Si je ne bouge pas, la mort ne me voit pas
Un homme, un village et son passé lointain. Une recherche en fin du XIème siècle. La reconstitution plausible de la vie d’une femme, née fille de Normand se mariant à un fils de rabbin. Vigdis devenue Hamoutal, « La porte de la liberté s’ouvre en grand, mais c’est un piège ». Une double traversée des lieux et des temps (avec quelques anachronismes comme ces mots pogrom et antisémitisme d’invention beaucoup plus tardive ; je m’interroge aussi sur ces sentiments amoureux qui semblent venir d’une époque plus moderne) par l’auteur et son personnage. Stefan Hertmans indique : « Ce livre s’inspire d’une histoire vraie. Il est le fruit à la fois de recherches approfondies et d’une empathie créative ».
Donner ou redonner vie à des personnages relève en effet d’une empathie créative, « Je sais qui ils sont. Je sais qui ils fuient ».
Le Moyen Age n’est pas cette légende noire construite plus tard et réexaminée de manière très critique par des historiens tels Marc Bloch ou Georges Duby. L’auteur nous invite dans des villages et des villes, des refuges aux personnes de passage et aux fugitifs, des communautés juives et des yeshiva ou des synagogues, Rouen et Narbonne. Un récit sombre, non linéaire, fait de détours et d’interrogations, d’inscriptions et de conjonctures, « les mettre hors de portée des chevaliers chrétiens que le père normand de la jeune femme a lancés à sa poursuite avec l’ordre de la ramener », de sentiments amoureux et religieux, de refus et d’accueil, de fuite, « Ici, Hamotal doit prendre peu à peu congé de Vigdis Adélaïs », de liberté et de danger de mort, de présence et de création, « Mon illusion, mon désir de percevoir le moindre détail de cette femme aboutissent à la constatation qu’aujourd’hui elle n’est présente nulle part en dehors de mon imagination ». Il est loin et compliqué le chemin de Rouen à Narbonne lorsque l’on se cache, lorsqu’on se convertit ou que l’on quitte sa communauté de naissance.
Narbonne, puis Arles et Avignon, « On est encore en 1091. Le monde occidental glisse lentement vers une catastrophe, une fracture dans l’histoire, et personne ne le voit venir . Le contemporain ne sait rien », Moniou, la naissance de Yaakov puis de Justa, le calme et des chevaliers à la porte.
Le monde bousculé par Urbain le pape des catholiques et la volonté de croisade, le mouvement de chevaliers aux cris de « Dieu le veut ! », le carnage, l’enlèvement des enfants, la fuite à nouveau mais cette fois seule et pour une destination encore plus lointaine. Aller à Yerushalayim.
Je souligne les approches des traces de l’auteur, le passé au présent, la présence absence, les lieux dans les lieux.
Les nouvelles routes et la volonté de retrouver ses enfants, « Le pourtour de la Méditerranée bouillonne d’activités confuses qui accompagnent les récentes migrations », Gênes, Palerme, Alexandrie, le Caire, « j’ai compris que je ne pourrais me rapprocher d’Hamoutal qu’en oubliant tout ce que je voyais autour de moi », les traces et les reconstitutions, les communautés et les refuges, « Elle prend conscience plus que jamais que nulle part elle ne pourra encore être vraiment en sécurité », la nouvelle que les enfants sont en vie et à Rouen…
La fin de tout repos, « si je ne bouge pas, la mort ne me voit pas », Najera, la perte et la folie, les récits des « pogroms » et les destructions, la mort.
Ailleurs et ce qui permet de (re)construire une partie de l’histoire, « Le monde tourne, mais quand on retient un instant sa respiration, il s’immobilise »…
Un beau portrait de femme, de résistante à l’ordre masculin et chrétien du monde. Un conte tantôt grimaçant tantôt souriant dans le chaos des vies. La force de l’espérance.
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