Et puis un poème lu par hasard
me remet en marche,
m'ouvre un chemin de parole, me rend
à la brise sur la peau, au clapot des minutes,
au regard qui s'éprend d'une flaque, d'un reflet
de vitrine ou de ciel, d'une risée dans l'instant,
d'un bruissement de feuillages.
C'est un lieu que je connais, un temps que je fréquente.
J'y ai des habitudes de vivant qui s'absente
dans un arrière pays jamais très éloigné
où lève sous l'encre une nuée d'oiseaux de nuit
dont j'écris le vol dans l'espoir qu'il va m'enseigner
où ont émigré jadis les horizons promis.
J'emporterai des notes de graminées dans le soleil,
et l'étonnement des vaches ruminant leur candeur
près du ruisseau content de sa prairie,
un viaduc abandonné dans un village reculé
où les trains ne vont plus;
Et puis un poème lu par hasard
me remet en marche,
m'ouvre un chemin de parole, me rend
à la brise sur la peau, au clapot des minutes,
au regard qui s'éprend d'une flaque, d'un reflet
de vitrine ou de ciel, d'une risée dans l'instant,
d'un bruissement de feuillage.
(Précipité )
Comme vous, tant de fois, je n'aurai pas su dire à temps,
pas su forcer la pudeur, pas su oser, tenter la faille
pour donner sens aux remous, vie au courant.
J'emporterai du pays des vivants le viatique des ombres
qui s'allongent vers le soir,
des aboiements de chiens
dans le lointain,
tout ce banal entraperçu
qui leste les passagers du quotidien
la vie est là, l'insaisissable vie, devant.
Faite de faims comblées, de soif et de fontaines,
de fatigue et de sueur dans une journée pleine
qu'on ne saura pourtant habiter qu'en passant.
L’autre, c’est lui…
L’autre, c’est lui, là-bas. Toujours là-bas. Parce qu’ici,
c’est moi, c’est toi, c’est nous – c’est du pareil au même.
L’autre, c’est la peur remontée du fond des âges qui
fabrique un étranger.
Qui fait serrer les fesses, et puis les poings, et puis les
rangs.
C’est quelqu’un que l’on attendait pas, quelqu’un qui
vient de loin,
quelque autre qui s’est invité dans nos jeux de miroirs
et s’y réfracte.
Il diffère, on le compare. Il se distingue, on s’en méfie.
Et parce qu’il nous ressemble trop, les différences
s’exaspèrent.
L’autre se tient là-bas, au delà d’une frontière.
Il est le nom d’une peur commune aux êtres
dissemblables,
qui porte les peuples depuis toujours aux solidarités
de clan, de tribu, de meute.
Michel Baglin s'en est allé le 8 juillet 2019.
Le paysage
"soi-même peser si peu,
sans pouvoir jamais se sentir léger."
JEUX DE MIROIRS
Écrire, c’est exprimer cette part de soi qu’on découvre chez autrui, cette part d’autrui qu’on reconnaît en soi-même.
Charles Juliet
3
On dit « l’autre » et l’on pense au migrant, à la faim
qui le pousse à l’exil.
On pense aux terres lointaines et aux charters de
l’aventure encadrée.
À ce maelström obscène autour de la planète de la
misère et du tourisme qui se croisent
– les uns dans les aéroports, les autres dans une
galère de clandestins – sans jamais se rencontrer.
On dit « l’autre » mais sait-on qui l’on stigmatise
ainsi, qui l’on tient à distance avec un mot,
Quand l’autre reste en nous la part obscure et sans
langage ?
La ressemblance rend possibles l’empathie et la
fraternité,
mais aussi l’efficacité des bourreaux.
La différence conduit à l’incompréhension, parfois,
mais enrichit l’avenir de tous les métissages.
Ainsi l’autre nous est d’autant plus nécessaire
qu’il a de multiples façons de nous ressembler.