Le lendemain je me suis réveillé, sans même
le faire exprès, plus tôt que d'habitude, j'ai respiré une bonne bouffée d'air frais sur le balcon.
Sur la route il y avait un fort parfum de
roquette, des rangées de vignes pendaient les
grappes de raisin très mûres, jaunes, parfumées.
l'air en était plein. Je me suis dit : est-ce que ça
vaut la peine d'aller travailler, d'aller moisir la-
dedans pour dix mille lires ? Qui m'en redonnera, des matinées comme celle-ci, dix mille
lires, rien que dix mille lires, ne valent pas un
souffle de cet air. Je suis monté à la maison, j'ai
pris une bouteille de vin et je suis parti à travers
champs sans but, en m'éloignant pas mal du village. Plus je marchais, plus la terre avait un parfum de marguerites, de roquette, de mousse. Je défie tous les chiens de patrons du monde de me chercher dans tout ce parfum, j'en défie tous les gardiens du monde.
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Le contremaître m'avait demandé de faire
des heures supplémentaires le lendemain. Il m'a
dit : "Di Ciaula, il y a longtemps que tu ne fais
pas d'heures supplémentaires, demain tu peux
venir, c'est samedi, tu pourras te reposer
dimanche. Viens de 7 heures à 1 heure, Viens.
c'est toujours des sous de gagnés." Il me regar-
dait et moi, sans avoir l'air de rien, je continuais
à regarder Ia pièce que j'étais en train de travail.
ler. Je lui ai dit ""bon" pour qu'il se tire de la,
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Ce matin, moi, ouvrier métallurgiste, fils de la cgil cisl uil, petit fils de la flm, quand j'ai posé mes mains sur les manettes de mon tour, je me suis senti un con, je me suis mis à crier comme un fou que je voulais mourir, que je voulais retourner piocher la terre, retourner charmer les serpents, faire des mélanges d'herbes vénéneuses, danser la saltarelle et la tarentelle, que je voulais retourner enculer les chèvres.
Je me sentais plus fatigué que jamais. Les heures passaient lentement. Huit heures de travail. Pourtant je ne reste jamais huit heures à manger. Huit heures de suite à dormir, huit heures de suite à m'amuser toujours, huit heures à faire l'amour, et pourtant ici je dois rester à travailler pendant huit longues heures. (p.188-189)
Dans les villages, les princes et les marquis viennent encore toucher le fermage de leurs terres. Histoires de fous, nous sommes allés sur la lune et il existe encore des princes et des barons, princes de merde. On devrait tous leur couper la tête. (p. 22)
Qu'est-ce qu'on attend pour mettre des singes sur ces machines? Moi je proposerais ça à Agnelli: les singes à l'usine et les ouvriers dans les arbres. Quelquefois, j'ai l'impression que nous sommes plus bêtes que des singes. (p. 18)