Le livre démarre dans la colère la plus profonde, la plus violente qui soit. Une colère devenue sourde et explosive, folle de cette violence incessante d'un père sur son fils. de cette violence sans nom, indescriptible, débordant d'ignominie et de lâcheté, va découler toute une vie d'épreuves sans fin...
Joseph a un besoin viscéral de justice, de vérité, d'honnêteté à son sujet. Ses fautes, il les avoue, il les assume, mais il est hors de question de reconnaître ce qu'il n'a pas commis. Quand le sort s'acharne et le contraint malgré toute sa bonne volonté et ses efforts, à avouer des faits qui ne sont pas les siens, Joseph se jure de rétablir la vérité un jour et de faire payer aux menteurs, aux coupables et aux complices de ces mascarades, qu'il se vengera et qu'il obtiendra enfin justice.
Comment supporter ni même imaginer qu'en étant relaxé au tribunal, on soit envoyé dans un camp de travail pénitentiaire, tel un forçat, en attendant ses 21 ans, car aucun membre de sa famille ne veut nous récupérer ? Comment, en plus de ce châtiment injustifiable, peut-on accepter d'assister aux viols systématisés, organisés par certains détenus en toute impunité, terrifié à l'idée de devenir la victime suivante... C'est tout bonnement inimaginable... Aucun homme ne devrait avoir à subir cela. Alors un enfant...?
L'air est irrespirable, nauséabond. Évoluer dans une telle ignominie de manière quotidienne use tout. Elle use les sens, l'esprit, le courage et même l'espoir. Il faut supporter la faim, la fatigue, les mauvais traitements, tout en restant sans cesse sur ses gardes, "au cas où". Toujours ce "au cas où" qui empêche le sommeil profond, qui prive de toute sensation de détente, de sérénité. Une tension nerveuse à couper au couteau règne au sein de ce bagne aux moeurs archaïques.
Quand on croit le pire déjà arrivé, mais qu'il fait son entrée de manière aussi inattendue que violente, les envies de sauter dans le vide se font de plus en plus pressantes.
J'ai tant pleuré pour Joseph... Pour tout ce qu'il a enduré d'injustice, d'indignité et de déshumanisation, mais aussi pour ces quelques moments de grâce qui ont su lui être accordés par le destin.
Un passage qui décrit en partie l'âme de Joseph m'a beaucoup marquée : "Dans la cambuse enfumée, je subis les obsessions de Bébert, un Toulousain, parlant cul, cul et cul. S'il était blessé - pas trop grièvement -, il se ferait dorloter par une infirmière bien gironde. Les mêmes obscénités qu'à Belle-Ile, Eysses, Rouen. Ses "aller au bordel, tirer son coup, faut bien ça pour l'hygiène" ou "sinon tu t'astiques la queue" me hérissent. Je rêve pour échapper à ce monde d'hommes que je fréquente depuis sept ans. Je les hais. J'ai emporté avec moi, depuis la mort de M. Briand, l'image de la fille du notaire, douce, aimante, loin de cet univers de "nibards', "touffe" et "chatte"."
Claude Gutman a l'art de me fendre le coeur. Ses mots, ses décors, ses situations, ses personnages, tout est
pertinent et puissant. Il a atteint mon coeur et l'a brisé à plusieurs reprises dans ce seul et même livre. Une émotion qui m'a littéralement coupé le souffle.