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Mémoire ouvrière.

Des années 70 à aujourd'hui, la chronique d'un monde disparu, celui d'une industrie florissante et conquérante, celui aussi d'une classe ouvrière fière et solidaire. Une dignité qui revit sous la plume de Christian Astolfi dans ce roman poignant et vibrant de poésie.

C'est un monde où le travail bien fait avait encore un sens. L'amour du bon geste qui devenait beau par la précision de son efficacité et la rapidité de son exécution.
Un monde solidaire, où le partage d'une même condition se ressentait chaque jour dans des horaire fixes et des postes clairement définis. Une unité de temps et de lieu qui incitait à se soutenir, à s'entraider mais aussi à s'éveiller et à prendre conscience, voire se rassembler, protester, et même se révolter et obtenir un peu de justice...
Un monde où les rapports de force étaient souvent prévisibles, mais utiles car le développement technologique permettait encore le progrès social (à condition de lutter).

C'était avant l'explosion individualiste et l'avènement du management néolibéral, ripoliné à coups "d'humain" à tous les étages, dégoulinant de bons sentiments trempés dans le développement personnel comme si de notre travail notre vie dépendait.
Un monde avant la mondialisation et la mise en concurrence internationale des industries et du savoir-faire de tous ses ouvriers, comme le démontre ici très bien l'auteur.

De sa longue expérience aux Chantiers navals de la Seyne-sur-Mer, Christian Astolfi écrit un livre de mémoire ouvrière beau et digne. Sa plume fluide se fait aussi légère que grave pour parler de l'amitié indéfectible entre collègues, de l'amour naissant, des lendemains qui chantent Barbara et des désillusions qui assoment.
C'est la chronique d'un pays et de sa transformation économique des années 70 à aujourd'hui. Un bouleversement industriel, "La Machine" chevillée au corps jusque dans ses entrailles, puisque même fermés les Chantiers restent physiquement en lui de par la couche d'amiante qu'ils y ont déposé. le scandale de la "dame blanche", dont ses patrons connaissaient la dangerosité dix ans avant la fermeture du site, est le fil rouge de ce roman poignant, conducteur de toutes les émotions et de tous les poings levés.
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Les chantiers navals de la Seyne sur Mer qui font vivre toute une ville, comptent parmi les fleurons industriels du pays. Embauché comme graisseur, le narrateur va rejoindre toute une lignée d'ouvriers qui oeuvrent dans les entrailles de » La Machine »
« À l'image de mes camarades, chaque fois qu'on me posera la question, je ne dirai jamais que je travaille aux Chantiers, mais que j'en suis. Comme on est d'un pays, d'une région, avec sa frontière. »
En pénétrant cet univers d'acier, de graisse et de bruits, on troque son nom contre un surnom. Il y a l'Horloger, Cochise, Mangefer, Filoche, Barbe et pour le petit nouveau ce sera Narval.
Le récit de Narval nous plonge au coeur même de cette vie ouvrière avec ses codes. Mais, si le travail est pénible, on est fier de bien l'accomplir. La ville respire au même rythme que les chantiers, on fait la fête sur les quais, et, lors des défilés du 1e mai, on sait lever le poing. Aussi, l'espoir est grand lorsque Mitterrand est élu en mai 1981.
Les désillusions viendront très vite. Déboussolé par l'arrêt des chantiers après le dépôt de bilan, Narval traine son mal de vivre et s'éloigne peu à peu de Louise sa compagne. A cette difficulté viendra se rajouter, sept ans après l'arrêt des chantiers, le scandale de l'amiante. Ces fibres, respirées tous les jours pendant des années de labeur, font leur travail de sape dans les poumons des anciens ouvriers.
« Des substances, dans la Machine, il y en avait à la pelle. Elles flottaient devant nos narines, suintaient sur les parquets, graissaient les blocs-moteur, vaselinaient les collecteurs, les gaines et les câbles. »

Avant d'être écrivain, Christian Astolfi a débuté sa vie professionnelle aux chantiers navals et, s'inspirant de son vécu, il nous immerge dans cette vie ouvrière agitée par les luttes sociales et minée par le scandale de la crise sanitaire de l'amiante. Après les années glorieuses viennent celles du dégoût, de la tristesse et des morts.
L'auteur évoque aussi les familles, il esquisse quelques portraits touchants comme celui du disquaire mélomane. La solidarité du monde ouvrier est bien rendue ainsi que cette camaraderie pudique et sans concessions. Les pages que le narrateur consacre à son père dont il est fier sont touchantes de vérité.
« Tout-à-coup, une phrase que mon père vient de prononcer me sort de ma rêverie. La dignité, c'est la seule chose qu'on ne doit jamais leur céder. »
Évitant l'écueil d'un lyrisme débridé, l'écriture sobre est vibrante de sincérité et de véracité. L'émotion est palpable et on sort un peu sonné de ce roman puissant. Pour mou, la découverte d'un auteur et un coup de coeur.


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Naval, Cochise, Barbe, Filoche et Mangefer, hommes aux surnoms portés en cale sur les chantiers navals de Seyne-sur-mer, se tiennent la pogne, tirent, suent dans la fournaise où vole ce qui étouffe et fait cracher. Leur monde est dans la tâche, là, en bas où l'amitié serre les coudes et la crasse de ceux qui exploitent soude.
Dès les premières pages de ce roman, le souffle manque. La rudesse empoigne et nous entraine dans les entrailles des cargos rafistolés à coups de masse, de graisse, d'hydrocarbures, de soudures et de cette matière aux multiples promesses, blanche, inodore et tranquille dont on respire les fibres sans méfiance alors qu'elle s'arrime aux poumons où, silencieuse, elle prend ses aises. Ils en crèvent, ces hommes, et l'ignorent. Pourtant depuis 1977, la toxicité de l'amiante est connue.
Lorsque j'ai reçu ce roman dans le cadre du prix du livre France bleu / Page des libraires, j'ai pensé que sa lecture allait être pénible, voire désagréable. le résumé ne me plaisait pas, le thème m'intriguait mais sans plus et j'avais en tête l'idée toute faite d'avoir en main « un livre de mec pour des mecs » ! Qu'est-ce qu'on est c**, parfois !!! Ce roman est tout le contraire de ce que j'ai cru : il est absolument passionnant ! Et je l'ai dévoré, touchée par l'existence de ces hommes malmenés par la conjoncture, trompés par les politiques, par leurs employeurs, livrés à eux-mêmes, des hommes de chair et de sang, bien vivants, dont on entend la toux et la souffrance, dont on prend le chagrin, la colère, des hommes pour lesquels on mesure l'immensité d'un gâchis.
Ce roman est un cri à entendre. Il est le cri de ces hommes relayé par la plume incroyable d'un auteur dont il faut retenir le nom. Fresque sociale et historique – de la fin des années 70 à nos jours, il rappelle ce qu'on ne peut ignorer et dénonce les actions menées en politique dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui.
Une lecture bouleversante.
Ce roman a remporté le prix France Bleu / Page des libraires 2022

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J'aime les romans qui racontent un pan oublié de l'histoire contemporaine. Qui se souvient des chantiers navals de la Seyne-sur-Mer ? Qui se rappelle des victimes de l'amiante ? Christian Astolfi.
Il nous embarque dans un récit fort et lucide, à la rencontre des hommes qui ont voué leur existence à la « machine », à la construction des géants des mers. Ils se surnomment Narval, Cochise, Filoche, Mangefer ou Barbe (très belles descriptions aux pages 13, 18 et 28). On partage leurs plus grandes espérances (l'arrivée de la gauche au pouvoir) et leurs plus sombres désillusions : la fermeture des chantiers (« J'avais finalement choisi de prendre la prime de départ (…) J'avais l'impression d'être un tueur à gages que l'on payait pour sa propre exécution »).
Ils sont pris de cours. Les uns soufflent le verre, les autres excellent dans la ferronnerie ou l'encadrement. Ils ont quitté leur travail d'équipe et leur confraternité pour des boulots d'artisans solitaires sans se douter qu'une ennemie, plus redoutable encore que le désoeuvrement, les attend au tournant de leur vie.
Filoche ne se rendait compte de rien. Il maniait l'amiante avec désinvolture (« le ramoneur a sa suie, le boulanger sa farine, moi j'ai le chrysotile qui me fait des pellicules »). Tout le monde savait, les pouvoirs publics, les syndicats, les scientifiques. Ils ont sacrifié quelques centaines d'ouvriers plutôt que de stopper la machine économique et d'engager la responsabilité de l'État. Il n'est pas mis en cause, il a pour alliés la lenteur de la justice et la mortalité accélérée des plaignants (« Nous n'avions pas de thérapie à mener. Sinon celle de ne pas oublier d'où nous venions »).
Un roman juste et poignant qui referme le chapitre de l'ère industrielle.
Bilan : 🌹🌹
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Christian Astolfi est un auteur qui mériterait d'être plus connu. Heureusement, je le découvre grâce à la sélection de son quatrième livre "De notre monde emporté" pour le Prix des lecteurs de ma bibliothèque. C'est un excellent choix car j'aime beaucoup ce roman social de la fin du 20ème siècle dans lequel on découvre le quotidien des ouvriers des chantiers navals de la Seyne-sur-Mer.

François Lorenzi est le narrateur mais aux chantiers il est nommé Narval car ils ont tous des surnoms. On y découvre tous les corps de métiers avec Mangefer, Barbe, Filoche, Cochise et L'horloger.
Le port avec la mer en point de mire, le bruit des tôles que l'on cogne et l'horizon barré par la ronde incessante des navires dans la darse est le théâtre de sa vie, son histoire familiale.
Quand les chantiers navals ferment alors qu'ils ont été le regroupés avec ceux du Nord, la Normed suit le mouvement de désindustrialisation de la France après les charbonnages et la sidérurgie. le désoeuvrement est d'autant plus grand pour les ouvriers qui y travaillent que la gauche est au pouvoir. Malgré les luttes et la solidarité, les désillusions vont grandissantes dans les années 1980 à l'époque où les dangers de l'amiante pèsent encore peu face à la mort sociale des ouvriers. le scandale sera vite dénoncé avec de nombreux malades et les vies écourtées mais l'interdiction d'utiliser l'amiante ne sera votée qu'en 1997. Et ce n'est pas terminé…

J'ai beaucoup aimé la construction en courts chapitres de ce livre où les allers-retours dans le temps ne perturbent pas le fil du récit. Avec son titre évocateur "De notre monde emporté" le ton est aussi nostalgique qu'il est combatif dans les romans sociaux de Gérard Mordillat. Mais comme lui, Christian Astolfi fait sortir les voix du monde ouvrier avec une justesse d'écriture remarquable en raison de son expérience.


Challenge Riquiqui 2023
Challenge Multi-défis 2023
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Il y a une certaine logique de transmission dans le palmarès du prix France Bleu / Page des Libraires, d'un chantier naval à l'autre, du Tant qu'il reste des îles de Martin Dumont lauréat 2021 à de notre monde emporté de Christian Astolfi couronné en 2022. le fil qui les relie c'est l'humain, la camaraderie, cette relation singulière qui se crée autour de la fabrication d'un bateau, pièce unique qui nécessite la mise en oeuvre de compétences, un tempo, une réunion de savoir-faire bien spécifiques et complémentaires. C'est ce que Christian Astolfi fait tellement bien passer avec sa prose sobre mais précise, au service de l'orchestre qu'il dessine, car oui, ce chantier de la Seyne-sur-Mer fonctionne comme un orchestre bien réglé où se succèdent choeurs et solos parfaitement exécutés. le narrateur y est entré en 1972, sur les traces de son père et il y a grandi aux côtés de ceux qui sont peu à peu devenus une seconde famille. A chacun son surnom, c'est la tradition, lui est maintenant Narval à la suite d'une journée mémorable. Les conditions de travail sont difficiles, dans la graisse, le bruit incessant des machines, la chaleur, mais les géants qui sortent de là font la fierté de tous ces hommes. C'est leur vie, leur raison d'être. Pourtant, l'activité tangue, au début des années 80 et malgré l'espoir né de l'arrivée de la gauche au pouvoir fêtée dans la liesse, les chantiers sont restructurés puis, quelques années plus tard complètement fermés. Pour certains c'est une sorte de mort, mais ils ne savent pas encore que la mort, la vraie rôde insidieusement dans leurs organismes exposés à l'amiante.

Sous la plume inspirée de Christian Astolfi c'est tout un monde qui renaît. Il y a de la chair, des bruits et des sensations dans ces pages qui racontent la vérité d'une fierté de travailleur et les espoirs floués, qui disent la réalité humaine face au système qui broie. Il y a tout ce qui n'apparaît jamais dans un compte-rendu journalistique, l'essence d'un être dont la vie se confond avec le labeur au point de ne plus trop savoir qui il est une fois arraché à sa tâche. Est-ce que cet investissement corps et âme valait le coup pourrait-on se demander ? L'auteur glisse habilement la question qui ne prend jamais le pas sur l'entreprise mémorielle de ce texte. Depuis le début ce sont les hommes qui comptent, ce sont eux dont il faut se souvenir par ces temps de luttes jamais interrompues.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Je remercie Babelio et les Editions Pocket pour ce roman de Christian Astolfi.
Dans le récit « de notre monde emporté », le narrateur, Narval (surnom que lui ont donné ses collègues) raconte son quotidien au coeur des Chantiers navals de la Seyne-sur-Mer. Il commence à y travailler au début des années 70 jusqu'à la fin des années 80, à la fermeture des chantiers et la liquidation de la société Normed (regroupant les chantiers navals de Dunkerque, la Seyne-sur-Mer et la Ciotat).

Narval nous parle de ses premiers jours, de la découverte de ce travail dur, physique, des gestes qu'il acquiert face aux machines, de cette communauté avec ses collègues, ses camarades, presque une famille. Chacun se voit attribué d'un surnom en fonction de ses qualités pour une tâche particulière ou encore pour un trait de caractère. Des surnoms qui soudent les uns aux autres, qui leur donnent également le sentiment d'appartenance à un groupe et leur confèrent une identité sociale. de ce métier difficile, dans l'antre de « la Machine », naissent des relations solides entre collègues, la passation du savoir, des techniques, leur attachement à leur métier, la satisfaction du travail accompli, l'entraide, une cohésion, des amitiés fortes, un groupe, une famille…
D'ailleurs, entrer dans les chantiers, c'est souvent une histoire familiale. le père de Narval, cet homme qu'il admire et respecte, a fait lui aussi partie des chantiers.

Mais les commandes commencent à diminuer, certains contrats de travail ne sont pas renouvelés… Et malgré la lutte ouvrière, les grèves, les chantiers finissent par fermer, en laissant plus d'un sur le carreau… et La Seyne-sur-Mer s'allonge à la longue liste des villes ouvrières qui baissent le rideau (Longwy, etc.), avec cette impression que direction, pouvoirs publics et même syndicats n'ont pas assez oeuvrés pour maintenir le travail de ces salariés, pour ne pas dire qu'ils les ont laissé tomber…
Et pour avoir pendant tant d'années travaillé, avoir été malmené physiquement, s'être usé, pour avoir tant donné à son travail, aux chantiers, il y a de quoi l'avoir mauvaise, il y a de quoi ressentir aigreur et abattement.
Alors que certains peinent encore à retrouver du travail, que d'autres n'ont plus la même implication pour leur nouvel emploi, un autre mal rôde et ronge, encore plus insidieux… l'amiante appelée par un de ses collègues ‘'la dame blanche''.
Lui et ses anciens collègues vont finir par apprendre que l'amiante -qu'ils respiraient toute la journée dans les chantiers- est mortelle et que les dirigeants le savaient, au moins dix ans avant la fermeture des chantiers navals… de quoi démolir encore, de quoi rager encore, de quoi mettre un gros coup au moral encore, de quoi faire naitre désillusion et amertume, colère et rancoeur… surtout à la vue des amis qui sont malades, s'amenuisent et meurent…

A travers Narval, l'auteur nous ouvre les portes sur le quotidien des chantiers navals. Dans ce roman social, il met en scène ces ouvriers, une classe sociale qui pendant des décennies a permis à l'hexagone de construire sa force industrielle… Industrie qui a fait les belles années de la France avant que le tertiaire ne la supplante et qu'on commence à oublier peu à peu ceux qui ont travaillé et qui travaillent encore dans ce secteur...
Durant la lecture de ce roman, j'ai pensé à d'autres récits mettant également en avant cet univers professionnel : « A la ligne », « l'établi », etc. ou encore au très bon documentaire « Nous, les ouvriers » passé récemment sur France2.

Né à Toulon en 1958 dans une famille ouvrière, Christian Astolfi, entre à 16 ans comme apprenti à l'Arsenal maritime de Toulon et deviendra ouvrier charpentier tôlier, avant d'entreprendre des études d'ergonomie qui le conduiront à analyser le monde du travail.
Parce que, notamment, il y a travaillé pendant des années, Astolfi sait raconter, créer l'ambiance, reproduire les gestes, faire entendre le bruit assourdissant dans la Machine, le coeur des Chantiers. Il sait parler aussi, avant tout, de ces hommes, ceux qui disaient « être des Chantiers ». Et rien que cela, une fois perdu, on peut comprendre que leur identité sociale est mise à mal.
Par un subtil mélange d'une narration pleine de pudeur, de mots justes qui percutent et de petites touches poétiques (lors de l'évocation de la relation amoureuse entre Narval et Louise ou encore par la référence à Neruda), Christian Astolfi réussit à marquer le lecteur.

Un récit que j'ai ressenti comme un double témoignage, à la fois celui du vécu de ces ouvriers, mais aussi celui de l'affection et l'admiration d'Astolfi pour ses camarades, ses frères…


[Et le combat de ses salariés se poursuit avec ses succès et ses revers … Extraits de journaux glanés sur internet, suite à cette lecture:
-Octobre 2023 « le tribunal administratif de Besançon a rejeté le jeudi 26 octobre dernier l'ensemble des requêtes déposées par d'anciens salariés du site d'Alstom à Belfort, qui demandaient réparation après avoir été exposés à de l'amiante jusqu'en 1985. Il s'agissait d'une ultime tentative des plaignants engagés depuis les années 90. »
-Avril 2021 : « La justice a condamné l'État à indemniser, pour le préjudice d'anxiété lié à l'exposition à l'amiante, 32 ex-salariés des chantiers navals de la Normed à Dunkerque avant la première réglementation de 1977. » […] 150 autres salariés attendaient encore leur jugement à cette époque
« Dans l'un des jugements favorables datés du 28 avril, le tribunal administratif de Lille estime que l'État a commis une ‘'faute de nature à engager sa responsabilité'' en n'ayant pas pris de mesures, dans les années 1960, pour éviter ou limiter les dangers déjà connus liés à l'exposition à l'amiante.
Le juge reconnaît également que l'État a failli à son rôle de contrôle, après 1977 et jusqu'à la disparition de la société à la fin des années 1980, en n'envoyant pas l'inspection du travail s'assurer du respect de la réglementation, mais estime que cette absence ne peut être ‘'fautive qu'au terme d'un certain délai''.]
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Narval grandit dans un milieu ouvrier à La Seyne-sur-Mer, près de Toulon, dans les années 1970. Employé des chantiers navals, tout comme son père, il se construit une identité auprès de ses collègues autour de l'amour du travail bien fait. Des années plus tard, en apprenant l'éventualité d'une fermeture du site pour raisons économiques, il rejoint ses camarades dans la lutte.

Un roman – ou un récit – qui, grâce à l'expérience de Narval et à ses camarades hauts en couleur, réussit le pari de nous faire vivre les crises du vingtième siècle et cette triste période de la désindustrialisation en France à hauteur d'hommes.

Ces hommes fiers et dignes, courageux et travailleurs, se sont retrouvés remerciés et laissés sur le carreau, presque du jour au lendemain, après pas loin de 40 ans de carrière pour certains. Leur corps détruit à petit feu par la fibre, «la dame blanche», cette amiante dont ils étaient recouverts et dont ils respiraient les poussières dès les années 1970. Triste neige.

Qui se souvient encore de cette période ? Seront-ils encore nombreux à pouvoir témoigner ?

Ce texte est très poignant et nous amène au plus près de Narval, Filoche, Barbe, Conchise et les autres. Entre les lignes, la perte de la dignité, la maladie, la mort, mais surtout l'humanité, la camaraderie et la solidarité d'un monde qui n'est plus.

Merci à l'opération Masse Critique de Babelio et aux éditions Pocket.
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C'est le roman d'une débâcle annoncée, le naufrage des chantiers navals et le scandale sanitaire de l'amiante.
Une histoire contemporaine du monde ouvrier. le récit d'un combat social, d'une ode à la camaraderie, au combat pour la dignité.

Ils étaient au-devant de la scène où se joue la dérive d'un drame déjà écrit.
« Des Chantiers, jusqu'à notre dernier souffle, nous resterions ».

Toute une époque est relatée dans ce roman dans son évolution politique et sociale, avec les espérances et les désillusions.
Ces ouvriers des Chantiers navals de la Seyne sur Mer sont nombreux, à travers leur dur labeur, à s'être tués à la tâche ; tragiquement jetés en pâture, car si eux ne savaient pas, certains savaient.

Alors que des anciens des Chantiers se retrouvent à Paris en mars 2015, victimes d'un interminable feuilleton judiciaire, l'auteur revient sur les années où les Chantiers, alors en pleine activité, faisaient vivre des milliers de famille.

Le surnommé Narval commença à travailler aux Chantiers en 1972, tout comme son père avant lui. Avec « ses frères d'insalubrités », il découvrit là tout un monde nourri par un fort sentiment d'appartenance. Y régnaient la franche camaraderie, l'esprit de famille, la forte solidarité.
Aux Chantiers, le risque chimique était quotidien, la Tôlerie, la Forge, la Machine… bourrée de substances toxiques …

Puis de blocages en affrontement, ils se sont battus pour maintenir les Chantiers à flot. Peine perdue. « Nous liquidions notre colère. Pendant ce temps, en coulisse, eux liquidaient les Chantiers ».
On ne soupçonnait pas encore l'issue tragique qui sonnerait le glas d'une époque, tout un monde.
Emporté, il le sera ; la menace sourde couvait, une condamnation inéluctable car l'amiante était partout.

Pour ces travailleurs, ce fut la double peine, la fermeture des Chantiers et surtout le scandale de l'amiante. le poison était là depuis toujours.

L'auteur décrit, avec une justesse touchante, l'atmosphère autour de ces travailleurs des Chantiers, de l'engouement avec l'espoir des promesses annoncées, l'émulation, jusqu'à la restructuration, le désenchantement, la liquidation et enfin la sidération…
Ils se sont battus pour leur dignité, et porter devant la Justice ce scandale sanitaire.

Des phrases courtes et percutantes, une écriture mêlant sobriété et poésie.
C'est un roman poignant que j'imagine très bien adapté à l'écran.
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« Nul parmi nous n'esquisse le moindre mouvement de repli. Tous nous restons de marbre. Yeux secs. Lèvres muettes. Mains dans les poches ou sur l'anse des sacs à main. Rien de ce que nous ressentons ou pensons ne se voit ni s'ébruite. Nulle voix ne s'élève. Nul souffle ne s'échappe. Nous sommes là parce que nous attendons…Nous attendons l'arrêt de la chambre criminelle de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire de ce pays, sur le pourvoi que nous avons formé pour homicides et blessures volontaires dans le scandale sanitaire qui nous frappe. le malheur qui a jeté sur nos vies depuis plus de vingt années un voile de malheur. le scandale pour lequel nous réclamons à nouveau qu'on nous fasse réparation. le scandale de l'amiante. » le narrateur, Narval, fait le récit de ces vies sacrifiées, grignotées par l'amiante. Des vies d'ouvriers qui se sont déroulées sur les chantiers navals de la Seyne-sur-Mer où l'amitié permet de tenir le coup face à la dureté des tâches. Des ouvriers liés par les luttes : contre la fermeture des chantiers, contre l'amiante.

« De notre monde emporté » est un roman juste et digne sur le monde ouvrier, à l'instar de « A la ligne » de Joseph Ponthus. Christian Astolfi nous raconte le délitement d'un monde, l'effondrement du centre économique de la Seyne-sur-Mer. Ce que montre parfaitement l'auteur, c'est la fierté des ouvriers, leur dignité et le fort sentiment d'appartenance à une communauté, à un lieu. Ce n'est pas seulement leur travail que Narval et ses camarades perdent à la fermeture des chantiers navals, c'est également une précieuse fraternité.

Christian Astolfi inscrit son roman dans l'histoire politique de la France des années 70-80. La gauche arrive au pouvoir et fait naitre un immense espoir notamment dans la classe ouvrière. « De notre monde emporté » est également le récit d'une déception face aux promesses non tenues de la gauche, les enfants des soixante-huitards sont à leur tour floués. le chagrin, mais aussi la nostalgie des années de chantier, innervent le récit de Narval qui voit sa vie et celles de ses camarades se disloquer. La solitude prend la place de la communauté, les souvenirs prennent celle d'un possible avenir.

« De notre monde emporté » est un roman poignant, sans esbrouffe sur la disparition du monde ouvrier, sur la désillusion et le désenchantement. Mais l'écriture, celle de Christian Astolfi et celle de Narval, permet de faire revivre les amitiés, les solidarités perdues.
Lien : https://plaisirsacultiver.com/
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