Cherche-moi à travers la clarté printanière.
Je suis l'envol d'ailes que nul n'a entendu,
Je suis un soupir, rayon de soleil qui erre,
Mais plus léger: le voici là, j'ai disparu.(...)
Ferme un instant les yeux et que ton pas s'arrête .
Voilà, je vais faire un effort, encore un peu,
Et tout au bout de tes doigts frémissants, peut-être,
Je jaillirai-invisible plume de feu.
À travers le jour maussade, hivernal
– Elle porte un sac, et lui une malle –
Tous deux vont clopinant, femme et mari,
Sur le parquet des flaques de Paris.
Je les avais suivis assez longtemps,
Pour atteindre une gare finalement.
Elle se taisait, et lui tout autant.
Qu’auraient-ils pu se dire, mon ami Jacques ?
Lui avec sa malle, elle avec son sac…
Quatre talons qui piétinaient les flaques.
1927
Devant le miroir
Nel mezzo del cammin di nostra vita *
Moi, moi, moi… Quel mot insensé !
Se peut-il que cet homme, là-bas, ce soit moi ?
Est-ce lui que maman a aimé —
Teint jaune-gris, cheveux blanchissants,
Omniscient comme le serpent ?
Le garçon qui dans les villas d'Ostankino
Dansait aux bals des estivants,
Est-ce lui qui par chaque répartie
Inspire aux poètes débutants
Le dégoût, la colère et l'effroi ?
Et celui qui dans les discussions de minuit
Mettait toute la fougue de l'adolescence,
Est-ce le même qui sait aujourd'hui
Lors des conversations tragiques
Plaisanter ou garder le silence ?
D'ailleurs — il en est toujours ainsi
Au milieu du chemin fatal de la vie —
D'un petit rien à un autre petit rien,
Et tu te vois soudain perdu dans le désert,
Sans pouvoir retrouver la trace de tes pas.
Ce ne sont pas les bonds de la panthère
Qui m'ont relégué sous les toits de Paris,
Et Virgile ne se tient pas à mes côtés —
Seule est la solitude dans le cadre
Du miroir qui dit la vérité.
1924
/traduction du russe par Nikita Struve.
* « Au milieu du chemin de notre vie » premier vers du Chant I de l'Enfer, première partie de la Divine Comédie de Dante Alighieri.
Pétersbourg
Aux malheurs pitoyables et monocordes
Tous s’adonnaient, à en être hébétés.
Moi seul, tentation mi-vivante encore,
J’errais parmi les tourmentés.
Les yeux tournés vers moi, ils oubliaient
Jusqu’à l’effervescence des théières.
Plaquées au poêle les bottes de feutre brûlaient,
Tous m’écoutaient lire mes vers.
Alors, dans la nuit de la tombe russe,
Je voyais une messagère en fleurs,
Et j’entendais la mélodie des muses
Dans les vents d’atroce fureur.
Tel un dément, en proie à mes visions,
J’allais à travers le canal glacé
Et, traînant un hareng nauséabond,
Glissais sur des marches brisées.
Passé le poème à travers la prose
Et tordu chaque vers le plus lyrique,
J’ai pu classiquement greffer une rose
Sur le sauvageon soviétique.
1926
/ traduit du russe par Henri Abril
Toute la rue s'enténébrait déjà.
Une fenêtre cogna sous les toits.
Brève lumière, un envol de rideau,
Une ombre au mur arrachée aussitôt.
Heureux qui tombe la tête en avant :
Le monde aura changé pour lui, fût-ce un instant.
1922
L’aveugle
Son bâton palpe la sente
Là où le hasard l’entraîne,
Prudemment l’aveugle avance,
Bredouillant avec lui-même.
Et la blancheur de ses yeux
Au monde tend un miroir :
Le pré, la vache, des pieux,
De grands lambeaux de ciel bleu –
Tout ce que lui ne peut voir.
1923
Палкой щупая дорогу,
Бродит наугад слепой,
Осторожно ставит ногу
И бормочет сам с собой.
А на бельмах у слепого
Целый мир отображен:
Дом, лужок, забор, корова,
Клочья неба голубого –
Все, чего не видит он.
Si l'on plonge avec attention dans ses souvenirs, n'importe quel jour de l'année, ou peut s'en faut, se trouvera associé à un événement. A coup sûr quelque chose émergera, même très ancien, même de la petite enfance, mais que la mémoire a rattaché à cette date - pour toujours. C'est pourquoi on pourrait presque chaque jour fêter un anniversaire.