Étrange époque que celle où l'on était sommé de démontrer non ce que l'on était mais ce que l'on n'était pas. Dans ces moments- là, la France du Maréchal évoquait l'Espagne de L'Inquisition. Celle de la pureté du sang.
très bon livre, une chute incroyable. Une belle leçon de vie, quand le travail d'historien ne doit pousser à juger, une réalité encore plus terrible que ce à quoi on s'attendait. J'ai adoré!
On n'en finira jamais avec cette histoire. Elle nous hante, elle nous obsède, impossible de nous en débarrasser. Plus d'un demi-siècle que la méduse nous colle à la peau. Quand certains meurent de leurs mœurs, d'autres étouffent encore de ce passé qui ne passe pas. Après tout, à chacun ses insomnies. Les plus à plaindre ont la nostalgie de ce qu'ils n'ont même pas connu. Cet étrange spectre est l'astre noir de notre morale. Qui saura l'exorciser ? Qui...
J'en étais là de mon délire quand la voix hésitante du hautparleur interrompit la course de la plume sur le papier. La bibliothèque allait fermer. Je relevai la tête, comme hébété.
Les lecteurs alentour ne semblaient pas tellement plus frais que moi. De quelle émeute médié-ale pouvaient-ils bien émerger? Une chronique d'une infinie brutalité se lisait dans leur regard. Manifestement, on s'était beaucoup battu ce jour-là chez eux. En tout cas plus que chez moi.
- Il ne faut jamais rencontrer les gens que l'on aimerait haïr. Jamais. J'étais venu me mesurer à un monstre froid, je me trouvais confronté à une dame.
Cette littérature [d'archives] (...) était à l'image de la France. Le pire y côtoyait le meilleur, et des injustes les Justes. Le pire, c'était ce copropriétairre qui dénonçait à la police sa concierge assermentée parce qu'elle avait refusé de dénoncer les clandestins cachés dans les combles de l'immeuble. Le meilleur, c'était cette vieille dame qui morigénait le Commissaire, lui reprochant l'indignité de sa fonction et l'iniquité de ses méthodes, pour ne rien dire de l'esprit même de son action, qu'elle jugeait scandaleusement antichrétien et antifrançais. (p. 22-23)
"Je les croyais morts en déportation, ceux-là."
Ceux-là... Ces deux mots, si anodins, avaient suffi à défigurer celle qui les avait employés.
(...) Entre l'abjection de conscience et le supplément d'âme, on trouvait le registre complet des accommodements, compromis et reniements dont la Révolution nationale entendait faire des vertus bien françaises. Toute la gamme des délateurs s'y exprimait en majesté ou en catimini. Celui qui est fier de servir son pays et celui qui balance avec l'air de ne pas y toucher. Celui qui n'ose pas et le fait quand même et celui qui trouve le gouvernement encore trop timoré sur la question. Celui qui se sent naître une vocation d'auxiliaire de police et celui qui est encore disponible si on a besoin de lui. Celui qui est prêt à consigner son acte sur un livre d'or et celui qui préférerait qu'on l'oublie, sait-on jamais.
p. 25
Je voulais savoir.il fallait que je sache. Jamais je ne me serai pardonné d'avoir entrevu le mal absolu et d'avoir fermé les yeux.
Plus je m'enfonçais dans le maquis des archives, plus je m'apercevais que les années noires avaient été grises. Elles n'étaient qu'ambiguïté et compromis. Elles avaient la couleur du flou. L'engagement net et entier, de quelque bord qu'il fût, était l'exception et non la règle.
La lecture de centaines de lettres de dénonciation m'avait ahuri. Non par la violence de la haine ordinaire mais justement par sa sérénité, du moins jusqu'au printemps 1942. On s'expliquait, on argumentait. Ils sont trop ceci, ils sont trop cela, on devrait donc les mettre ailleurs, le plus loin possible de chez nous. Ce furent des années de grand débarras. On a beaucoup jeté. Mais je fus encore plus accablé en forant davantage dans ce gisment de rancoeur.
C'était le mari trompé qui trahissait sa femme au coeur innombrable, la maîtresse délaissée son amant trop volage, l'ami floué son associé duplice, le père de la fiancée son futur gendre indésirable. Cela s'est passé entre Français. Des chrétiens ont fait ça à des Juifs. Mais des Juifs se sont également fait ça entre eux. A l'instant de sauver leur peau, certains étaient capables de tout. p.59-60
C'étaient des Juifs d'Europe de l'Est. Je les croyais assez polonais, on les imaginait plutôt roumains. Des premiers on disait que si, comme tant d'autres, ils étaient prêts à vendre père et mère pour réaliser une bonne affaire, à la différence des seconds ils livraient à domicile. Des seconds on disait qu'il était recommandé de compter ses doigts après leur avoir serré la main.