Je me suis absenté de Babelio et du monde tourmenté des adultes avec ce petit livre.
Dans la tête d'une pré-adolescente, je me suis retrouvé. Et j'ai grandi avec elle, épousé ses propres tourments, endossé sa laideur, une laideur qui vient d'ailleurs:
"Je ne suis pas finie. Il me manque encore quelque chose. Toujours quelque chose. Maman dit aussi que je suis poisseuse et encombrante. Et laide, très laide.Je colle partout. Elle dit tu colles partout, c'est insupportable..."
J'ai entendu l'impensable, l'insoutenable de cette mère dont on sait, dès l'incipit, qu'elle va disparaitre.
Cette mère, Maman, me dit, lui dit l'origine de tout:
"...tu es née dans le basculement de la nuit et du jour tu es née comme tout le monde naît, avec du sang et du désespoir dedans...dans l'eau noire et épaisse, dans le sexe douloureux d'une femme qui ne peut plus porter le poids de son propre visage."
L'enfant d'un clown triste et d'une fantaisie espagnole va se construire dans l'ombre et la sciure.
Comment voulez-vous qu'elle y survive ? Comment voulez-vous qu'elle survive à Maman, que l'on voit de dos, sur la couverture du livre, dans l'eau sombre et glacé d'un lac ?
Sara Bourre nous propose un récit d'une exceptionnelle densité dramatique, un premier livre très fort, un condensé de résilience imprégné de silence.
Ce poème écrit en prose évite tous les écueils du genre. La plume est soignée, stylée, ciselée. Elle est soumise à la narration ( et non l'inverse) et nous impose une succession d'images douloureusement incarnées.
Malgré l'apparente banalité du thème (on n'échappe pas à la répétition) , rien n'est convenu.
Alors oui, ce n'est pas follement gai comme livre de voyage, mais il y a comme une promesse. Une promesse de joies à venir et, qui sait, de rencontres éclatantes, apaisantes, étonnantes.
Un grand merci à Babelio et aux éditions Noir sur Blanc.