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EAN : 9782882508270
191 pages
Noir sur blanc (02/03/2023)
3.63/5   60 notes
Résumé :
« Maman a disparu. C’est pas simple. Il a fallu le redire plusieurs fois, décomposer la phrase, la prendre et la secouer. Maman a disparu. Quelle folie de phrase. Si je la chuchote, les larmes me montent et me brûlent, si je la prononce avec une voix de fer, comme un vieux robot fatigué, ma-man-a-dis-pa-ru ma-man-a-dis-pa-ru, ça me fout la chair de poule et l’impression d’une catastrophe planétaire imminente. Si je la crie, si je la jette loin sur les routes, en ple... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (41) Voir plus Ajouter une critique
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« Je ne suis pas finie. Il me manque encore quelque chose. Toujours quelque chose. Maman dit que je suis éparse et découpée. Elle dit aussi que je suis poisseuse et encombrante. Et laide, très laide. Je colle partout. Elle dit tu colles partout, c'est insupportable. » Si la jeune narratrice – une pré-adolescente émergeant à peine de l'enfance – est tellement suspendue, entre adoration et haine, aux variations d'humeur de sa mère, c'est qu'elle est née par accident, après un amour malheureux et une tentative d'avortement ratée, et que, chaque jour, au travers des plus ou moins non-dits qui pavent son existence, elle en observe les cruelles conséquences sur leur vie à toutes deux.


L'histoire de Maman est vieille comme le monde et quelques phrases semées d'ellipses aux reflets de puits noirs suffisent à en suggérer les abîmes. Lorsque qu'elle « n'était pas encore Maman », là-bas dans une roulotte en Espagne, elle s'est éprise d'un saltimbanque, un clown triste, torturé et violent, qui ne l'aima que mal et brièvement, avant de disparaître dans l'incendie né des vapeurs de l'alcool. La jeune amoureuse dévastée revint le coeur et les mains vides, mais le ventre gros d'un embarras que rien ne fit passer. Depuis, la mère et l'enfant vivent au bord d'un lac, en marge d'une bourgade provinciale où « les femmes se tiennent par la langue », « lourdes de haine et d'envie », tant « elles sont petites et sottes et ternes à côté de Maman – qui partout brille comme une étoile. »


Avec l'instinct d'un animal grandi comme il a pu dans le sentiment confus d'une disgrâce et d'une insécurité qui l'enjoignent à se faire petit et discret malgré sa soif de caresses, l'enfant s'imprègne, en silence et dans la crainte, des humeurs qui flottent autour d'elle et qui bornent son univers. Inaccessible et souvent méchante dans un chagrin et des désillusions que la fillette n'a que trop conscience d'incarner, cette mère n'est plus en réalité qu'une étoile morte, dont le reste d'éclat tourne peu à peu au clinquant artificiel d'une femme perdue, à mesure que ses fréquentations masculines profitent de plus en plus bassement de sa quête d'attachement amoureux. Son extravagance chaque jour plus désespérée entretient d'autant mieux la prescience d'une catastrophe imminente que l'incipit annonçait sa disparition et que, hantée par la même soif d'amour, sa fille laisse bientôt entrevoir des signes répétés et inquiétants d'une violence latente et explosive. Alors, comment tout cela va-t-il finir ?


Sara Bourre nous plonge dans la matière vivante des émotions sans jamais les formuler, empruntant à la peinture et à la poésie pour une écriture suggestive qui fait l'immense originalité et l'extrême beauté de ce premier roman. En moins de deux cents pages ciselées comme des poèmes en prose, chaque mot précis et dense de sens contribuant à un précipité d'images et de sensations presque physiques, elle incarne avec force et singularité une histoire universelle, laissant entrevoir, sous sa surface superbement stylisée, le vertige de dangereux précipices psychologiques. Un livre et une plume magnifiques, pour un immense coup de coeur.


Un grand merci à Babelio et aux éditions Noir sur Blanc pour cette magnifique découverte.

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L'amour ne sauve pas de la folie,
Pas plus qu'un baiser sur le front ne guérit du mal de tête.


Un livre petit, à peine 193 pages, mais remarquable. Il se compose de petits textes d'une, voir deux ou trois pages. Des textes qui s'enchaînent, dans un ordre vaguement chronologique. Et qui racontent une histoire. Un conte de fées. Comme ces contes que l'on racontait jadis, aux enfants. Des histoires de forêts sombres, d'animaux menaçants - ou au contraire très humains - de fées, de lacs, de sorcières. de maléfices et de sorts. de mort, enfn.


Une femme sans nom rencontre un clown sans visage et en tombe amoureux. Elle le suit, parcourant l'Espagne de ville en ville, l'admirant quand il brûle au feu des projecteurs, sur la piste du grand chapiteau; Mais tout ce qui brille n'est pas d'or - ces histoires avaient souvent une morale, c'est pourquoi on les racontait aux enfants - et sous le maquillage, derrière le rire, se cachait un être blessé, violent.Mais l'amour veut croire, croire en l'autre, et même se poser en justification de l'autre et, par retour, en justification de soi. L'amour nous transformera ! Puis vient le moment de l'aveu : je suis enceinte - estoy embarazada : quelle légèreté dans l'expression. Et quelle violence dans la réaction. Les cris, l'alcool, les coups et l'accident fatal : le clown a roulé dans le ravin qui, toujours, longeait sa vie. A défaut de justification, il ne reste plus qu'à rentrer. Et à se défaire de cet enfant qu'on ne saurait élever. Mais même là, c'est l'échec. Alors la femme sans nom met au monde - on ne sait où, on ne sait comment - une fillette qui, elle non plus, n'a pas de nom. L'une continue à chercher de façon de plus en plus tapageuse un amour de moins en moins probable. L'autre grandit et, sans le savoir, faute d'appuis, commence à marcher dans les pas de celle qui l'a mise au monde. Autour, le monde, justement, jase, juge et condamne.

Le texte, par sa sobriété, par son usage des images et des songes, rend à merveille le monde mental d'une petite fille de plus en plus troublée, incapable de s'associer aux enfants de son âge ou d'apprendre quoi que ce soit à l'école. Une enfant dont le monde est centré sur une femme qui n'a pu trouver sa place qu'en marge d'une société qui la juge et la tolère de plus en plus mal. Un livre précédent du même auteur était une étude non romanesque des sorcières, et l'on voit poindre ici l'image de femmes marginalisées, condamnées, à la fois par la communauté aux lisières de laquelle elles vivent, et par des problèmes mentaux sérieux et non traités. Un livre qui, à mon sens, traite brillamment de la folie, de sa génèse et de son rejet.

Au niveau de mon propre ressenti, je donne une très bonne note à ce livre suite à son écriture. Mais sa thématique me fait horreur. J'aime la lumière, le sens, la raison. L'obscurité, la folie, la mort sont des choses qui m'inspirent une horreur infinie.


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Ce roman commence un peu comme celui de Camus. Mais à la place d' »aujourd'hui, maman est morte », nous avons ce cri de détresse : « Maman a disparu ». La narratrice s'inquiète, se désole. Nous assisterons, à travers ses pensées, à la vie de cette mère, une vie pas facile. Seule à élever une enfant dans un village où les cancans vont bon train… Seule à essayer de nourrir sa petite en n'ayant que son corps en héritage…
C'est un roman poignant et percutant que nous offre ici Sara Bourre. J'ai pris une claque magistrale, et ce n'est rien de le dire ! L'écriture est incisive, mimétique de la vie des deux personnages. Ce premier livre, fruit d'un travail pour un master en création littéraire, est un petit bijou. J'ai reconnu l'influence de références littéraires, l'histoire m'a fait penser à d'autres romans mais la plume est unique.
Chapeau l'artiste !
Lien : https://promenadesculturelle..
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« Aujourd'hui, Maman est morte », écrivait Camus dans L'Etranger. le roman de Sara Bourre, lui, commence par « Maman a disparu ». La narratrice, une adolescente, est désespérée par cette disparition. Pourtant, Maman n'était pas une femme sur qui elle pouvait vraiment compter. Femme fantasque, collectionneuse d'hommes, fumant et buvant, objet des rumeurs incessantes de ce village qui apparaissent un peu comme un choeur, elle faisait vivre sa fille en marge de la société, et regrettait d'avoir eu un enfant, avec qui elle adoptait un comportement tantôt exubérant, tantôt indifférent, en tout cas très déstabilisant. Dans la vie de la jeune fille, il y a aussi Monsieur le professeur, qui enseigne au collège et a les mains baladeuses. ● Je reconnais que ce roman peut plaire par son style très original : très poétique, embrouillé, alambiqué, ce style n'est pas au service de l'histoire racontée, au contraire, il la rend confuse à dessein. ● C'est la jeune fille qui parle, parfois surgissent des éclairs poétiques, parfois les phrases se déploient davantage ; on a l'impression d'assister à la peinture d'un tableau, l'écriture progresse par petites touches, et il est beaucoup fait mention des couleurs, souvent de façon étrange. ● Mais comme toujours lorsque le style prédomine aussi fortement sur l'intrigue, je n'aime pas… Pour moi, il faut un bon équilibre entre style et intrigue auquel seuls les plus grands parviennent. Ici le style noie l'intrigue et même les personnages, qui apparaissent comme des silhouettes fugitives qu'on a du mal à se représenter. ● Je remercie #NetGalleyFrance et les éditions #NoirSurBlanc de m'avoir permis de lire cet ouvrage. #MamanLaNuit.
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Je me suis absenté de Babelio et du monde tourmenté des adultes avec ce petit livre.
Dans la tête d'une pré-adolescente, je me suis retrouvé. Et j'ai grandi avec elle, épousé ses propres tourments, endossé sa laideur, une laideur qui vient d'ailleurs:
"Je ne suis pas finie. Il me manque encore quelque chose. Toujours quelque chose. Maman dit aussi que je suis poisseuse et encombrante. Et laide, très laide.Je colle partout. Elle dit tu colles partout, c'est insupportable..."
J'ai entendu l'impensable, l'insoutenable de cette mère dont on sait, dès l'incipit, qu'elle va disparaitre.
Cette mère, Maman, me dit, lui dit l'origine de tout:
"...tu es née dans le basculement de la nuit et du jour tu es née comme tout le monde naît, avec du sang et du désespoir dedans...dans l'eau noire et épaisse, dans le sexe douloureux d'une femme qui ne peut plus porter le poids de son propre visage."
L'enfant d'un clown triste et d'une fantaisie espagnole va se construire dans l'ombre et la sciure.
Comment voulez-vous qu'elle y survive ? Comment voulez-vous qu'elle survive à Maman, que l'on voit de dos, sur la couverture du livre, dans l'eau sombre et glacé d'un lac ?
Sara Bourre nous propose un récit d'une exceptionnelle densité dramatique, un premier livre très fort, un condensé de résilience imprégné de silence.
Ce poème écrit en prose évite tous les écueils du genre. La plume est soignée, stylée, ciselée. Elle est soumise à la narration ( et non l'inverse) et nous impose une succession d'images douloureusement incarnées.
Malgré l'apparente banalité du thème (on n'échappe pas à la répétition) , rien n'est convenu.
Alors oui, ce n'est pas follement gai comme livre de voyage, mais il y a comme une promesse. Une promesse de joies à venir et, qui sait, de rencontres éclatantes, apaisantes, étonnantes.
Un grand merci à Babelio et aux éditions Noir sur Blanc.
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critiques presse (2)
LeMonde
16 juin 2023
Tout coule dans ce premier roman. L’eau noire du lac, le mauvais vin, le sang entre les jambes des femmes, la lave des catastrophes imminentes.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeFigaro
22 mai 2023
Un matin, une enfant se réveille et sa mère a disparu.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (50) Voir plus Ajouter une citation
(...) dans ses yeux virevolte la fougue de ces étés que l'on croirait là pour toujours. Son coeur bat la chamade pour le regard fauve d'un clown aux idées noires. (...) Et maman a bien trop de joie dans les yeux pour voir les blocs de glace amassés à l'endroit du coeur.

(p.29)

Aujourd'hui c'est mon anniversaire et le ciel est aussi pâle que le visage de Maman. Nous sommes seules, flottantes, deux petits fantômes dans la salle à manger trop grande.

(p.21)


Presque chaque jour Maman vient me chercher à l'école en voiture. Et presque chaque jour dans des tenues toujours plus extravagantes que la veille. Maman clignote, multicolore, dans le paysage, comme effrayée de disparaitre, de devenir invisible soudain - si transparante qu'on pourrait passer au travers.
Ses bagues et ses colliers capturent la lumière du soleil. Maman plonge le monde autour d'elle dans l'obscurité.
Je ne vois rien. Je ne vois qu'elle.

(p.83)

Puis des rires. Mon coeur a cessé de battre pour se serrer - douloureux encore. Je sais . J'entends. Des rires et des mots que les autres parents s'échangent en douce. Tantôt amusés, tantôt offusqués par l'allure de Maman. De plus en plus encombrante, Maman. De plus en plus aveuglante, et bruyante même les lèvres closes, si bruyante que je finirai par n'entendre qu'elle, son souffle grave, son désir niché dans l'attente, son indifférence.

(p.84)


Quelle honte
le professeur maintenant il paraît
plusieures fois même c'est ce qu'on dit
vous vous rendez compte
c'est abominable
on ne peut pas le dire autrement
putain - déjà c'était une chose
mais avec le professeur alors là
on n'a jamais vu ca
pauvre petite pauvre petite

(p.89)

C'est un jour comme ca. Un jour qu'on prendrait pour un autre.
Maman est là, puis n'est plus là.

(p.140)

Ainsi j'ai grandi, très vite, comme par inadvertance.
Et à force, un beau jour, les robes de Maman me sont allées comme un gant.
(p.165)
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Souvent je parle seule. Je parle mal. Je laisse les mots couler de ma bouche, un à un, se perdre dans l’espace trouble de ma solitude. Ma séparation. Il faut bien veiller à être séparé, toujours. Séparé de soi-même avant tout. Pas coupé n’importe comment, non, mais séparé en beauté si j’ose dire, proprement, à l’endroit où toute confusion de soi avec soi deviendrait dangereuse. Séparé, et ainsi surveiller les lacs noirs qui parfois se mettent à gronder en silence.
Il faut maintenir l’ordre à l’intérieur de soi. Il faut se maintenir en vie aussi loin que possible. Et peu importe si pour cela on parle seul, on parle mal, on parle sans arrêt, sans réponse, sans écho. Ne pas avoir peur. Jamais. La peur, je la tiens dans mon poing s’il le faut, je la serre de toutes mes forces, je la broie s’il le faut. Je la hais. Je lui flanque une raclée, et une autre encore, je lui crève les yeux, je lui casse le crâne, je lui flanque la mort, je lui brouille les pistes, je la traque, je la crève, je l’oublie. La peur n’a jamais existé.
Je continue ma route. Tranquille.
Il faut rire beaucoup, très fort et très longtemps, pour venir à bout d’un tel adversaire. Il faut rire et décupler de rage et d’énergie, surtout ne pas prêter attention aux petits cris stupides de Maman. Continuer, encore et encore, frapper en plein cœur. Tenir la joie, la distance. Puis s’en aller. Ne pas se retourner.
Crier victoire.
Alors je peux continuer, tranquillement, à parler seule, à parler mal, à jouir sans limite de mon éloignement, je pourrais même dire de ma disparition. Mais ce mot-là fout la trouille. Un peu trop. Je me contenterai pour le moment d’un éloignement. D’une séparation.
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Presque chaque jour Maman vient me chercher à l’école en voiture. Et presque chaque jour, dans des tenues toujours plus extravagantes que la veille. Maman clignote, multicolore, dans le paysage, comme effrayée à l’idée de disparaître, de devenir invisible soudain – si transparente qu’on pourrait passer au travers. Ses bagues et ses colliers capturent la lumière du soleil. Maman plonge le monde autour d’elle dans l’obscurité. Je ne vois rien. Je ne vois qu’elle. (…)
Puis des rires. Mon cœur a cessé de battre pour se serrer – douloureux encore. Je sais. J’entends. Des rires et des mots que les autres parents s’échangent en douce, tantôt amusés, tantôt offusqués par l’allure de Maman. De plus en plus encombrante, Maman. De plus en plus aveuglante, et bruyante même les lèvres closes, si bruyante que je finirai par n’entendre qu’elle, son souffle grave, son désir niché dans l’attente, son indifférence. Je plisse les yeux et je serre les poings, les ongles plantés très fort dans mes paumes. Je voudrais faire venir le sang dans mes mains, éclabousser les pierres du parvis, recouvrir les rires et les mots, jeter un voile redoutable sur Maman qui s’étale, enfle, s’affiche, indécente comme une lune en plein jour. J’enfonce mes ongles plus fort encore jusqu’à me faire couler les larmes au lieu du sang. Je voudrais courir, vite et loin. Je ne bouge pas. C’est comme si les contours du corps de Maman s’élargissaient à mesure que les miens se dissipent dans une brume légère et inconsistante. Bientôt ce serait le monde entier qu’elle avalerait. (…)
Je voudrais lui dire de ne plus venir me chercher à l’école. Si elle veut, elle pourrait m’attendre un peu plus loin. Ou s’habiller autrement, arrêter de venir déguisée, c’est insupportable. Ça me brûle les joues, me monte des pieds jusqu’à la tête : l’envie brutale de disparaître – s’en rendrait-elle compte au moins ? –, ne plus entendre les rires et les mots balancés comme des pierres sur le corps muet de Maman, ne plus voir ce qui chaque jour se casse en elle, l’ignorance qu’elle a de ses propres décombres. Je voudrais lui demander pourquoi cette façon de se tenir debout, immobile, et d’attendre. Je voudrais lui arracher les yeux quand monsieur le professeur foule le sol du parvis et qu’alors ses pupilles tremblent sous ses paupières charbonnées. Je voudrais lui demander pourquoi ça tremble autant, est-ce de joie ou de peur, d’amour ou de rage, ou autre chose encore que j’ignore ?
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Les phrases se jettent au hasard des rues, se faufilent sous les portes comme des courants d’air, entrent dans les oreilles et dans les yeux, crispent les traits du visage dans des attitudes de raillerie et de dégoût. Je ne peux pas éviter les mots qui fusent en tous sens autour de moi, où que j’aille.
Des femmes parlent. Comme on abat un arbre, elles parlent. (…)
J’ai le visage en feu. De l’eau me dégouline des yeux. Un instant je voudrais hurler – j’ai cru à de l’acide le long de mes joues et déjà je me voyais les os dessous. Déjà je me voyais la mort en dedans. Ça brûle, puis la douleur s’étire avant de lentement s’estomper. Ce sont les phrases qui me coulent dessus, liquides et épaisses, poisseuses. Et souvent je brûle, quand elles me rentrent dedans, les phrases, je brûle, le temps que mes yeux les recrachent une à une sur le sol.
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Maman marche dans les herbes hautes, avant la forêt qui bientôt ne sera plus qu’un grand gouffre noir au milieu du paysage. À mesure que Maman avance, le soleil tombe et s’étale sur la cime des arbres. Transpercé par une foule de branches dressées vers le ciel comme des cornes de taureau, le soleil éclate en une large flaque orange avant de fondre vers la terre et de disparaître tout à fait. (…)
Dans mon dos, la maison est noire et calme. Tout entière prête au sommeil. Les volets sont clos, aucune lumière ne passe. Seule la lune éclaire faiblement les alentours. Seule la lune fait danser les ombres et gémir les pierres sous la neige.
Loin derrière les grands arbres noirs, j’aperçois des lueurs roses, timidement dressées vers le ciel. Des morceaux d’aurore, déposés là au hasard de la nuit, et qui lentement grimpent dans l’hiver noir et blanc.
Je regarde.
Soudain, les étoiles dégringolent une à une, tombent dans la neige, mortes d’épuisement.
L’obscurité peu à peu s’intensifie autour. Le monde est noir et rose. Rien d’autre.
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VLEEL 241 Rencontre littéraire avec Sara Bourre, Maman, la nuit, Éditions Noir sur blanc Notabilia
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