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Les cris, nouvel inventaire

Les Cris. Nouvel inventaire, est un livre hors normes, à la fois loufoque, poétique, déjanté et très réaliste. En reprenant et complétant son premier, ses premiers 99 cris, Christina Mirjol affirme un peu plus son extrême originalité, son sens du théâtre et son don pour l’observation de la vie quotidienne.

En 199 cris, certains très brefs, l’autrice passe en revue une somme importante de comportements, de drames du quotidien, d’absurdités que chacun de nous peut constater ou entendre. Le Cri n° 74 concernant les ronds-points est un modèle du genre.

Christina Mirjol, découverte avec plaisir dans Un homme, sait mettre en forme tout ce qu’elle observe et imagine ; elle articule ces cris déchirant le silence ou se contentant d’assumer leur réalité avec force.

Bien sûr, un écrivain revient régulièrement comme ce chien ou ce paillasson – pas de comparaison hasardeuse, s’il vous plaît ! – ce paillasson source de bien des conflits mais j’aurais préféré plus de liant, même si je sens sourdre régulièrement ce réalisme terrible que ces Cris mettent à jour. Je pense en particulier à cette petite fille qui doit faire 20 kilomètres à pied pour aller chercher de l’eau au puits (Cri n° 8).

C’est un véritable monde de l’absurde que l’autrice révèle et pourtant, chacun de nous peut avoir assisté à certaines scènes. Cela peut être du théâtre car certains dialogues sont surréalistes, accompagnés de didascalies.

Les tranches de vie qui se succèdent peuvent être tragiques ou comiques, révélant le summum de l’incompréhension dans certains couples avec cette jalousie toujours sous-jacente.

De plus, Christina Mirjol sait jouer avec les mots. Cela peut être désopilant comme dans ce Cri n° 71 où la femme d’un mari rencontre la femme d’un autre. Les voilà qui comparent la toux de l’un et les éternuements de l’autre…

Le Cri n° 76 est court et réussi lorsque le vocabulaire de l’informatique pousse aux cris de l’incompréhension. Bien sûr, l’humour noir est présent et le portrait ornant la couverture, repris en noir et blanc à la page 174, signé Jacques Cauda, colle bien à ce nouvel inventaire des Cris.

Ce peut être à l’occasion surréaliste, à la limite du fantastique, avec des enchaînements parfois difficiles à comprendre. Quant au Cri n° 122, c’est à moi qu’il fait pousser un cri d’horreur à cause de cette mère et de sa fille de quinze mois qu’elle confie à la marée… comble du désespoir. La folie n’est jamais loin ; l’esprit très agité de cet homme dans un train en est bien la preuve.

Christina Mirjol, avec talent, donne aussi la parole à ces gens qui déballent leur savoir, étalent leur suffisance mais elle touche à l’excellence dans le Cri n° 192 ; un texte magnifiquement réaliste fait vivre un enfant qui s’émancipe, qui se dégage de la protection de sa mère, qui grandit. Le texte dépouillé, à l’os, comme on dit aujourd’hui, est d’une efficacité impressionnante, tout en poussant l’émotion au maximum.

Enfin, Les Cris. Nouvel inventaire, se terminent par ce Cri n° 199 qui résume bien l’ensemble : « Oh ! vous savez, ça ne s’arrange pas, non non, ça ne s’arrange pas du tout… Nous, maintenant, c’est pas compliqué, on a peur de vivre ! »

Je remercie chaleureusement Christina Mirjol pour cette expérience littéraire hors nomes, d’une originalité bouleversante, qu’elle m’a permis de vivre en me confiant Les Cris. Nouvel inventaire.


Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Les cris, nouvel inventaire

"Une vache : Je ne regrette rien, l'herbe n'était même pas bonne."

(Cri n°98)



Une lecture réellement irréelle.

Non ! Plutôt réelle ?

Non, non plus.

C'est évident que ce n'est pas si évident, n'est-ce pas ? Ou pas ? Le mot "réalité" doit être l'un des plus usités dans toutes les langues du monde. On croit tous savoir ce qu'il veut dire, mais quand nos réalités respectives entrent en conflit, souvent, on crie. Parfois intérieurement, ou sans même le savoir.

Les "cris" de Christina Mirjol ne sont pas forcément des exclamations de rage ou de douleur (quoique...), plutôt des situations où nos réalités se frôlent sans se rencontrer. Les mots en cages numérotées, les cris sans échos, et parfois aussi - vous verrez ! - des échos sans cris, qui pointent les situations du quotidien. Est-ce qu'une situation du quotidien vue en dehors de son contexte devient absurde, pour le spectateur ? Voilà la question...



J'ai longtemps réfléchi à quel autre écrivain me font penser ces textes de longueur variable, classés dans un livre à la couverture inhabituellement plaisante au toucher... et tout en tripotant distraitement la douceur suédine, je me suis souvenue de Daniil Harms, cet enfant terrible de la littérature russe. Ses textes vous feront rire, mais avec un frisson désagréable dans le dos : oui, ça a l'air drôle, mais quelque chose ne va pas ! C'est la même chose avec "Les cris" ; ils laissent le lecteur les interpréter par lui-même, ce qui est un agréable rafraîchissement par rapport aux histoires en kit livrées avec un mode d'emploi. Ils nécessitent un peu de concentration, comme si vous suiviez un sketch ou une mini-pièce de théâtre absurde.

J'ai vu parfois cité "En attendant Godot", en rapport avec ce recueil... pourquoi pas.

Vous lisez donc "Les cris" (ou Beckett, Havel, Pinter... peu importe) pendant votre pause du midi, autour de vous les conversations vont bon train, et tout d'un coup elles commencent à se superposer avec les mots dans le livre. Les mots pareillement insignifiants, futiles et sans importance, pour tromper l'ennui. Vous vous sentez subitement comme un protagoniste du livre... Tout se mélange, l'un raconte quelque chose, l'autre fait semblant d'écouter mais ne l'écoute pas, ce qui ne l'empêche pas de répondre. C'est à la fois grotesque et tragique.

On apprend sur la quatrième de couverture que certains de ces textes étaient effectivement adaptés pour la scène, et je n'arrive pas à imaginer comment j'aurais réagi. C'est assez angoissant, somme toute, quand vous ne savez pas s'il faut en rire ou en pleurer ; même en ce qui concerne ce génial leitmotiv de l'homme au paillasson qui chemine entre les textes.

Et pourquoi, grands dieux, on qualifiait alors ce théâtre d'"absurde" ?, vais-je me demander probablement le jour de mon 126ème anniversaire.



"Une imbécile [du siècle dernier] : Je suis larguée, je ne comprends pas, ils parlent avec des mots. Ils disent : ECHAPPE. Ils disent MENU. RENTRER. SORTIR. Ca veut dire quoi ? Ils disent : SORS DU MENU. RENTRE DANS LE FICHIER. FAIS ECHAPPE. Je ne comprends pas."



Pour le peu que j'ai pu lire de Christina Mirjol, le cri semble être une métaphore qu'on trouve souvent dans ses livres. Un "cri" comme une situation qu'on voit partout autour de nous, qui est là dès le matin au réveil, jusqu'au soir quand on regarde les infos à la télé avant d'aller au lit. Le cri est un memento, le dernier stade d'un visage humain, qu'on a pris l'habitude de banaliser... D'où ce livre tragicomique. Son absurdité n'est pas une absurdité pour elle-même, elle exprime quelque chose de triste et d'insaisissable - les sensations d'impuissance, d'ennui ou de détresse - qui font partie de nos vies à nous tous.

Mention spéciale pour l'élégante construction du livre : les textes à la première vue indépendants se chevauchent, se complètent, se répètent (d'un autre point de vue) et le personnage de "l'écrivain" entre parfois en jeu, pour y mettre son grain de sel. Leur nombre, 199, insinue peut-être qu'on n'a pas fini de crier, et donne envie d'arrondir le compte par votre propre contribution.

4,5/5. Un inventaire sonore que j'ai découvert avec curiosité et plaisir, merci Christina !
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Après lui, le vide

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