Pétersbourg
Aux malheurs pitoyables et monocordes
Tous s’adonnaient, à en être hébétés.
Moi seul, tentation mi-vivante encore,
J’errais parmi les tourmentés.
Les yeux tournés vers moi, ils oubliaient
Jusqu’à l’effervescence des théières.
Plaquées au poêle les bottes de feutre brûlaient,
Tous m’écoutaient lire mes vers.
Alors, dans la nuit de la tombe russe,
Je voyais une messagère en fleurs,
Et j’entendais la mélodie des muses
Dans les vents d’atroce fureur.
Tel un dément, en proie à mes visions,
J’allais à travers le canal glacé
Et, traînant un hareng nauséabond,
Glissais sur des marches brisées.
Passé le poème à travers la prose
Et tordu chaque vers le plus lyrique,
J’ai pu classiquement greffer une rose
Sur le sauvageon soviétique.
1926
/ traduit du russe par Henri Abril
L’aveugle
Son bâton palpe la sente
Là où le hasard l’entraîne,
Prudemment l’aveugle avance,
Bredouillant avec lui-même.
Et la blancheur de ses yeux
Au monde tend un miroir :
Le pré, la vache, des pieux,
De grands lambeaux de ciel bleu –
Tout ce que lui ne peut voir.
1923
Палкой щупая дорогу,
Бродит наугад слепой,
Осторожно ставит ногу
И бормочет сам с собой.
А на бельмах у слепого
Целый мир отображен:
Дом, лужок, забор, корова,
Клочья неба голубого –
Все, чего не видит он.
À travers le jour maussade, hivernal
– Elle porte un sac, et lui une malle –
Tous deux vont clopinant, femme et mari,
Sur le parquet des flaques de Paris.
Je les avais suivis assez longtemps,
Pour atteindre une gare finalement.
Elle se taisait, et lui tout autant.
Qu’auraient-ils pu se dire, mon ami Jacques ?
Lui avec sa malle, elle avec son sac…
Quatre talons qui piétinaient les flaques.
1927
Toute la rue s'enténébrait déjà.
Une fenêtre cogna sous les toits.
Brève lumière, un envol de rideau,
Une ombre au mur arrachée aussitôt.
Heureux qui tombe la tête en avant :
Le monde aura changé pour lui, fût-ce un instant.
1922