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Citations de Young-Ha Kim (182)


Mon père est à la genèse de mon histoire. Je l’ai tué en l’étouffant avec un oreiller, cet homme qui frappait ma mère et ma petite sœur Yeong-suk dès qu’il était saoul. Pendant que j’appuyais sur sa tête, ma mère maintenait son corps et ma sœur lui bloquait les jambes. Elle avait à peine douze ans. L’oreiller s’est déchiré en deux, déversant du son de riz. Ma mère l’a raccommodé l’air de rien pendant que Yeong-suk balayait et ramassait les grains éparpillés. J’avais quinze ans. A l’époque, juste après la guerre de Corée, la mort était omniprésente, aussi personne ne s’est penché sur le cas de cet homme mort chez lui dans son sommeil. Nous n’avons même pas eu de visite de la police. Nous avons dressé une tente dans la cour pour recevoir les condoléances des voisins et de la famille.

A quatorze ans, j’étais déjà assez fort pour porter sur le dos un sac de riz de quatre-vingts kilos. Et dans mon village, lorsqu’un garçon parvenait à porter cette lourde charge, plus personne n’avait le droit de lever la main sur lui, pas même son père. En revanche, ma mère et ma petite sœur étaient constamment victimes de la violence de mon père. Il lui est arrivé de les chasser de la maison, toutes nues, dans le froid glacial du plein hiver. Le tuer était la seule solution. La seule chose que je regrette, c’est d’avoir impliqué ma mère et ma sœur dans ce meurtre, alors que j’aurais très bien pu me débrouiller tout seul.
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Je passe une IRM. On m'allonge sur une table pareille à un cercueil blanc et j'entre dans la lumière; ça ressemble à une expérience de mort imminente. J'ai une hallucination, j'ai l'impression de sortir de mon corps et de me regarder d'en haut. La mort est tout près de moi, je la sens, et je vais bientôt quitter ce monde.
Une semaine plus tard, le médecin me soumet à un test neuropsychologique. Il me pose des questions et je lui réponds. Les questions sont simples, malgré tout, j'ai du mal à trouver les réponses. C'est comme plonger la main dans un aquarium et essayer d'attraper des poissons qui vous glissent sans cesse entre les doigts. Qui est l'actuel président de la République ? En quelle année sommes-nous ? Répétez-moi les trois mots que vous venez d'entendre. Combien font dix-sept plus cinq ? Je suis sûr de connaître les réponses, mais elles refusent de surgir dans ma tête. Je les connais et, en même temps, je ne les connais pas. Comment une chose aussi absurde est-elle possible ?
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Je lis peu de romans, les seuls textes littéraires que j’ai lus sont ceux que l’on trouve dans les manuels scolaires de coréen. Et là-dedans, il n’y a pas les phrases dont j’aurais besoin. C’est pourquoi j’ai commencé à lire des poèmes.

Grave erreur.

Le conférencier qui donnait des cours de poésie à la maison des associations culturelles était un poète, un homme de mon âge. Lors de son premier cours, il m’a fait rire en énonçant la phrase suivante d’un air très sérieux : « Un poète est un être qui saisit les mots et finit par les assassiner, comme un tueur expérimenté. » A l’époque, j’avais déjà « saisi » et « fini par assassiner » des dizaines de proies, avant de les enterrer. Mais je doute qu’on puisse appeler ça de la poésie. Le meurtre se rapproche plus de la prose que des poèmes. N’importe quel tueur vous le dira. C’est une tâche plus complexe et encombrante qu’on ne le croit.
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L’inspecteur Ahn, toujours en train de fumer, revient d’un pas vif vers la galerie extérieure sur laquelle je suis assis, comme s’il venait d’avoir une idée.

- Vous n’avez pas de famille ?

- Si, j’ai une fille.

- Ah…

Il doit être à la recherche d’un homme qui vit seul depuis longtemps, un loup solitaire. Au lieu de suivre les étudiants partis faire un tour dans le quartier, Ahn vient s’installer à côté de moi et laisse pendre ses jambes du haut du maru.

- Ça me gêne de dire ça à quelqu’un de votre âge, mais en vieillissant, mon corps commence à me lâcher.

Sur ce, il se tapote les genoux. Vus de l’extérieur, nous devons avoir l’air de deux vieux amis du même village.

- Où avez-vous mal ?

- J’ai du diabète, des rhumatismes, de l’hypertension, il n’y a plus rien qui fonctionne normalement. Tout ça à cause de ces foutues planques au boulot, je déteste ça.

- Vous devriez vous reposer un peu, maintenant, dans un endroit paisible.

- Je me reposerai dans ma tombe.

- Pourquoi pas ? C’est l’endroit le plus calme qui soit, après tout.
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Les mots disparaissent. Mon cerveau me fait de plus en plus penser à un concombre de mer, gluant et percé de petits trous. Tout s'en échappe. Le matin, je parcours le journal de la première à la dernière page, mais une fois que j'ai terminé, j'ai l'impression d'avoir oublié plus de choses que je n'en ai lu. Malgré tout, je lis, même si déchiffrer une phrase est pour moi aussi ardu que d'essayer de monter un meuble dont il manque les principales pièces.
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Il y a quelques années, dans la salle d’attente du dentiste, j’ai feuilleté un livre sur le bonheur de se passionner pour quelque chose. L’auteur décrivait avec conviction combien il était important de se plonger pleinement dans un sujet ou une activité, et quelle grande joie cela pouvait procurer. Hé, monsieur l’auteur, quand j’étais enfant, les adultes s’inquiétaient de voir leur progéniture se passionner pour une seule chose, persuadés que leurs enfants allaient devenir des individus à l’esprit borné. A l’époque, seuls les fous n’avaient qu’un unique centre d’intérêt. Si vous saviez combien j’ai été accaparé autrefois par le meurtre et quel grand bonheur cela m’a apporté, mais aussi combien c’était risqué de se consacrer à cette seule activité, vous la fermeriez. Oui, c’est dangereux la passion. C’est aussi pour cette raison qu’on en tire du plaisir.
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Vivre avec la maladie d’Alzheimer, c’est comme être un voyageur qui arrive perpétuellement un jour trop tôt à l’aéroport parce qu’il s’est trompé de date. Il croit dur comme fer qu’il a raison, jusqu’à ce que…
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J'ai vécu ainsi pendant plus de vingt ans et aujourd'hui, je prépare un nouvel assassinat par obligation et non poussé par une quelconque pulsion. En ce moment, Dieu m'ordonne de rendre moi-même banals, des actes criminels que je considérais jusqu'à maintenant comme sacrés.
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Elle ignore que, dans les plaisirs que je recherche, il n’y a pas de place pour les autres. Je n’ai aucun souvenir d’avoir été heureux en compagnie de mes semblables. Je me suis toujours replié au plus profond de moi-même, je n’ai jamais éprouvé de véritable et durable contentement qu’à l’intérieur de mon être. Tout comme ceux qui prennent des serpents pour animaux de compagnie ou achètent des hamsters pour les nourrir, il a fallu que je nourrisse le monstre en moi. Les autres n’avaient de sens pour moi que s’ils servaient ce but.
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Depuis, on me considère comme un poète. Après tout, entre le sentiment que j'éprouve en écrivant des poèmes que personne ne lit et ce que je ressens en commettant des meurtres dont je ne peux parler à personne, il n'y a pas grande différence.
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-Alors si tu permets, moi j'ai une autre idée.
-Dis voir ?
-Tu ponds un roman hermétique et désordonné, quelque chose que le boss ne pourra pas publier. Genre Ulysse de Joyce, un pavé de mille pages, sans intrigue et à peu près dépourvu de sujet.
-Dans Ulysse l'intrigue est claire et les sujets sont nets.
-Sincèrement, je ne l'ai pas lu. C'est quoi le sujet ?
-Les songes érotiques et désordonnés d'un type médiocre d'âge moyen.
-Ah comme dans Eyes Wide Shut ?
-Si tu veux, c'est ça. Le magistrat US qui avait condamné Ulysse pour obscénité avait tout compris lui (...)
-Super. Donc tu n'as qu'à écrire un truc dans ce genre. Et si c'est obscène, c'est encore mieux. Avec un peu de chance, ça mènera le boss en prison !
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Après avoir renoncé aux meurtres, je me suis mis au bowling.
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7h50. J'entrepris de dévaler les quatorze étages plus véloce qu'un livreur de restaurant chinois.. Arrivé au quatrième, je remarquai que la porte palière de la cage d'ascenseur était ouverte et la cabine immobilisée entre le quatrième et le cinquième étage. Deux jambes pendaient dans le vide, un des pieds avait perdu sa chaussure. Tandis que je me demandais si l'homme était mort, plusieurs résidents des étages supérieurs descendirent l'escalier à toute allure, me bousculant au passage. (...) Comment pouvaient-ils se soucier aussi peu de ce pauvre homme qui en cet instant, luttait peut-être contre la mort ? Remarquez, je ne pouvais moi-même faire grand chose pour lui. Je regardais ma montre. Huit heures pile ! Merde, j'étais à présent carrément en retard !
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"Les hommes sont prisonniers du temps. Et ceux qui sont atteints d'Alzheimer sont enfermés dans une prison dont les cellules rétrécissent de plus en plus vite. J'étouffe."
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Les mots disparaissent. Mon cerveau me fait de plus en plus penser à un concombre de mer, gluant et percé de petits trous. Tout s'en échappe.
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Suite à une coupure d’électricité, un père demande à son fils de lui apporter une bougie. Le fils dit : « Papa, je n’arrive pas à la trouver, il fait trop noir. », ce à quoi le père répond : « Espèce de crétin, tu n’as qu’à allumer pour la chercher. »
Cela résume bien la relation que j’entretiens avec mes médicaments. Il faut les prendre pour améliorer la mémoire, mais justement parce que je perds la mémoire, je ne peux pas les prendre.
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Quand je perds la mémoire du passé je ne sais plus qui je suis, tandis que si je perds la mémoire du futur* je suis coincé dans le présent pour toujours. Quel sens a le présent s'il n'y a plus ni passé ni futur ?

*(capacité à se souvenir de quelque chose qu'on doit faire dans l'avenir)
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Il m’arrive de penser que même si j’étais arrêté, je ne serais pas condamné. Je devrais m’en réjouir mais, étrangement, ce n’est pas le cas. J’ai l’impression d’avoir été totalement abandonné par la société des hommes.
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J’avais arrêté quelque chose d’autre en venant en Amérique. Oui, quelque chose qui n’était pas bon pour moi, nocif et extrêmement addictif : mon père.
(Nouvelle éponyme)
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Young-Ha Kim
Il fut un temps où je croyais qu'écrire des romans revenait à créer un monde. J'imaginais ça comme un jeu amusant, comme un enfant joue avec des cubes pour construire et détruire des univers à sa guise. Or, ce n'était pas du tout ça. Écrire un roman, c'est un peu comme voyager à travers des territoires inconnus de tous, à la manière de Marco Polo. Il faut d'abord qu'un de ces territoires inconnus m'ouvre sa porte, et je ne peux y rester que le temps qu'il m'autorise à y demeurer. Quand il me dit qu'il est temps, je dois partir, même si je meurs d'envie d'y rester encore. Je dois reprendre ma quête d'un monde rempli de personnages que je n'ai pas encore rencontrés. Et cette pensée m'apaise.

(postface de : Ma mémoire assassine)
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