Yannis, jeune autiste grec n'est pas seulement
L'enfant qui mesurait le monde. Il est aussi celui qui ambitionne de le garder en harmonie et de lui éviter les désordres qu'engendre le chaos du monde moderne quand il vient fracasser par ses sombres réalités, sa petite île de Kalamaki.
C'est déjà pour lui le début du désordre quand les bateaux de pêche ne rentrent pas au port le matin dans le bon ordre ; quand le poids des poissons qu'ils rapportent varie sensiblement ; ou quand les clients du café du village sont plus nombreux que le jour précédent. Alors quand un grand groupe décide d'investir des millions d'euros pour construire sur son île un futur palace qui attirera les touristes du monde entier, c'est un cataclysme qui s'abat. D'autant plus que le projet divise l'île et ses habitants, aiguise les appétits pas toujours très nets et intéresse les pontes d'Athènes et de Bruxelles, les seconds n'ayant de cesse que de surveiller les actions des premiers.
Heureusement, Yannis peut compter sur Maraki, sa mère, qui a mis sa vie entre parenthèse pour s'occuper de lui, rejointe par Eliot, architecte américain récemment installé sur l'île sur les traces de sa fille défunte. Patiemment, il va apprendre à Yannis que la rupture de l'ordre établi est inéluctable, mais qu'elle se doit d'être accompagnée, adoucie, décidée.
Comme je l'avais déjà été dans plusieurs de ses précédents romans (
Le Turquetto,
Prince d'orchestre...) j'ai été à nouveau emballé par l'écriture de
Metin Arditi, certes lente, mais faite de mots justes car économisés. Une écriture d'une poésie sublime lorsqu'il décrit l'atmosphère si particulière des ces îles grecques où le vent et la chaleur cohabitent si bien. Une écriture "musicale" où les variations de rythme cassent habilement l'ordre conventionnel du genre.
Arditi réussit surtout à faire cohabiter les extrêmes, appelant dans son roman les références classiques et glorieuses de la Grèce antique pour soutenir son propos, tout en les confrontant aux impitoyables réalités actuelles d'un pays financièrement exsangue, se faisant piller et dicter ses lois de l'étranger. Fierté et misère, les deux mamelles schizophrènes de la Grèce moderne. Dans la même veine, il appelle en soutien de son propos les principes idéologiques de la religion orthodoxe comme ceux totalement binaires des mathématiques de Fibonacci et de l'implacable logique du Nombre d'Or.
Alors oui, si on veut, c'est un conte et
Metin Arditi ne tranche pas la querelle des anciens et des modernes. Mais puisque l'on ne peut arrêter l'évolution du monde, on peut cependant lui éviter le désordre absolu par l'application du compromis pragmatique, ambitieux et apaisant. Une lueur d'espoir. Et pas que pour les Grecs...