Alejandro est jeune chercheur spécialisé aujourd'hui dans
L ADN ancien, ayant renoncé à ses études de médecine au grand dam de ses parents pour se consacrer à la paléogénétique. Pourtant de la vie à la mort, du présent au passé, la frontière est souvent ténue. Sur fond de printemps arabe, nous allons le suivre dans ses pérégrinations, de Rabat à Montreuil, de Jérusalem au Caire, de Rome à Alexandrie...
Pour le lecteur, le récit démarre à l'image de la vie d'Alejandro, un peu chaotique, le jeune homme brûlant la chandelle par les deux bouts dans un univers nocturne dissolu où le sexe et l'alcool prennent souvent le pas... D'ailleurs, il aime citer l'un des préceptes du poète persan
Omar Khayyâm : « Il n'est personne qui sache le secret du futur. Ce qu'il faut, c'est du vin, l'amour et le repos à discrétion. »
Mais très vite, deux histoires vont émerger dans le récit, entrer en résonance à quinze siècles de distance, s'entrelacer, se couturer. Alejandro est sollicité par son ami russe, Sacha, oeuvrant comme archéologue en Égypte, pour se pencher sur un mystérieux manuscrit en papyrus découvert lors de fouilles sous la bibliothèque d'Alexandrie. Une indéfectible amitié lie les deux hommes, qui aura son importance dans l'intrigue. Il s'agirait d'un journal intime datant du VIème siècle écrite par une jeune femme de vingt ans, Aemilia, adressée à la jeune Théodora, qui n'est autre que la futur impératrice byzantine, épouse de Justinien Ier. Ce journal rassemble la correspondance des deux jeunes femmes qui s'aimaient d'un amour impossible. À distance entre Montreuil et l'Égypte, mais traversant aussi la distance de 1500 ans, il s'agit de tenter d'élucider l'énigme de ce journal intime dont la dernière page est souillée d'une tâche sombre, comme une tâche de sang qui aurait survécu aux affres du temps. C'est dans ce contexte qu'Alejandro apprend la nouvelle qui va l'effondrer et donner une autre tournure à son existence : sa jeune soeur Laura est atteinte d'une leucémie foudroyante... Ses chances de survivre sont très limitées...
Ces deux histoires vont alors tenir l'édifice de ce récit, comme les deux arcs d'une nef, se rejoignant pour en former la voûte.
Jardins d'exil est un roman foisonnant à plus d'un titre, foisonnant de personnages, d'images, de réflexions théologiques, philosophiques sur l'existence ainsi que nos identités, de passerelles entre les civilisations, entre le passé et le présent.
Dans ce premier roman généreux et enthousiaste, à l'écriture fluide,
Yanis Al-Taïr nous invite au bord du monde, à la confluence des frontières, là où tout finit, là où tout recommence.
L'auteur dresse avec intelligence une histoire tissée de ponts, par-delà l'espace et le temps. C'est un foisonnement de questionnements qu'il soulève entre intime et universel, un peu comme deux mains puisant à satiété dans le sable pour y trouver un objet disparu.
Dans ce récit d'amour, de quête initiatique aussi,
Yanis Al-Taïr convoque l'intrication quantique, ce lien incommensurable entre les corps, pour tenter de lire là ce qui ne peut être compris ici.
« Ainsi seule la musique intime des êtres persisterait au-delà des siècles, des origines et des frontières. »
Dans la valse ininterrompue des sociétés humaines muselées dans leurs croyances, entre idéaux et désillusions, l'auteur tente de débroussailler l'entrée d'un autre chemin pour mieux comprendre le fracas du monde.
N'y aurait-il pas alors un double inconscient à nous-mêmes, intime et poétique ? L'indéfinissable soi ? Notre véritable identité, au-delà de notre code génétique et de nos origines, lointain écho de nos intuitions et de nos rêves.... ?
Confrontant le mythe d'Adam et Ève aux récits scientifiques,
Jardins d'exil nous montre un ailleurs possible...
Jardins d'exil comme autant d'autres jardins plus personnels, plus intimes, délimités par notre seul imaginaire.
Si ce premier roman peut donner le tournis à certains moments, - en effet il est grouillant d'idées intelligentes et jubilatoires, à profusion sans doute -, la maladresse du récit est à la hauteur de sa générosité.
C'est un roman généreux à plus d'un titre...
Généreux parce qu'il est empli de questions plus que de réponses,
Généreux parce qu'il dresse la poésie face à la fureur du monde,
Généreux parce qu'il est gorgé d'amour,
Généreux parce qu'il n'oublie pas l'amitié,
Généreux dans sa célébration de la culture du métissage...
C'est pour cette générosité que ce premier roman ambitieux d'un jeune auteur empli de promesse mérite toute notre attention et notre bienveillance.
« Si nous ne sommes pas là nous non plus, ils vont nous arranger la république. Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change. Est-ce clair ? »
Le Guépard -
Giuseppe Tomasi di Lampedusa
Je remercie Babélio et les Éditions du Lointain pour l'envoi de ce roman totalement inclassable.