Il s'agit du troisième tome d'une série complète en 9 tomes. Il faut absolument avoir commencé par le premier. le scénario, les dessins et l'encrage sont de
Jeff Smith. La présente édition a bénéficié d'une mise en couleurs réalisée par
Steve Hamaker.
Fone
Bone continue de faire la lecture de Moby Dick à Thorn Harvestar (qui a appris à faire semblant de l'écouter en pensant à autre chose). Ils sont interrompus par madame Possum qui leur apporte de quoi assurer l'étanchéité du toit de la ferme de Mamie Ben. Phoney et Smiley passent par le même endroit pour aller jouer la sérénade aux poules afin qu'elles pondent plus vite.
Les créatures rats peureuses continuent de se cacher, mais Kingdok les retrouve et sa réaction est pour le moins inattendue. Pendant la nuit, Thorn et Fone font des rêves étranges chacun de leur côté. le lendemain, Lucius Down emmène Phoney et Smiley vers le village, pendant que Mamie Ben, Thorn et Fone cheminent dans les bois. Une pluie torrentielle se met à tomber.
La première sensation est celle du confort et même du réconfort. le lecteur retrouve avec plaisir ces personnages au caractère bien établi, à l'apparence simple et très expressive pour les 3
Bone, leurs interactions chaleureuses et ces scènes comiques à la gentillesse irrésistible. À ce titre la séquence d'ouverture est très réussie. Fone
Bone essaye de communiquer sa passion pour Moby Dick, alors que Thorn se contente de l'écouter comme un bruit de fond. Fone reste entier dans son enthousiasme pour l'oeuvre, Thorn l'assure de sa présence lui fournissant un auditoire, sans vraiment prêter attention, mais sans se moquer non plus. Les expressions exagérés de Smiley et Phoney sont à la fois comiques et d'une telle justesse que l'empathie avec leurs émotions est immédiate, pleine et entière. Les gags visuels s'insèrent de manière naturelle, sans forcer.
Tout au long du récit, le lecteur se délectera ainsi de ces moments de connivences, d'amitié, et de comédie. de surcroît,
Jeff Smith fait preuve d'une belle inventivité visuelle. Certes, certaines séquences de dialogues se reposent presqu'exclusivement sur les personnages en train de parler, sur un arrière plan squelettique (de nuit dans une grange, ou par une nuit noire sous la pluie). Mais à côté de ces scènes (très vivantes quand même grâce aux visages), Smith réalise également des mises en scène qui utilisent toutes les possibilités de la bande dessinée, que ce soit de manière débridée (la séquence de rêve
De Bone en pirate) ou en retenue (le dialogue des 2 créatures rats dans leur fossé). Il utilise aussi des éléments graphiques très particuliers (par exemple les petits coeurs roses autour d'un personnage enamouré), mais uniquement pour rehausser l'expressivité, jamais comme raccourci pour masquer un manque de savoir faire.
Lorsque les 3
Bone sont réunis (par exemple quand Smiley et Phoney taquinent Fone pour ses poèmes), le lecteur a l'impression que la scène s'écrit toute seule, tellement chaque trait participe à l'harmonie du tout. Smiley
Bone montre une certaine tendance à voler la vedette à tous les autres personnages, chaque fois qu'il apparaît. Fidèle à son point de départ, Smith continue d'écrire les 3
Bone comme des individus au caractère entier. Ainsi Smiley sert de ressort comique, de bouffon. Même dans les situations délicates, il continue d'arborer un franc sourire et de faire des pitreries (il faut le voir chevaucher sa guitare).
Du coup le lecteur en vient presque à regretter que
Jeff Smith tienne absolument à développer son intrigue plutôt que de s'en tenir à ces moments de grâce. Pourtant l'auteur a posé de solides fondations pour que les différentes péripéties et révélations participent naturellement au récit, que ce soit les révélations concernant Thorn, l'apparition du serviteur du seigneur des locustes, ou le pari saugrenu concernant le bar de Lucius Down. La narration de Jeff Smith conserve son caractère confortable, en ce sens que le lecteur a le temps d'apprécier les moments de calme auprès des personnages, d'autant plus qu'à ces occasions ces derniers prennent de l'épaisseur psychologique. le lecteur ne se sent pas pressé par l'action, et il l'apprécie d'autant plus quand elle vient accélérer le rythme de la lecture. Smith conçoit avec intelligence ces séquences mouvementées, agissant avec adresse sur l'accélération du temps, et sur les cadrages.
Pourtant la dichotomie liée aux
Bone demeure. D'un côté ses personnages sont immédiatement attachants, avec un fort potentiel comique savamment exploité. de l'autre, le choix de Jeff Smith de forcer leur trait de caractère est à double tranchant. Ces
Bone se comportent comme des enfants, ou des grands enfants, ce qui leur confère une forme de pureté les rendant encore plus attachants. Ces caractères entiers et leur apparence épurée les mettent à part du monde des adultes. le savoir-faire de Jeff Smith lui permet de les intégrer sans solution de continuité au reste de leur environnement (lieux et personnages) qui sont représentés de manière plus réaliste.
Néanmoins Smith montre de manière claire par la morphologie des
Bone qu'il s'agit d'êtres qui n'appartiennent pas à la race humaine. de la même manière leur comportement infantile implique qu'il ne s'agit pas d'adultes. Ces 2 caractéristiques conduisent le lecteur à conclure que l'amour que
Bone porte à Thorn relève plus de la passion d'enfant, que d'un sentiment adulte, et qu'il ne pourra pas aboutir à une relation sérieuse. L'emploi comique de Smiley et Phoney dédramatise chaque situation dangereuse puisqu'il s'agit des personnages principaux et que leur rôle induit que le lecteur ne les prenne pas au sérieux, ne les assimile pas à de vrais personnages.
Du coup, en fonction de son âge, le lecteur pourra éprouver une forme de distanciation vis-à-vis des personnages (ce qui ne nuit pas à son ressenti vis-à-vis d'eux) qui diminuera sa capacité à prendre l'intrigue au sérieux, à s'y impliquer. Par exemple, il est difficile de consentir un niveau suffisant de suspension d'incrédulité, pour accepter que Lucius Down souffre réellement des conséquences de son pari quant à la propriété de son bar. Ce léger détachement est encore accentué par le caractère irrémédiablement méchant des individus qui s'opposent aux gentils
Bone et à leurs amis.