Citations de Valérie Clo (84)
Lorsqu'on croise une femme de mon âge, la premiére chose qui vient à l'esprit , en général, n'est pas qu'elle a aimé passionnément, qu'elle a désiré , tremblé devant son amant . On ne voit que sa vieille carcasse , sa peau usée et ses cheveux blancs . On imagine qu'elle a toujours eu cette tête-là . On l'observe se mouvoir avec difficulté et on oublie qu'elle a couru et dansé. On oublie aussi qu'elle a eu des responsabilités, quelquefois un travail prenant , souvent des enfants . Qu'elle s'est perdue , parfois , qu'elle a souffert , qu'elle a eu peur aussi . On adore lui prêter des qualités de sagesse . C'est rassurant . La moindre des choses , à cet âge- là . Mais l'amour , non , il ne fait pas bon ménage avec la vieillesse , il est l'apanage de la jeunesse .Il y a quelque chose d'indécent à même l'imaginer.
Et pourtant ! ( p 191 )
Il est dix-huit heures quand on sonne à la porte de l'appartement. Je regarde par l’œil-de-bœuf. C'est le voisin. Panique à bord. Je suis complètement débraillée, je me regarde dans la glace, on dirait une folle. J'appelle ma fille, la grande, je la supplie d'aller ouvrir à ma place. Please. Pitié, là je ne peux pas. J'ai envie de voir personne et surtout pas un homme, je ne suis pas en état. Elle me regarde avec un mélange de surprise et de mépris, ne sachant pas si elle doit me rigoler à la figure ou me considérer comme un cas désespéré. S'il te plaît, je te revaudrai ça. Je vais m'enfermer dans mon bureau. Je ne suis là pour personne. Travail urgent à terminer. Je colle mon oreille à la porte, mais comme je suis à l'autre bout de l'appartement je n'entends rien. Ma fille revient vers moi, elle me trouve derrière la porte, ce qui n'arrange rien. Il voulait savoir si on pouvait lui prêter des chevilles molly. Je ne sais pas ce que c'est. Apparemment ma fille, oui. Elle lui a répondu qu'on n'en avait pas en magasin. Avant de retourner dans sa chambre, elle me lance avec un air hautain que je devrais vraiment penser à consulter. Parce qu'être aussi immature à mon âge, c'est vraiment très inquiétant.
Quand je regarde ma fille, la grande, qui hurle pour un oui ou pour un non, et mon fils, affalé sur le canapé, avec ses pieds taille 47 qui dépassent, je me demande si ce sont bien mes enfants. Qui sont ces deux jeunes gens dans mon salon ? A qui appartiennent-ils ? Il faut absolument que leurs parents viennent les chercher. Ils ne vont pas pouvoir rester là. Non, non, non, c'est pas possible.
Il y a urgence à profiter de la vie et à flirter avec l'exceptionnel.
Mon corps a vieilli mais mon coeur a gardé le goût de l'amour et des grands sentiments .Au fond de moi , je suis toujours une jeune fille. Et de toutes les affaires , celle de l'amour est sans doute celle que je regretterai le plus . Il ne me faut pas grand- chose , une musique , une image dans un film , un regard pour faire chavirer mon coeur .J'ai beau avoir quatre - vingt- quatre ans et être raisonnable , mon âme, elle , c'est idiot , a toujours vingt ans , et c'est comme si elle attendait encore d'être remuée par les grands sentiments . ( p187 )
Qu'est-ce que le mauvais goût? C'est invariablement le goût de l'époque qui nous a précédés. Tous les enfants ne trouvent-ils pas leur père ridicule?
Flaubert
J'ai presque dix-huit ans, et je traque mes premières rides avec impatience. Je ne peux espérer un emploi avant une vingtaine d'années. En attendant, je dois regarder les vieux prendre les bonnes places. On est tous dans le même bateau, mais ce qui est réconfortant c'est qu'un jour viendra où nous aurons enfin le pouvoir. Et croyez-moi, on l'appréciera, on regardera les jeunes galérer avec leur peau de bébé, et on se rappellera le temps de la jeunesse sans aucune nostalgie.
Maintenant quand je passe une soirée à regarder la télé, lovée dans mon canapé, j’ai l’impression d’un énorme gâchis. Chaque minute que je perds à ne rien faire me fout le moral à zéro. J’éprouve le même sentiment dans les soirées où les gens m’ennuient ou pire encore, si je constate qu’eux aussi sont dans le même état que moi, qu’ils essaient d’oublier le temps qui passe, en se saoulant de paroles ou d’alcool. Je préfère encore regarder la télé.
L'enseignement est sous contrôle et l'histoire n'est plus au programme depuis longtemps. Les dernières bibliothèques sont interdites aux moins de quarante ans.
Il faut pouvoir le faire , son métier, à Maryline .Je voudrais bien l'y voir , ma fille , à mettre les mains dans la vieillesse , elle qui est si délicate et s'évanouit devant le moindre bobo . Parce qu'ici , je ne vais pas faire un dessin ,mais il n'y a pas que des apollons . Et il faut pouvoir nettoyer , soigner , laver , changer , lever , border tout ce petit monde . En évitant d'appuyer sur le fait que la plupart d'entre nous sont devenus complètement dépendants . C'est un art subtil et il faut avoir une santé de fer .Un dos en béton armé, surtout lorsque certains n'ont plus conscience de leur poids et ne peuvent même plus soulever une petite cuillère. ( p 42 )
Mes filles ne parlent pas, elles hurlent. Parfois ça m'inquiète, est-ce qu'elles ne deviendraient pas complètement sourdes, comme leur père ? Mon fils, lui, a tendance à chuchoter. cela exaspère beaucoup son père, qui imagine qu'il le fait exprès pour l'emmerder.
Avec les yeux qui brillent , elle m'a dit " je suis mordue " et m'a demandé si je comprenais ce que ça voulait dire , comme si je n'avais jamais été amoureuse . C'est drôle, les jeunes ont du mal à s'imaginer que nous aussi on a eu vingt ans et qu'on a été passionnés . ( p 106 )
Chassée, repoussée, mal aimée, la solitude gagne du terrain avec le temps, elle envahit l'espace petit à petit, rappelant à ceux qui l'auraient oubliée qu'elle est la dernière compagne de l'hiver.
Parfois, dans la nuit, je me réveille en sursaut, et je me dis, c'est pas possible, j'ai déjà quarante-deux ans. Non mais qu'est ce que j'ai foutu depuis vingt ans ? C'est passé tellement vite, j'ai l'impression de n'avoir rien fait d'extraordinaire. Il y a urgence à profiter de la vie et à flirter avec l'exceptionnel. Ce n'est pas quand j'aurai l'âge de ma mère que je pourrai le faire. Maintenant quand je passe une soirée à regarder la télé, lovée dans mon canapé, j'ai l'impression d'un énorme gâchis. Chaque minute que je perds à ne rien faire me fout le moral à zéro. J'éprouve le même sentiment dans les soirées où les gens m'ennuient ou pire encore, si je constate qu'eux aussi sont dans le même état que moi, qu'ils essaient d'oublier le temps qui passe, en se saoulant de paroles ou d'alcool. Je préfère encore regarder la télé.
Loïs en est certain maintenant, depuis que les vieux ont pris le pouvoir, ils veulent cacher leur histoire, ils préfèrent oublier cette époque où les jeunes dirigeaient et faisaient les lois. Ils ont tellement peur que ça recommence qu'ils ont organisé la société pour nous maintenir dans l'ignorance. Nous n'avons aucune échappatoire et sommes obligés de suivre le chemin tracé. Les jeunes sont tellement conditionnés qu'ils ne cherchent même plus à comprendre. Ils avancent, aveuglés, et concentrés sur la prochaine ascension, ne sachant pas qu'ils font ainsi le lit du pouvoir en place. Loïs a décidé de ne pas accepter cette pensée unique et de tout faire pour informer les jeunes. Beaucoup trop sont en souffrance, meurent d'ennui, ou de pauvreté. Ils errent ainsi des décennies, pensant qu'il n'y a pas d'autre solution que de suivre le chemin imposé.
L'autre fois, pendant que je faisais la sieste, elle a compté mes cheveux blancs, elle en a trouvé une vingtaine. Elle a prévenu sa sœur qui lui a dit que c'était le début de la fin et les a coupés avec des ciseaux. Quand j'ai ouvert les yeux, j'ai trouvé les vingt-trois cheveux blancs alignés sur ma table de nuit. J'ai hurlé.
« Une fois n’est pas coutume, ma fille m’a encore traitée d’irresponsable. Cette fois, c’est parce que j’ai refusé de me faire vacciner contre la grippe »...... « De toute façon, à un certain âge, il faut bien décaniller de quelque chose. »
Je ne sais pas ce qu'il se passe dans cette maison avec le papier toilette. C'est pas possible, j'ai l'impression que mes enfants le mangent, je passe mon temps à en acheter. Je ne supporte plus quand ils sont dans les W.-C. et qu'ils crient "Maman, y a plus de papier! ". Comme si j'étais responsable du stock. Ils ne peuvent pas s'apercevoir avant d'y aller qu'il n'y en a plus? Non, ils attendent d'être sur le trône.
La mort, je l'ai côtoyée si souvent que j'ai appris à reconnaître son souffle glacée et le silence qui la précède.
Curieux objet que le livre en papier. Où, au lieu d'effleurer l'écran, on doit tourner les pages à la main, une à une, et parfois même forcer un peu pour les maintenir ouvertes. on dirait un objet mort que l'on sort de son cercueil. Il a perdu de sa fraîcheur et avec le temps, avant de disparaître, il tombe en lambeaux.