Je prends mon temps. la lenteur est une vertu. Et je crois à la nécessité de la contemplation.
La distance entretenait notre désir plus que ne l'aurait fait un frôlement de manches ou de peau.
La cour du lycée, nos camarades respectifs, les yeux inquisiteurs des surveillants, des professeurs et ceux de quelques élèves excités qu'un des leurs vire pédé, au moins quelqu'un à humilier, au moins une occasion d'affirmer qu'on a une bite et des couilles, ne nous encerclaient plus, ils ne nous contraignaient plus à la prudence.
Mais la rue ne nous délivrait de rien. Elle épiait, elle jugeait, elle était rue. Et ma mère pouvait se profiler sur un proche horizon. Cependant, devant le garçon merveilleux, je n'avais plus ni mère ni père, je n'étais plus un fils. L'émotion d'être en sa compagnie était si puissante, si enveloppante, elle me plaçait à un tel point dans un monde où le temps s'immobilisait, où sa notion devenait inconcevable, que ne m'effleurait pas que l'on pût nous vouer de la haine pour ce que nous étions, pour le goût que l'on avait l'un de l'autre. Et puis son apparence de mâle nous protégeait.
En n'ayant pas eu l'amour comme moteur dans ma vie, je m'évite les déceptions qui lapident.
Le regard que je portai alors sur lui allia compréhension et tendresse et je ne l’interrogeai plus avec mon ancienne agressivité, je ne lui posai plus de questions, mon silence épousa le sien, nous étions vraiment ensemble, père et fils, c’était doux. Ce ne sont que des milliers de jours après sa disparition qu’il me fut évident que je l’aimais, le respectais et que je m’avouais l’avoir mal aimé, ou du moins que je lui avais mal prouvé mon amour. Je protège en moi le souvenir d’un homme que par ma faute, par mes imbéciles reproches, j’ai peu connu et qui cependant ne m’est pas un étranger. Je suis né de lui.
Nous parlâmes de mes études qui m’emmerdaient, ce dont je tirais gloire ; de la liberté que m’accordaient mes chers parents, de mes parents. Paroles qui donnaient à l’intérêt que nous avions l’un pour l’autre une intensité impérative. Nos maillots moulaient ce qui nous excitait. Nous nous voulions nus. J’étais un jeune garçon. Je lui fis entendre que mon pucelage appartenait au passé.
Il niait alors le pouvoir de vengeance qu’engendrerait ma non-jouissance, il ignorait que la haine que j’aurais de lui aurait bien plus de puissance que la sienne, puisqu’il devait tout de même me haïr pour me soumettre ainsi à sa violence.
On gardait la pose de qui détient la vérité, on affichait parfois des opinions en contradiction bruyante avec nos convictions profondes, et ça ne nous gênait pas tant que cela. La pose nous rendait visibles. Les illusions, pis qu’une tumeur maligne.
Dieu était invisible, au contraire de ses saints et archanges, statues qui exhibaient une musculature flatteuses et appétissante et dont la chair, pensais-je devait avoir plus de saveur que l'hostie...
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Fouailler dans les des destins imaginaires m'accordait une autorité réelle et m'offrait la possibilité de m'extraire de cette houle de morts qui s'amplifiait sans cesse.
On ne m'avait pas dit que le désir ne conduit pas nécessairement au plaisir.