Élise Fischer

Madeleine soupira. Elle se consola en pensant à sa grand-mère qui l'encourageait quand elle l'aidait à pâtisser de bons gâteaux : "Ma petite fille a les yeux qui brillent et de l'or dans les doigts".

Les enfants ne sont pas des livrets de caisse d'épargne. Ca se saurait sinon.

Laisse la faire,faut qu'elle apprenne.Tu vois, Riri,disait il à mon père,les gosses,c'est un placement.Retiens bien cette petite leçon.On les éduque,on les nourrit,mais après ça rapporte,ça rend service et ça travaillera bien quelques années avant le mariage.Tu as les paies,tu mets de côté et tu vis comme tu en as envie.

Il n'y a rien de meilleur qu'un petit coup de rouge avec du pain et du lard au milieu.Il n'y a pas à dire,le lard de Zidor,c'est de l'or.

Elle croit que la paie de ton père est inépuisable.Quand il lui donne l'enveloppe,c'est comme si elle avait gagné à la loterie et chez vous,on fait bombance.Tout valse.Mieux,avant qu'il soit rentré,elle a déjà fait ses comptes,imaginé ce qu'elle va acheter...

Mais tu sais bien mon cher tonton que plus de la moitié des filles qu'on emmène à l'autel ont perdu leur fleur.Souvent même avec un autre que celui qui sera le mari.Entre nous,ça ne regarde que les jeunes gens, ces affaires là.

Elle nous apprenait les noms savants de fleurs,renoncule pour bouton-d'or,primevère pour coucou,aster pour marguerite.Parfois,elle connaissait le nom latin de la plante.Auprès d'elle,l'impression d'apprendre une langue étrangère nous faisait grandir.

Un mec,ça je l'ai compris très vite,il aura toujours plus de droits qu'une fille. C'est à la fille de se garder,de dire non.Le déshonneur, ça ne vient que des filles, comme dans la Bible.