Thérèse, d’abord charmée, épanouie au sein de l’atmosphère bienveillante de Vermont, retombait peu à peu dans une sorte d’absorption et de mélancolie. Souvent elle s’échappait du château, faisait seule de longues courses ; elle errait alors à l’aventure, et ne rentrait parfois qu’à l’heure des repas. Un matin, par un de ces beaux soleils d’automne qui percent lentement la brume et jettent des teintes si vives aux arbres à demi dépouillés, elle s’était éloignée plus que de coutume. D’étranges préoccupations, des rêves bizarres, avaient agité son sommeil. Elle était dans cette disposition vague et languissante à laquelle ne peuvent toujours se soustraire les natures les plus fortes. À chaque instant ses yeux s’emplissaient de larmes ; tout ce que la poésie a créé d’images tendres et dangereuses lui revenait confusément à la mémoire ; se parlant à elle-même, elle disait à haute voix et comme pour se soulager de ses propres pensées, des chants d’amour, des vers tendres ou passionnés.
(Hervé)
Quelle promesse déplorable vous m’avez arrachée ! vous exigez que je n’attente plus à mes jours ; vous voulez que je vive. Et pour qui, grand Dieu ! et pour quoi ? Y aurait-il quelqu’un ici-bas à qui ma vie pût être bonne ? Croyez-vous qu’il y ait là-haut un Dieu qui se plaise au spectacle de nos misères ? Moi, je ne crois rien, je n’aime rien, pas même vous. Je subis votre ascendant ; j’ai pour vous une sorte d’admiration triste et stérile qui m’amène là où vous êtes et qui m’y fait rester de longues heures à vous écouter sans presque vous entendre, à vous regarder sans presque vous voir. N’abusez pas de l’empire que je vous ai laissé prendre. N’en croyez pas votre enthousiaste tendresse, elle vous trompe. Il n’y a plus rien en moi à raviver ; vous ne trouverez plus une étincelle sous ce tas de cendres où
vous vous fatiguez en vain à la chercher. Depuis longtemps je porte avec fatigue le poids de mon propre cœur comme une femme porte son fruit mort dans son sein.
(Julien)
Cette existence de cour, que je m’étais figurée pleine de grandeur et que je trouvais si mesquine, me donnait beaucoup à penser. Les relations intimes de mes parents ne me causèrent pas moins de surprise que leurs rapports avec la princesse. Les personnes qui se rassemblaient chez eux appartenaient toutes, cela va sans dire, à la plus haute noblesse ; mais leur entretien était des plus vulgaires. (Valentia)
Depuis six mois, à l’insu de tous, en ayant soin de vous abuser par des réponses mensongères, j’ai pris tout ce qu’il m’a été possible de me procurer d’opium sans éveiller les soupçons. Adieu, mon unique ami. La mort, c’est la délivrance. Adieu ! (Valentia)
Avec Michelle Perrot, Catherine Arditi
Avec le soutien de la Fondation d'entreprise La Poste
Pour évoquer la vie passionnée de George Sand (1804-1876), on a privilégié ses écrits personnels, son autobiographie, Histoire de ma vie (2 volumes, Pléiade, Gallimard,1970-71) et sa prodigieuse Correspondance, plus de 20 000 lettres réunies et publiées par Georges Lubin (26 volumes, Garnier, 1964-1991). Correspondance amoureuse, réduite par les destructions volontaires, mais surtout amicale, familiale, artistique, politique, quotidienne.., qui montre l'étendue, la variété, la qualité du réseau sandien, témoin et acteur d'un 19e siècle épris de progrès. On y croise Musset, Chopin, Delacroix, Marie d'Agoult, Pauline Viardot, Aragon, Louis Blanc, Hugo, Flaubert (cf. Flaubert-Sand, Correspondance, publiée par A. Jacobs, Flammarion, 1981), tant d'autres. On y entend la voix nocturne (elle écrivait la nuit), chaleureuse, tendre, ironique d'une femme libre, affrontée à tous les défis du siècle.
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