Trois petits entretiens dans
Art Press, ce n'est pas rien, mais ce n'est pas grand-chose non plus. Ce n'est pas grave car pour qui aime le lire,
Michel Houellebecq ne cache rien dans ses publications. Ainsi pourra-t-on se poser la question de l'utilité de ces entretiens : ceux qui n'ont jamais aimé lire
Houellebecq ne connaîtront pas une illumination subite et ceux qui lui sont indifférents le resteront sans doute encore. A la limite peut-on parier sur la fidélité de ses lecteurs dévoués pour rendre à ces entretiens tout leur mérite, celui du plaisir.
Sur un ton que l'on imagine presque enfantin, Michel répond : « Je pense que c'est une erreur de m'avoir perçu méchant. Je ne me suis jamais senti provocateur ou rebelle. […] Cette vision négative s'appuyait pour une grande part sur les scènes sexuelles de mes livres, or je n'ai pas le sentiment que mes livres précédents soient une succession ininterrompue de scènes de sexe. […] Les scènes sexuelles n'y jouaient pas un rôle démesuré, pas davantage en vérité que celui qu'elles jouent dans la vie ». Michel est comme ça : il constate ce qui se passe, la plupart du temps en conservant le point de vue distant et détaché de l'individu qui s'est oublié. « Connaissez-vous le phénomène d'aqua-planning ? Quand une voiture rencontre une nappe d'eau sur la route et qu'elle a une perte d'adhérence. C'est un phénomène que, moi, je connais parfois : j'ai des pertes d'adhérence par rapport à la vie. »
Les entretiens réunis dans ce livre commencent à dater. le plus récent date de 2010. On y trouve toutefois matière à réfléchir à propos de son dernier livre, le bien-nommé «
Soumission ». Pour que les emmerdeurs calment la frénésie de leurs doigts à triturer la question du « qui est pro ou anti-islam ? », il suffit de se rappeler que Michel n'accorde aucune importance particulière à lui-même -et donc à ses opinions-, et qu'à l'histoire de l'individu il préfère l'histoire de l'Histoire. « Je ne suis pas un prophète, je ne l'ai jamais été, mais j'ai gardé de ma longue fréquentation de la science-fiction le goût de lancer des hypothèses ».
Le phénomène d'aqua-planning remet en question les points de repère habituels : on perd de l'adhérence pendant un court moment qui peut s'éterniser et lorsque les roues retrouvent à nouveau un contact stable avec la route, on réalise mieux qu'auparavant que les phénomènes auxquels nous sommes habitués (une voiture roule sur la route, un conducteur est à son bord, aucun accident ne se produit) n'ont rien d'évident. Lorsque Michel observe les phénomènes les plus anodins de l'existence, qu'il s'agisse de supermarché, de boîte de nuit, d'art contemporain, de quincaillerie ou de mémoire, il babille à nouveau. Ses mots sont limpides, il ne laisse rien dans l'ombre et il observe les événements de la vie de l'homme moderne avec une simplicité désarmante. On peut rire avec lui lorsque les personnalités de la garde le mitraillent après la parution de tel livre, de telle correspondance ou de tels entretiens pour lui faire dire davantage qu'il n'en avait pensé.
Michel Houellebecq constitue peut-être le prototype humain d'un fluide de vérité qui malmène surtout ceux qui ont encore quelque chose à défendre de leur personnalité.