AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Sara Bourre (52)


Souvent je parle seule. Je parle mal. Je laisse les mots couler de ma bouche, un à un, se perdre dans l’espace trouble de ma solitude. Ma séparation. Il faut bien veiller à être séparé, toujours. Séparé de soi-même avant tout. Pas coupé n’importe comment, non, mais séparé en beauté si j’ose dire, proprement, à l’endroit où toute confusion de soi avec soi deviendrait dangereuse. Séparé, et ainsi surveiller les lacs noirs qui parfois se mettent à gronder en silence.
Il faut maintenir l’ordre à l’intérieur de soi. Il faut se maintenir en vie aussi loin que possible. Et peu importe si pour cela on parle seul, on parle mal, on parle sans arrêt, sans réponse, sans écho. Ne pas avoir peur. Jamais. La peur, je la tiens dans mon poing s’il le faut, je la serre de toutes mes forces, je la broie s’il le faut. Je la hais. Je lui flanque une raclée, et une autre encore, je lui crève les yeux, je lui casse le crâne, je lui flanque la mort, je lui brouille les pistes, je la traque, je la crève, je l’oublie. La peur n’a jamais existé.
Je continue ma route. Tranquille.
Il faut rire beaucoup, très fort et très longtemps, pour venir à bout d’un tel adversaire. Il faut rire et décupler de rage et d’énergie, surtout ne pas prêter attention aux petits cris stupides de Maman. Continuer, encore et encore, frapper en plein cœur. Tenir la joie, la distance. Puis s’en aller. Ne pas se retourner.
Crier victoire.
Alors je peux continuer, tranquillement, à parler seule, à parler mal, à jouir sans limite de mon éloignement, je pourrais même dire de ma disparition. Mais ce mot-là fout la trouille. Un peu trop. Je me contenterai pour le moment d’un éloignement. D’une séparation.
Commenter  J’apprécie          181
(...) dans ses yeux virevolte la fougue de ces étés que l'on croirait là pour toujours. Son coeur bat la chamade pour le regard fauve d'un clown aux idées noires. (...) Et maman a bien trop de joie dans les yeux pour voir les blocs de glace amassés à l'endroit du coeur.

(p.29)

Aujourd'hui c'est mon anniversaire et le ciel est aussi pâle que le visage de Maman. Nous sommes seules, flottantes, deux petits fantômes dans la salle à manger trop grande.

(p.21)


Presque chaque jour Maman vient me chercher à l'école en voiture. Et presque chaque jour dans des tenues toujours plus extravagantes que la veille. Maman clignote, multicolore, dans le paysage, comme effrayée de disparaitre, de devenir invisible soudain - si transparante qu'on pourrait passer au travers.
Ses bagues et ses colliers capturent la lumière du soleil. Maman plonge le monde autour d'elle dans l'obscurité.
Je ne vois rien. Je ne vois qu'elle.

(p.83)

Puis des rires. Mon coeur a cessé de battre pour se serrer - douloureux encore. Je sais . J'entends. Des rires et des mots que les autres parents s'échangent en douce. Tantôt amusés, tantôt offusqués par l'allure de Maman. De plus en plus encombrante, Maman. De plus en plus aveuglante, et bruyante même les lèvres closes, si bruyante que je finirai par n'entendre qu'elle, son souffle grave, son désir niché dans l'attente, son indifférence.

(p.84)


Quelle honte
le professeur maintenant il paraît
plusieures fois même c'est ce qu'on dit
vous vous rendez compte
c'est abominable
on ne peut pas le dire autrement
putain - déjà c'était une chose
mais avec le professeur alors là
on n'a jamais vu ca
pauvre petite pauvre petite

(p.89)

C'est un jour comme ca. Un jour qu'on prendrait pour un autre.
Maman est là, puis n'est plus là.

(p.140)

Ainsi j'ai grandi, très vite, comme par inadvertance.
Et à force, un beau jour, les robes de Maman me sont allées comme un gant.
(p.165)
Commenter  J’apprécie          170
Je suis ouverte en grand. Et tout me rentre à l'intérieur, me passe à travers, me colle au coeur et aux poumons. Tout passe sans cesse du dehors au dedans. C'est écoeurant. Écoeurant. Je peux le redire encore. C'est écoerant.

(p.16)
Commenter  J’apprécie          100
Les phrases se jettent au hasard des rues, se faufilent sous les portes comme des courants d’air, entrent dans les oreilles et dans les yeux, crispent les traits du visage dans des attitudes de raillerie et de dégoût. Je ne peux pas éviter les mots qui fusent en tous sens autour de moi, où que j’aille.
Des femmes parlent. Comme on abat un arbre, elles parlent. (…)
J’ai le visage en feu. De l’eau me dégouline des yeux. Un instant je voudrais hurler – j’ai cru à de l’acide le long de mes joues et déjà je me voyais les os dessous. Déjà je me voyais la mort en dedans. Ça brûle, puis la douleur s’étire avant de lentement s’estomper. Ce sont les phrases qui me coulent dessus, liquides et épaisses, poisseuses. Et souvent je brûle, quand elles me rentrent dedans, les phrases, je brûle, le temps que mes yeux les recrachent une à une sur le sol.
Commenter  J’apprécie          60
Maman et moi avons sur l’épaule gauche la même marque brune. Nous sommes faites d’os en vrac et de morceaux de soleil volés. Nous partageons les ombres et les rais de lumière dans les plaines au matin.
Commenter  J’apprécie          40
Maman est fatiguée. C’est comme ca. Elle dit je suis fatiguée, ou il faut que je dorme un peu, ou encore, si je m’allonge, c’est fini, je m’endors. Alors elle va. Elle éteint sa cigarette et monte dans sa chambre. Est ce possible de dormir autant? Non. Elle se cache. Elle en profite pour se taire sans avoir à s’excuser, ni à se mordiller les lèvres, ni à se gratter l’arête du nez. Elle se repose du monde
Commenter  J’apprécie          40
Sara Bourre
Mes mots claquent sur sa peau nue, puis aussitôt s'anéantissent, broyés par son silence.
Commenter  J’apprécie          40
Maman a rendez-vous.
Elle traverse la Seine, son regard glisse sur les flaques de lumière que dessine le soleil à la surface de l'eau. Sa main droite posée délicatement sur son ventre arrondi. Parfois une infime grimace joue à tordre légèrement les lignes de son visage, c'est imperceptible. Maman s'engouffre d'un pas décidé dans une rouelle étroite gorgée d'ombres et de poussières. Ventre humide de la ville.
Premier matin du monde.

Page 41
Commenter  J’apprécie          30
Il y a des jours gris. Et dans ma tête et dans les gens autour et dans le ciel et dans les arbres et partout où je passe. Mon sang est gris aussi, mon cœur, mes os, mes yeux. Tout est gris. Je suis un vieux tas de ferraille. Tout est dur en moi et tout se cogne et je fais des bruits de fer et des odeurs de sang. Je grince. Je fais des accidents. Ce matin c'était le chat. [...] Voilà. C'est ce qu'il se passe les jours où tout est gris. Je fais des accidents. Des bruits de fer et des odeurs de sang.
Je suis un accident.
Commenter  J’apprécie          20
Il y a des jours gris. Et dans ma tête et dans les gens autour et dans le ciel et dans les arbres et partout où je passe. Mon sang est gris aussi, mon cœur, mes os, mes yeux. Tout est gris. Je suis un vieux tas de ferraille. Tout est dur en moi et tout se cogne et je fais des bruits de fer et des odeurs de sang. Je grince. Je fais des accidents. Ce matin c’était le chat.
J’ai serré trop fort la couverture autour de lui pour l’empêcher de miauler. J’ai senti le cœur battre n’importe comment, dans tous les sens le cœur. Un râle. Un sursaut. Et puis plus rien. J’ai lâché le paquet inerte sur le sol. Le gros chat roux avait la langue pendante et les pattes étaient raides comme des bouts de bois. Voilà. C’est ce qu’il se passe les jours où tout est gris. Je fais des accidents. Des bruits de fer et des odeurs de sang.
Je suis un accident.
Commenter  J’apprécie          22
J’occupe le temps. Il faut bouger son corps dans le temps pour qu’il passe, pour qu’il file plus vite, qu’il aille voir plus loin si nous y sommes encore.
Est-ce que nous y sommes encore ?
Voilà une question pleine d’épices et de ronces qu’il faut mastiquer longtemps, très longtemps, avant de pouvoir sentir son véritable goût de sang. Moi j’occupe le temps, depuis toujours je le pousse en avant, le temps gras de l’ennui, le temps sec du désir, le temps des eaux stagnantes et des feux de cheminée. Ce temps dans lequel rien n’a lieu, je le pousse loin là-bas, je le regarde se déployer, hors de moi. Parfois, il prend possession du corps de Maman, il grignote la peau, creuse des cernes et des sillons sur le visage, fait trembler discrètement les mains et le regard.
Je le pousse encore, plus fort et plus loin, et voilà qu’il s’attaque à l’intérieur, prend possession du cœur et des poumons, rampe entre les os. Je le pousse encore un peu plus loin, pour voir. Juste pour voir ce qui casse et ce qui résiste.
Commenter  J’apprécie          20
Maman marche dans les herbes hautes, avant la forêt qui bientôt ne sera plus qu’un grand gouffre noir au milieu du paysage. À mesure que Maman avance, le soleil tombe et s’étale sur la cime des arbres. Transpercé par une foule de branches dressées vers le ciel comme des cornes de taureau, le soleil éclate en une large flaque orange avant de fondre vers la terre et de disparaître tout à fait. (…)
Dans mon dos, la maison est noire et calme. Tout entière prête au sommeil. Les volets sont clos, aucune lumière ne passe. Seule la lune éclaire faiblement les alentours. Seule la lune fait danser les ombres et gémir les pierres sous la neige.
Loin derrière les grands arbres noirs, j’aperçois des lueurs roses, timidement dressées vers le ciel. Des morceaux d’aurore, déposés là au hasard de la nuit, et qui lentement grimpent dans l’hiver noir et blanc.
Je regarde.
Soudain, les étoiles dégringolent une à une, tombent dans la neige, mortes d’épuisement.
L’obscurité peu à peu s’intensifie autour. Le monde est noir et rose. Rien d’autre.
Commenter  J’apprécie          20
Les bouches du village crachent à l’angle des rues, sur la place, au café. Les femmes se tiennent par la langue. Elles bavent en se regardant dans les yeux, agitent leurs mains vers le ciel et secouent leur tête grise au rythme des mots qu’elles se soufflent dessus. (…)
Je marche, les yeux fermés, je traverse la brume formée par l’haleine glacée des femmes qui parlent, debout pendant des heures sur les pavés heurtés par le vent. Dans leurs bras tremblent le pain, le journal du jour, le panier rempli de légumes et de lait. J’avance parmi leurs souffles aigres chargés d’années sèches et noires, de solitude impensable, d’attente anxieuse du dernier printemps.
Commenter  J’apprécie          20
Presque chaque jour Maman vient me chercher à l’école en voiture. Et presque chaque jour, dans des tenues toujours plus extravagantes que la veille. Maman clignote, multicolore, dans le paysage, comme effrayée à l’idée de disparaître, de devenir invisible soudain – si transparente qu’on pourrait passer au travers. Ses bagues et ses colliers capturent la lumière du soleil. Maman plonge le monde autour d’elle dans l’obscurité. Je ne vois rien. Je ne vois qu’elle. (…)
Puis des rires. Mon cœur a cessé de battre pour se serrer – douloureux encore. Je sais. J’entends. Des rires et des mots que les autres parents s’échangent en douce, tantôt amusés, tantôt offusqués par l’allure de Maman. De plus en plus encombrante, Maman. De plus en plus aveuglante, et bruyante même les lèvres closes, si bruyante que je finirai par n’entendre qu’elle, son souffle grave, son désir niché dans l’attente, son indifférence. Je plisse les yeux et je serre les poings, les ongles plantés très fort dans mes paumes. Je voudrais faire venir le sang dans mes mains, éclabousser les pierres du parvis, recouvrir les rires et les mots, jeter un voile redoutable sur Maman qui s’étale, enfle, s’affiche, indécente comme une lune en plein jour. J’enfonce mes ongles plus fort encore jusqu’à me faire couler les larmes au lieu du sang. Je voudrais courir, vite et loin. Je ne bouge pas. C’est comme si les contours du corps de Maman s’élargissaient à mesure que les miens se dissipent dans une brume légère et inconsistante. Bientôt ce serait le monde entier qu’elle avalerait. (…)
Je voudrais lui dire de ne plus venir me chercher à l’école. Si elle veut, elle pourrait m’attendre un peu plus loin. Ou s’habiller autrement, arrêter de venir déguisée, c’est insupportable. Ça me brûle les joues, me monte des pieds jusqu’à la tête : l’envie brutale de disparaître – s’en rendrait-elle compte au moins ? –, ne plus entendre les rires et les mots balancés comme des pierres sur le corps muet de Maman, ne plus voir ce qui chaque jour se casse en elle, l’ignorance qu’elle a de ses propres décombres. Je voudrais lui demander pourquoi cette façon de se tenir debout, immobile, et d’attendre. Je voudrais lui arracher les yeux quand monsieur le professeur foule le sol du parvis et qu’alors ses pupilles tremblent sous ses paupières charbonnées. Je voudrais lui demander pourquoi ça tremble autant, est-ce de joie ou de peur, d’amour ou de rage, ou autre chose encore que j’ignore ?
Commenter  J’apprécie          20
Dans les couloirs du collège, il y a des zones d’ombre, des pièces exiguës qui sentent le renfermé. J’aime m’y dissimuler pendant les pauses, loin de la cour de récréation et de son vacarme, son goût de colère et de solitude. Ici je suis libre. J’entends la rumeur lointaine, les rires, les cris, les mots jetés à pleine voix, les corps qui courent et se chamaillent, les rires encore. Est-ce que parfois je regrette cette exaltation, est-ce que parfois j’ai honte de mettre une telle distance entre moi et les autres ? C’est difficile à dire. Rien n’est vrai dans ma tête. Parfois mon cœur se serre, quand un éclat de rire me parvient, un éclat de verre dans l’œil, d’une pureté aveuglante. Ai-je déjà été capable d’un tel rire ? Je me demande. Puis je pense à autre chose.
Commenter  J’apprécie          20
Je ne m'ennuie pas. Jamais. Il y a beaucoup de choses à penser, à remettre dans le bon ordre, à trier, à imaginer, à se souvenir.
Commenter  J’apprécie          20
Parfois j’ai des pensées comme des échardes à l’intérieur. Des pensées épaisses
brûlantes
des grandes traînées de lave
des explosions
des catastrophes imminentes

dessous ma peau.
Commenter  J’apprécie          10
Où étais-tu ? Que faisais-tu ? Et pourquoi ? Et pour qui ?
Les phrases circulent d'une maison à l'autre, traversent les plaines à la vitesse d'un fauve, ricochent sur le lac, survolent les forêts, arrivent, brutales, cognent aux portes et aux vitres, ne laissent aucun répit.
Personne n'en veut. Personne ne répond. Personne ne sait.
Voila.

Page 8
Commenter  J’apprécie          10
Il est des moments où être seule reste la chose la plus sûre.
Il y a des jours où les baisers de Maman, leur fragilité, leur impossibilité à persister dans le temps, résonnent en moi comme des gifles, des coups de marteau sur la peau du cœur.
Commenter  J’apprécie          10
J’ai le visage en feu. De l’eau me dégouline des yeux. Un instant je voudrais hurler -j’ai cru à de l’acide le long de mes joues et déjà je me voyais les os dessous. Déjà je me voyais la mort en dedans. Ca brûle, puis la douleur s’étire avant de lentement s’estomper. Ce sont les phrases qui me coulent dessus, liquides et épaisses, poisseuses. Et souvent je brûle, quand elles me rentrent dedans, les phrases, je brûle, le temps que mes yeux les recrachent une à une sur le sol.
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Sara Bourre (74)Voir plus

Quiz Voir plus

La Guerre froide : le Mur de Berlin

En quelle année le mur de Berlin a-t-il été érigé ?

1945
1948
1956
1961

13 questions
459 lecteurs ont répondu
Thèmes : histoire , guerre froide , culture générale , humour belge , méduseCréer un quiz sur cet auteur

{* *}