Comme on s'en doute, il n'est pas facile d'évaluer un livre comme
machines de guerre urbaines où les textes traitent de sujets aussi diversifiés et regroupent différents acteurs des villes contemporaines. S'il s'agit bien d'un choix éditorial, de rassembler sous la même enseigne différents intervenants – architectes, designers, artistes, historiens, géographes, philosophes – et d'aborder différents thèmes, on peut dire que le pari est tenu : Machines de guerre dresser un panorama relativement large des différentes préoccupations urbaines contemporaines.
En raison de cette hétérogénéité, affichée et souhaitée, le lecteur trouve néanmoins difficilement sa place. On peut même se demander à qui s'adresse un tel ouvrage. Si j'ai trouvé très intéressant plusieurs textes, des vraies trouvailles (entre autres, le texte de Careri ou les travaux d'Étienne Boulanger) et j'ai été captivé par certains thèmes, je dois dire que plusieurs textes m'ont carrément énervé. Et il certain que si je n'avais pas eu à faire une critique babelio, je n'aurais pas lu l'ensemble des textes de ce recueil.
Comme je l'ai annoncé ce n'est pas tellement l'étendu des sujets couverts qui posent problème, ils sont même suffisamment diversifiés pour susciter notre curiosité. le problème me semble provenir de certains points de vue défendus. Si je simplifie, je dirais que deux grandes tendances se dessinent dans ce recueil (sans tenir compte de la nouvelle qui clôt l'ouvrage). D'une part des analyses historiques où est abordé des travaux d'artistes, parfois surprenants, et d'autres part, des constations relativement partielles avec un fort engagement idéologique. Plusieurs textes avec ce point de vue m'ont fait grincer des dents. Je peux avancer ici quelques explications.
D'abord, il existe une prise de position qui me semble forcée. Pour reprendre les termes du titre, les machines de guerre, concept deleuzien qui, comme le souligne le philosophe, ont tendance à être institutionnalisées, à être reprises par l'état (appareil). Pour le dire autrement, les pratiques marginales, les méthodes transgressives, les tactiques inventives se trouvent après un certain moment aspirer par le grand nombre et deviennent communes, règlementées, normées.
Alors, comment faire pour défendre des manifestations qui dans les années 1960 ou 70 étaient innovantes, critiques, transgressives, mais qui aujourd'hui ont été attrapées par les institutions, les gouvernements et récupérées par le marché?
Par exemple, comment maintenir le graffiti comme une machine de guerre lorsque celui-ci est entré au musée depuis une vingtaine d'années ? Comment revendiquer une pensée écologique, durable, innovante, lorsque l'ensemble de la planète signe des accords, que les villes font de l'écologie une priorité ; que le recyclage, le compostage et le jardinage deviennent une pratique commune ?
Ce ne sont pas les thèmes abordés qui gênent, mais bien le fait de forcer la théorisation sous la tutelle du concept de Deleuze et
Guattari. le concept de « machines de guerre » devient dans plusieurs des cas, inopérant, forcé et même encombrant. On en vient même à se demander si d'autres concepts auraient été plus pertinents pour appuyer ce qui a été présenté.
D'ailleurs, dans la conclusion, il n'est plus tellement question de machines de guerre, mais des « lieux de l'espace commun ». Je crois que si ce recueil avait été plutôt composé autour de « la nécessité de penser des espaces communs dans la ville », les auteurs auraient abordé certainement leur sujet différemment et l'on n'aurait pas perçu autant le décalage entre ces propositions de ce « monde commun » et les réels enjeux qui occupent les différentes villes aujourd'hui.