Ce tome est le sixième dans une histoire complète en 9 neufs tomes. Il faut donc avoir commencé la lecture avec le premier tome Out from
Boneville.
Jeff Smith est le créateur de la série, dont il a scénarisé, dessiné et encré les 9 tomes. Cette édition bénéficie d'une mise en couleurs pertinente et intelligente, réalisée par Steve Hamacker.
Smiley et Fone
Bone sont bien redescendus de la montagne, mais ils n'arrivent pas à retrouver le chemin du village de Barrelhaven pour autant. Pendant ce temps là, Rose Harvestar vadrouille dans la forêt et aide les villageois qu'elle rencontre. Elle finit par prendre la tête d'un petit groupe d'individus, accompagnée par Phoney
Bone, pour essayer de retrouver Smiley et Fone. Un rêve lui enjoint de rejoindre sa grand-mère (Mamie Ben) à la caverne du Vieil Homme. Puis un groupe d'encapuchonnés lui donnent des conseils contradictoires. Pendant ce temps là, les rats garous rôdent en masse dans la forêt.
Au fil des pages, l'intrigue globale se précise de plus en plus, avec les différentes factions en lice clairement identifiées, ainsi que les enjeux. Même si
Jeff Smith base son récit sur une dichotomie bien / mal, il évite la caricature pour ses personnages principaux. Non seulement ils sont en proie au doute, mais en plus ils ne maîtrisent pas grand-chose, et sont même assez désorganisés. Fone
Bone ne retrouve pas son chemin, Thorn ne sait plus à qui faire confiance, Phoney a perdu toute sa superbe, et même dans le camp adverse Sans-Visage manque d'assurance.
Le travail réalisé sur Fone et Phoney dans les 2 tomes précédents continue de porter ses fruits. Phoney reste méprisable du fait de son attitude rapace vis-à-vis de Lucius. Par contre, Smith a un peu plus de mal à conserver les 2 facettes de Fone qui a tendance à redevenir un héros générique et mignon, dont la personnification perd en épaisseur. Fone redevient simplement courageux (sans être téméraire), gentil et conciliant, parfois à la limite de l'insipidité (sans le devenir vraiment quand même).
Dans le même ordre d'idée,
Jeff Smith recommence à se laisser aller à aligner des pages de dialogues, visuellement peu intéressantes, oubliant de montrer plutôt que d'expliquer à longueur de phylactères. Fort heureusement, les
Bone ont conservé leur expressivité sans égale. le lecteur peut comprendre que Smith ait besoin de délivrer des informations en quantité significative. Il n'en reste pas moins surprenant qu'il ne conçoive pas une mise en scène telle que les personnages réalisent des occupations diverses complémentaires, ou que les images puissent montrer l'environnement pendant ce temps là. À ce titre, l'échange entre Sans-Visage et le seigneur des locustes est particulièrement pauvre. À l'opposé, il y a la discussion entre Thorn, Fone et Smiley au creux d'un arbre, très animée, intéressante visuellement.
Le tome se termine sur une blague visuelle qui a du mal à passer, même si elle a été amenée de longue date par de fréquentes allusions dans la narration. Cet objet grotesque et la situation dramatique ne font pas bon ménage.
À part ces séquences de dialogue à la mise en scène quelconque, le lecteur découvre plusieurs visuels qui marquent la mémoire : le groupe de bretteurs encapuchonnés, le combat de noyaux de cerise, la mine à la fois souriante et déterminée de Mamie Ben et l'incroyable regard félin et cruel de Rock Ja.
Dans ce sixième tome;
Jeff Smith conserve le cap sûr de son intrigue. Comme le lecteur pouvait s'y attendre, Thorn monte en puissance, tout en restant incertaine de ce qu'elle doit faire. Il y a là un thème sous-jacent inattendu :
Jeff Smith montre que les jeunes gens (en l'occurrence Thorn, mais aussi Fone) restent en attente des conseils, voire du guidage des anciens (ici Mamie Ben). Il réussit à gérer les différentes factions et leur motivation propres, sans parvenir à s'affranchir d'un récit opposant les bons contre les méchants. Il utilise moins la béquille narrative de Ted le fulgore qui précédemment délivrait la bonne information au bon moment pour pointer les personnages dans la direction dictée par l'intrigue. le développement des relations émotionnelles entre les personnages reste savoureux.
Du point de vue des personnages qui fournissent l'ancrage émotionnel du récit,
Bone perd un peu en intensité par rapport aux 2 tomes précédents. Phoney se retrouve relégué au second plan de manière naturelle du fait de l'intrigue. Il reste le cas particulier de Thorn qui a choisi de prend le taureau par les cornes et d'accepter les responsabilités qui lui échoient. Ce faisant, elle se rapproche de l'idéal héroïque et perd également en épaisseur psychologique. Elle n'en devient pas fade pour autant puisque conformément à son âge encore jeune, elle ne sait littéralement plus à quel saint se vouer, et donc quelle marche suivre.
Le lecteur est content de retrouver ces personnages dont il est devenu familier, et surtout l'humour de Smiley dans une histoire qui devient de plus en plus grave de tome en tome. Il regrette que les 2 rats-garous n'aient pas le droit à une séquence pour alléger l'atmosphère. Il apprécie que le camp des méchants ne soit pas d'un seul tenant et que chaque personnage doit affronter ses propres doutes.