Vice-présidente du parti démocrate, Merete Lyyngard incarnait l'avenir politique danois. Belle et intelligente, elle bossait dur et son sens de la répartie associé à sa bonne connaissance des dossiers l'avait rendue aussi indispensable à ses partisans que redoutable aux yeux de ses adversaires. Sa disparition, en 2002, avait entraîné de sérieux remous. Elle semblait s'être tout bonnement volatilisée alors qu'elle voyageait avec son frère handicapé sur un bateau. Son corps n'avait jamais été retrouvé. Rien n'avait pu être tiré de son frère, retrouvé quelques jours plus tard à bonne distance du lieu d'accostage du navire. L'enquête, bien que paraissant correctement menée, n'avait donné aucun résultat et, après avoir occupé les premières pages des journaux pendant plusieurs semaines, l'affaire avait tout doucement glissé dans l'oubli. Et Merete Lyyngard avec elle.
Cinq ans plus tard, alors qu'une fusillade dont il sort miraculeusement indemne laisse un de ses collègues paralysé à vie et cause la mort d'un autre, le commissaire Carl Morck se voit confier la responsabilité d'une nouvelle division : le département V. Dotée de deux personnes -lui et le mystérieux Hafez el Assad, secrétaire, homme à tout faire et qui se révélera un enquêteur hors pair- la nouvelle équipe se soit assigner les 'cold cases', ces affaires restées énigmatiques mais qui avaient fortement marqué le public. Il semble que leur résolution, des années après, pourrait bien redorer le blason de la police danoise, dont la réputation, en cette année 2007, laisse plutôt à désirer.
Vous l'aurez deviné, la première affaire à laquelle l'improbable duo va s'attaquer n'est autre que celle de Merete Lyyngard. Alors qu'il ne peut compter que sur un effectif ultra-réduit, Mock va rapidement mettre au jour de graves manquement à l'enquête originelle : les pistes inexplorées et les témoins pas interrogés lui paraissent effectivement dénoter un manque de sérieux de la part des enquêteurs de l'époque. Sale gosse de la police, doté d'un franc-parler qui lui a déjà valu quelques retours de flamme, Mock va lentement mais sûrement progresser dans la résolution de l'énigme, ce qui lui vaudra quelques inimités parmi ses collègues, ceux-là même qui s'étaient cassé les dents en 2002 lors de la disparition de la politicienne.
S'étendant sur près de 500 pages, la première enquête de ce nouveau duo dans le monde du polar ne manque certes pas d'atouts. Deux époques régissent la présentation de l'intrigue. D'une part, le lecteur est invité à suivre pas à pas l'enquête de 2007 de Carl Morck et, d'autre part, il ne quitte pas non plus Merete, dont le parcours lui est retracé, depuis les quelques mois qui ont précédé sa disparition en 2002 jusqu'à....à vous de le découvrir. Chaque chapitre, d'une dizaine de pages tout au plus, est ainsi dédié soit à l'année 2007, soit à une année comprise entre 2002 et...là non plus, nous n'en dirons pas plus. Une impression de dynamisme se dégage agréablement de l'ensemble, au moins jusqu'au 4/5 du bouquin, dont la fin, à notre sens, pèche par sa longueur. Toutefois, ne boudons pas notre plaisir : voilà une intrigue assez vraisemblable, dont certains passages font froid dans le dos, lestée d'un brin d'humour et bien ancrée dans la réalité (le manque de moyens de la police, thème récurrent certes mais ici traité avec cet humour dont nous parlions plus haut; les familles recomposées : Morck vit avec son beau-fils, ce dernier préférant vivre avec lui qu'avec sa mère; la crise économique : Morck ne gagne pas des masses d'argent et cela se sent). Même si les caractères des personnages s'avèrent au départ assez conventionnels (Morck : bon flic mais tête de pioche; ses confrères, fainéants et pas malins), force est de reconnaître que, sur la longueur, ils tiennent la route, s'affermissent et nous réservent sans doute encore quelques surprises (les origines de Assad et de ses dons d'enquêteur, comment et pourquoi a-t-il été recruté?) à même de relever une de leurs prochaines enquêtes. Un duo original donc, pour une enquête qui tient en haleine. Un bon moment d'évasion.
(N.F.)
WALLANDER, SUITE ET FIN
+4 Intégrale Wallander : Tome 3 /
Henning Mankell; traduit du suédois par Anna Gibson.- Paris : Seuil, 2011. - 1461p. - (Collection Opus). - 25 euros
Nous vous l'avons écrit ici à de multiples reprises. Nous l'avons, dès le début, défendu bec et ongles.
Henning Mankell est et reste, selon nous, un des tout grands auteurs de romans policiers, scandinave certes, mais qui, grâce à la force d'évocation de ses intrigues et à la puissance de son style, confine à l'universel. Ce que nous avions également salué ici, c'est la publication de cette 'Intégrale' des enquêtes de Kurt Wallander qui permet de découvrir les neuf volumes de ce cycle dans leur ordre chronologique, privilège qui avait échappé aux lecteurs des éditions originales en langue française, puisque l'ordre des traductions se révéla pour le moins chaotique.
Avec ce troisième volume, nous sommes conviés à suivre les trois dernières enquêtes de celui qui fut un temps le personnage fétiche de Mankell : Kurt Wallander. Un flic efficace, intelligent et animé par un sens du devoir et de l'intérêt public qui le rende presque inapte à vivre à son époque. Jusqu'au boutiste mais doutant perpétuellement, attentif aux autres mais bourru et peu doué pour exprimer son attachement, viscéralement convaincu de la valeur et de l'importance d'une vie humaine, de toute vie humaine, mais mélancolique chronique et désespéré par la bassesse de certains de ses contemporains, Wallander a affronté le pire. En est à chaque fois venu à bout, sans se faire d'illusions : il résolvait des énigmes, enfermait des criminels mais n'éradiquait rien. Dans ces trois dernières enquêtes, il affrontera tour à tour la mort de quatre étudiants et d'un de ses collègues; la violence incompréhensible d'autres jeunes envers un chauffeur de taxi et les méandres de la criminalité informatique et, pour finir, il devra plonger au coeur d'une énigme en rapport avec la Guerre Froide. du polar haut de gamme, le dessus du panier, plongez!