage un mélange d'horreur et de fascination fantasmagorique.

Mon attention a été retenue surtout par les descriptions introspectives de l'angoisse. J'ai noté aussi des pages assez radicalement anti-religieuses (dont une cit.). Mais ce choix est totalement subjectif et arbitraire.
Commenter  J’apprécie          110
La Chouette aveugle

Roman salué par les surréalistes en 1953, année de sa parution, "La chouette aveugle" est un texte aux allures fantastiques. le livre d'un auteur resté dans l'ombre qui a choisi de partir en 1951.

Monologue d'un homme, hanté par des hallucinations sordides dues à l'opium, confondant ses visions et la réalité, déroutant souvent le lecteur, qui comme lui est parfois un peu perdu. Livre difficile.

Un homme malade, dépressif, qui manifestement ne connaît pas le bonheur, vit seul, à une époque ancienne, en Perse, dans la cité de Rhagès, dans sa chambre .Il vit pauvrement en décorant des cuirs d'écritoires. ll est marié mais son épouse, qui est également sa cousine germaine n'a jamais voulu se donner à lui, ni même l'embrasser. Une épouse qui le trompe

Personne ne trouve grâce à ses yeux il vit dans un monde de "canailles", représenté par le boucher armé de son "couteau à manche d'os" ou le vieux brocanteur. le seul personnage féminin ayant grâce à ses yeux est sa vieille nourrice. Aucune issue à sa détresse, la seule solution est la mort...une idée obsédante, qu'il soit ou non sous l'emprise de l'opium. Une atmosphère lourde et pesante

Ce roman n'a pu être écrit que par un homme lui-même torturé, souffrant d'un mal moral, d'un mal-être, hanté par des idées noires, par l'existence de Dieu, par la religion.

"En de telles conjonctures, chacun cherche refuge dans une habitude solidement enracinée, une manie: le buveur boit, l'écrivain écrit, le sculpteur sculpte, bref, chacun a recours, pour mettre fin à son tourment, au mobile le plus puissant de sa vie, et c'est alors qu'un véritable artiste peut tirer de lui-même des chefs-d'oeuvre. Mais moi, moi qui n'avais aucun talent, moi, misérable décorateur de cuirs d'écritoires, que pouvais-je faire?"

Il nous en apprend beaucoup, en tout cas c'est comme cela que je l'ai reçu, sur les drames, sur cette perception de soi et des autres qui peuvent pousser un homme à vouloir quitter notre monde, sur cette détresse visible, mais souvent incompréhensible devant laquelle on se découvre impuissant. "La mort fredonnait doucement sa chanson, comme un bègue qui se reprend à chaque mot, et qui, à peine arrivé à la fin d'un vers, doit recommencer."

C'est cette détresse d'un proche, à laquelle chacun peut être confronté, qui m'a touché, détresse qui peut être causée par la drogue


Lien : https://mesbelleslectures.co..
Commenter  J’apprécie          110
Trois gouttes de sang

De nouveau, me voilà conquis par les nouvelles de ce géant de la littérature persane contemporaine que fut Sadeq Hedâyat. Cette parution toute récente aux éditions Zulma est la réédition de celle de chez Phébus (1989) mais, de toute manière, même les recueils précédents publiés depuis déjà quelques décennies majoritairement chez José Corti, de même que son roman inachevé, La Chouette aveugle (1941-1953), sont hélas demeurés assez confidentiels. Elle contient aussi « Le chien errant », qui est sans doute la première nouvelle publiée par l'auteur, de son vivant, en 1941.

Il n'y a pas d'unité thématique dans ces dix nouvelles, dont la première et éponyme me semble s'imposer sur les autres autant par l'audace de sa construction que par la hardiesse avec laquelle est représenté la folie. S'alternent, de plus, des écritures différentes, tantôt caractérisées par le réalisme, tantôt frôlant le fantastique, tantôt inspirées par la critique de certains aspects du traditionalisme de la société iranienne que l'auteur devait sans doute trouver détestables : les superstitions, la bigoterie de certaines pratiques de l'islam chiite (ex. les pèlerinages), les violences domestiques. Néanmoins, surtout dans les six dernières nouvelles, un fil conducteur peut être repéré : l'ambivalence des rôles féminins dans la conjugalité, dans une dialectique de domination et de souffrance où la femme n'est pas systématiquement la victime ni ne saurait refléter les images stéréotypées attendues.

D'un point de vue technique, je commence à reconnaître les empreintes qui caractérisent Hedâyat et qu'il a laissées à la postérité de la nouvelle persane : au niveau des incipit et des excipit, chutes des récits, de l'insertion de passages en vers dans la prose, des « répétitions structurantes » - cf., en particulier dans la première nouvelle, les mots qui en constituent le titre : « Trois gouttes de sang ».

Deux traducteurs sont nommés : Gilbert Lazard, qui est désormais le traducteur « attitré » de Hedâyat, et Farrokh Gaffary, qui a signé ici « La quête d'absolution » uniquement. Il me paraît remarquable et appréciable que les deux sont parvenus à une telle syntonie qu'on ne distingue pas de différence stylistique. De plus, si je compare leur langue avec celle de Roger Lescot, traducteur de La Chouette aveugle en 1953, je constate que le choix de la continuité a été fait, malgré les six décennies qui se sont écoulées et les nouvelles tendances traductologiques survenues depuis : mais en l'occurrence, j'estime que ce choix est absolument juste, compte tenu autant de la personnalité de l'auteur que de sa diffusion encore restreinte.
Commenter  J’apprécie          102
L'homme qui tua son désir

Les treize nouvelles, un court texte théâtral et une « satire pour marionnettes en trois tableaux » de Sadegh Hedâyat, le grand auteur iranien (1903-1951) du célèbre roman La Chouette aveugle, étonnent d'abord pour leur variété. Tirés de différents recueils, même s'ils remontent pour la plupart aux années 30, certains récits ont pour cadre l'Iran, intemporel ou bien apparemment contemporain à leur écriture, d'autres se déroulent ailleurs (France, Allemagne, Russie), deux enfin ont pour cadre un passé reculé : l'invasion mongole et la conquête arabe. La noirceur, voire l'horreur ou un quotidien angoissant ou désespérant caractérisent le plus grand nombre des nouvelles, dont en particulier la première, « La griffe », qui fait penser à Edgar Poe, mais un humour noir délicieux se dégage de « Le patriote » ainsi que dans la mini-pièce « Les croque-morts ». Les thèmes sont divers, et j'émets l'hypothèse que la dernière nouvelle, « L'impasse », concerne surtout, de façon à peine voilée, l'homosexualité masculine et un sentiment de culpabilité qui occulte son objet. Toutefois, l'on retrouve de nombreux textes qui touchent peu ou prou aux sujets religieux : « L'Homme qui tua son désir », longue nouvelle éponyme, avec ses nombreuses citations, est pratiquement un exposé sur le soufisme que le héros abandonne enfin, « L'adorateur du feu » met en scène l'iranologue Flandin dans un instant (très orientaliste) d'identification avec des Zoroastriens rencontrés près de Persépolis, dans « Le dernier sourire », il est question de l'islamisation de façade et de la conservation dissimulée d'une certaine foi bouddhiste chez le protagoniste Rouzbehân au Khorassan, enfin et surtout, la satire pour marionnettes qui est intitulée « La légende de la création » et est encore inédite en Iran à l'heure de la publication de ce livre, est un texte que beaucoup pourraient trouver carrément blasphématoire, avec son personnage « Léternel », « vieillard décrépit » bavant le riz au lait dont il se nourrit, qui ne sait pas pourquoi il s'attelle à la création... : tout le récit biblico-musulman, avec ses « houris et belles péris en tenue légère », ainsi que Gabriel Pacha, Mollah Azraël et Milord Satan, est intégralement tourné en dérision. Même à le lire aujourd'hui, Salman Rushdie, en comparaison, ressemble à un enfant de chœur...



Dans la forme de la nouvelle, stylistiquement parlant, on peut trouver des auteurs plus novateurs, par ex. Sait Faik Abasiyanik en Turquie, qui fut pratiquement son contemporain (lui aussi décédé prématurément), cependant je ne suis pas prêt d'oublier la force de déflagration émotionnelle de certains des textes de Hedâyat et je comprends donc très bien que les nouvellistes persans contemporains s'en inspirent et s'y réfèrent.
Commenter  J’apprécie          102
Trois gouttes de sang

A travers dix petites nouvelles, Sadeq Hedâyat nous emmène en voyage dans son pays d’origine, l’Iran. Au travers de petits contes, il nous enivre de parfum d’Orient, de barbes teintées au henné, de plats exotiques et de cette tradition orale d’où sortent les meilleures histoires. C’est un voyage des sens et de l’imagination, une plongée dans l’Iran d’hier et d’aujourd’hui, une échappée loin de notre vie de tous les jours.



Dans ces dix nouvelles, Sadeq Hedâyat explore de nombreux thèmes associés à la société iranienne, aussi bien la religion que les superstitions, la place des femmes que leur ascendant sur leurs maris, le multiculturalisme du pays et le racisme latent envers les Arabes installés en Iran. Il nous donne à voir les multiples facettes d’un pays méconnu, souvent mal jugé de nos jours. La religion est un des thèmes prédominants de ses écrits, avec de nombreuses références au pèlerinage à Kerbela et à l’absolution qu’il est supposé donner aux croyants – quitte à les absoudre carrément de meurtres sans pitié. En Iran, la religion musulmane semble intimement liée aux superstitions et aux présages, régulièrement utilisés par les personnages pour prendre des décisions, guider des choix. Se sont surtout les femmes, chez Hedâyat, qui guettent les présages, et s’en servent pour en faire voir de toutes les couleurs à leurs maris ! Elles ont beau être voilées et couvertes du traditionnel tchador, elles n’en restent pas moins toutes puissantes dans la prose de l’auteur, capables d’un simple regard d’aliéner le coeur des hommes, des les ruiner d’une seule exigence, de les manipuler d’une seule faveur.



Sadeq Hedâyat livre ici une succession de petites pépites littéraires, contes atypiques aux leçons décalées, teintés des couleurs d’un Orient immémorial.
Lien : https://theunamedbookshelf.c..
Commenter  J’apprécie          90
Trois gouttes de sang

Abandonné pour l'instant. En effet, il s'agit de nouvelles. J'en ai lu trois, les trois premières. Cruelles, violentes, bouleversantes, je ne me suis pas sentie prête à en prendre une quatrième.

Cela ne remet pas en cause la qualité de l'ouvrage, ni celle de l'auteur en tant qu'écrivain.

L'écriture et la lecture des nouvelles sont un art particulier.

J'ai souvent ressenti la nécessité et aussi le devoir de faire des pauses entre chaque nouvelle, ou après la lecture de deux ou trois. Afin de respirer. Simplement. Car la nouvelle bien composée ne laisse aucun espace, aucune ponctuation , aucune aération. C'est là où elle est charmante, c'est là où elle est redoutable.

Donc une lecture à suivre, je sais que je la reprendrai.
Commenter  J’apprécie          83
Trois gouttes de sang

Recueil d'une dizaine de nouvelles, Trois gouttes de sang correspond en tout point à ce que l'on pouvait s'attendre de son écrivain opiomane et suicidaire : glaçant, fascinant, parfois fantastique.



Chaque nouvelle distille sa dose de frisson ; la mort plane sans cesse, et les personnages, qu'ils soient humains ou animaux, courent inéluctablement à leur perte.



Au-delà de l'aspect fantastique et morbide, ces nouvelles interrogent sur ce qui peut mener un être humain à sombrer dans la folie, sur la recherche de la douleur donnée par un être aimé, mais portent aussi un regard désabusé sur la société iranienne de l'époque, entre bigoterie et hypocrisie des hommes et place de la femme dans une société où l'on cherche à tout prix à les confier à un mari, quel que soit leur âge.



Profondément dérangeant mais à l'écriture très belle, Trois gouttes de sang est à la mesure des autres ouvrages que j'ai pu lire d'Hedayat.
Commenter  J’apprécie          80
Les chants d'Omar Khayam

Ce livre vaut autant pour les traductions proposées des Quatrains de Khayyâm (on a vraiment l'embarras du choix et il est difficile de se décider pour telle ou telle édition), que pour la longue préface passionnée de Hedayat, écrite à Téhéran en 1934. Il fait de son poète un porte-parole du patriotisme iranien contre les Arabes et leur dieu. Son texte est stimulant, bien charpenté et argumenté, provoquant réflexion et discussion, sans en oublier les aspects plus littéraires et l'enquête sérieuse sur laquelle il repose.
Commenter  J’apprécie          80
Trois gouttes de sang

Recueil de nouvelles qui nous emmène dans l'Iran de l'entre deux guerres.



Au fil de ces nouvelles, Sadeq Hedayat nous plonge dans cet Iran des pauvres gens dont la vie est régie par les traditions et la religion.

Chacune de ces nouvelles nous livre un coté noir et obscur des humains et nous délivre une morale.

On y voit à quel point la femme n'a aucune place dans la société, à quel point par contre la religion pèse de tout son poids sur la vie des gens.



J'en retiendrai une phrase de la dernière de ces nouvelles et qui résume ce livre :

« Quel dommage que l’expérience vienne toujours trop tard pour qu’on ait le temps de s’en servir! »
Commenter  J’apprécie          70




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Sadegh Hedayat (306)Voir plus

Quiz Voir plus

Quiz Bibliothécaire Babelio

Comment s’appellent les membres ayant des droits spécifiques

A la Franzen : Les corrections
A la Musil : Les bibliothécaires
A la Coelho : Les alchimistes
A la Werber : Les fourmis

9 questions
520 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}