Il aurait pu être un bon élève : L'école et la norme

M. l'Inspecteur d'académie adjoint chargé de l'Adaptation et de l’Éducation spéciales nous a tenu récemment des propos qui pourraient éclairer mon problème et m'apporter des solutions, si j'étais certain d'avoir bien compris.
Il nous a réunis, tous les psychologues de l'école, le mois dernier [.......] afin de nous informer des directives ministérielles toutes fraîches concernant la prise en charge des élèves dits "en difficulté".
Il a insisté beaucoup sur le concept de "devenir". Nous devions donner priorité dans nos examens psychologiques aux éléments psychiques qui, chez le sujet, se montraient les plus dynamiques et les plus positifs au plan cognitif, ceux qui favorisaient un bon pronostic du "devenir élève" de l'enfant en question.
Si j'ai bien compris donc, l'école serait une grande, bonne et grosse machine - si je puis me permettre cette comparaison triviale mais claire - dont l'objectif serait de produire des élèves "normés", c'est à dire selon la norme.
C'est un peu compliqué, mais il s'agirait d'une norme selon plusieurs axes : raisonnements et pensées normales, comportements sociaux normaux, rapport à l'autorité normal, mais aussi imaginaire normal, peut-être même, par voie de conséquence, sexualité normale... et j'en oublie. J'avoue que je n'ai pas tout noté.
[.......] Être normal. Une pensée normale, c'est par exemple une pensée de type mécaniste, de cause à effet. Tout effet possède sa cause ; et le monde est organisé, ordonné, classable et prévisible.
Donc, tout ça pour en venir à la conclusion : devenir élève, c'est pour un enfant devenir normal.
Notre travail, à nous psychologues de l'institution, serai d'évaluer si tel enfant en difficulté, signalé par un enseignant, s'écarte par trop de la "norme projetée en devenir", auquel cas on doit enclencher le processus d'exclusion du système des classes normales - je crois qu'il vaut mieux dire "ordinaires" - pour lui trouver une place dans une CLIS, classe spécialisée intégrée dans l'école, si la classe existe, c'est ce qu'on appelle un processus d'orientation.

Je vois ce que l'on pourrait me reprocher : je me suis mis, et j'ai placé cet enfant, par mon attitude irresponsable, dans une situation impossible. Impossible est le mot juste. C'est bien là que se trouvait mon " erreur " : avoir placé ce garçon en position de sujet. L'institution n'est pas pensée, voulue, pour qu'y apparaissent des " sujets ", sujets d'une parole propre, s'entend. Elle est conçue pour que des individus objets, comptabilisés, rangés, classés, identifiés, inclus dans les projets qu'on élabore pour eux. L'institution sait ce qu'ils doivent penser et dire.
Pas question de leur donner la parole, ou alors c'est une ruse dont le but est de les amener à corriger leur " erreur ", à les replacer dans le " droit chemin ". Je croyais qu'éduquer un enfant, c'était libérer son désir d'apprendre, le soutenir et l'accompagner vers sa propre parole, l'aider à sortir des projets qu'on pense pour lui ; je me suis donc trompé lourdement.

Je n’ai jamais entendu d’enfants, même en grande souffrance, mettre en question vraiment leurs parents. Ceux qui le font (je parle de ceux qui vont à l’école, pas au collège) sont ceux qui vont bien. Ils sont suffisamment forts pour prendre ce risque. Les autres préfèreront toujours s’accuser : c’est parce que je ne suis pas sage, que je travaille mal… Même les enfants maltraités s’accusent ; même les enfants que le juge a retirés à leurs parents, parce que la preuve est faite qu’ils sont dangereux, s’accusent : c’est moi qui…
On finit par comprendre : il est impossible à un enfant de détruire l’image de ses parents, et même seulement de l’écorner. C’est vital, il en a besoin.

Qu’est-ce que la santé mentale ? Disons, vous en conviendrez, que l’homme normal est celui qui est adapté à son groupe social, à son environnement, à son milieu. Du coup, on peut retourner la proposition : c’est le milieu qui dit « qui est normal » ; c’est donc aussi le milieu qui dit « qui ne l’est pas » et se trouve exclu. Exclure, même avec des mots est lourd de conséquences. De ce point de vue, l’école est souveraine : elle définit le champ de savoirs comme une réalité incontournable ; elle dit que le normal est celui qui s’y adapte et que l’anormal est celui qui ne s’y adapte pas. Elle ne met pas en question ses définitions, ni du savoir ni des méthodes qu’elle emploie pour qu’il soit acquis. C’est quand même effrayant, quand on y pense, vous ne trouvez pas ?

Peut-être vaut-il mieux que le thérapeute soit dûment diplômé. Mais j’ai rencontré des gens brillants, capables de vous asséner un discours théorique pointu, psychiatres et psychanalystes reconnus et écoutés, qui ne soigneront jamais personne. Et j’ai aussi rencontré des infirmiers, des enseignantes, moins diplômés, incapables de tenir ces beaux discours, mais qui laissent naître entre eux et la personne qui souffre cette chose énigmatique qui s’appelle « thérapie ».