Hommage à Gilson, historien philosophe.
Nous vivons en un temps et dans un milieu saturé d'idées chrétiennes qui ne se souviennent plus de leur origine.
Tous les échecs de la métaphysique viennent de ce que les métaphysiciens ont substitué à l'être comme premier principe de leur science, l'un des aspects particuliers de l'être étudiés par les diverses sciences de la nature.
Et c'est d'ailleurs pourquoi l'acquisition de l'intelligence n'est pas une simple affaire de raison naturelle. Il n'est ni bon, ni par conséquent recommandable, de partir à la recherche de l'intelligence sans avoir pris d'abord un certain nombre de précautions. C'est une négligence de notre part de ne pas chercher à l'atteindre lorsque nous sommes déjà confirmés dans la foi: postquam confirmati sumus in fide et il n'y a rien à reprocher à celui qui s'y efforce, pourvu qu'il entreprenne cette recherche, après s'être préalablement: fide stabilitus.
Nul ne songerait aujourd'hui à parler d'une mathématique chrétienne, ou d'une biologie chrétienne, ou d'une médecine chrétienne. Pourquoi ? Parce que la mathématique, la biologie et la médecine sont des sciences et que la science est radicalement indépendante de la religion dans ses conclusions comme dans ses principes. L'expression de "philosophie chrétienne", dont on use, n'est cependant en rien moins absurde et la seule chose à faire est donc de l'abandonner.
Le Dieu qu’elle vise est celui dont la présence secrète anime et hante chaque page des Confessions. Saint Augustin a maintes fois tenté de nous le rendre intelligible en dépit des misères du langage humain.
La route vers Dieu est facile parce qu'on y avance en se déchargeant.
Tous les interprètes d'Aristote et d'Averroès qui, eux aussi, identifient l'être à la substance, ont jadis conclu, et concluent encore aujourd'hui que le Dieu d'Aristote est un créateur. En effet, qu'est-ce que créer, sinon causer l'être ? On argumentera donc correctement ainsi : l'être, c'est la substance ; le dieu d'Aristote causait les substances ; donc il cause les êtres, et, par conséquent aussi, c'est un créateur. Mais il en va tout autrement pour qui la substantialité n'est pas le tout de l'être. Si l'existence est un acte constitutif de la substance réelle, la cause première des substances ne sera tenue pour créatrice que si son efficace tombe aussi, et, en un sens, d'abord, sur l'acte premier par lequel la substance existe. Le problème de l'éternité du monde reprend ici son importance, car la notion de création n'implique pas que le monde n'ait pas toujours existé, mais exige que le monde puisse ne pas avoir toujours existé. Cette "possibilité" de ne pas être est précisément ce qu'il manque au monde d'Aristote et de ses disciples authentiques, pour que le problème de son origine radicale puisse se poser.
Pour que ce problème puisse se poser, il faut que l'existence soit autre chose que la simple actualisation de l'essence comme telle [...] Suffit-il d'actualiser au maximum l'essence en tant que tel pour que, sous la pression interne de sa propre perfection, elle éclate pour ainsi dire à l'existence ? S'il en était ainsi, la notion de substance s'ouvrira comme adéquate à la notion d'être et suffira par conséquent à fonder complètement l'ontologie ; mais il faudra renoncer alors à poser le problème de l'existence même des substances. Pour y parvenir il faut concevoir l'existence comme un acte radicalement distinct de l'actualité de l'essence, c'est-à-dire tel qu'il ne suffise pas de porter l'essence au maximum de son actualité propre, pour l'en voir en quelque sorte jaillir. Bref, il faut aller jusqu'à poser l'essence comme "en puissance" à l'égard de son acte d'exister. Si l'on va jusque-là, on dépasse franchement le plan de l'ontologie aristotélicienne de la substance pour atteindre une ontologie de l'existence proprement dite. C'est peut-être là l'effort suprême de la philosophie première, et c'est celui qui a tenté, au 13e siècle, saint Thomas d'Aquin.
p80
Les origines de la philosophie médiévale, ou scolastique, sont étroitement associées aux efforts de Charlemagne pour améliorer la situation intellectuelle et morale des peuples qu'il gouvernait. L'œuvre de plusieurs siècles employés à civiliser et christianiser la Gaule avait été compromise par les invasions barbares, surtout par celle des Francs.
C’est donc par une métaphore très déficiente que l’on a pu quelquefois parler de l’égoïsme divin comme du seul égoïsme légitime, car il n’y a d’égoïsme concevable que là ou il y a quelque chose à gagner.
p104-105
Augustin s’est éveillé à la vie philosophique en lisant un dialogue de Cicéron aujourd’hui perdu, l’Hortensius. Dès ce jour, il ne cessa de brûler d’un ardent amour pour la sagesse et cette découverte resta toujours pour lui, dans la suite, le premier pas sur la route douloureuse qui devait le conduire à Dieu. Or c’est un fait capital pour l’intelligence de l’augustinisme, que la sagesse, objet de la philosophie, se soit toujours confondue pour lui avec la béatitude. Ce qu’il cherche, c’est un bien tel que sa possession comble tout désir et confère par conséquent la paix.