Il existe des pensées auxquelles nous obéissons sans les connaître : elles sont en nous à notre insu.
Il y a beaucoup d'hommes dont le coeur est puissamment ému par la seule apparence de la souffrance chez une femme : pour eux la douleur semble être une promesse de constance ou d'amour.
J'accepte un ami, je fuirais un amant. Puis serait-il bien généreux à moi d'échanger un coeur flétri contre un jeune coeur, d'accueillir des illusions que je ne puis plus partager, de causer un bonheur auquel je ne croirais point, ou que je tremblerais de perdre ?
La marquise souffrait véritablement pour la première et pour la seule fois de sa vie peut-être. En effet, ne serait-ce pas une erreur de croire que les sentiments se reproduisent ? Une fois éclos, n'existent-ils pas toujours au fond du coeur ? Ils s'y apaisent et s'y réveillent au gré des accidents de la vie ; mais ils y restent, et leur séjour modifie nécessairement l'âme.
Quand deux époux se connaissent parfaitement et ont pris une longue habitude d'eux-mêmes, lorsqu'une femme sait interpréter les moindres gestes d'un homme et peut pénétrer les sentiments et les choses qu'il lui cache, alors des lumières soudaines éclatent souvent après des réflexions ou des remarques précédentes, dues au hasard, ou primitivement faites avec insouciance.
Le coeur a sa mémoire à lui. Telle femme incapable de se rappeler les événements les plus graves, se souviendra pendant toute sa vie des choses qui importent à ses sentiments.
« Hier soir, pas un cri d’oiseau, pas une brise: la solitude , et nous!
Les feuillages immobiles ne tremblaient même pas dans ces admirables couleurs du couchant qui sont tout à la fois ombre et lumière » .
Pour le désespoir des femmes, sa toilette était irréprochable, et toutes lui envièrent une coupe de robe, une forme de corsage dont l'effet fut attribué généralement à quelque génie de couturière inconnue, car les femmes aiment mieux croire à la science des chiffons qu'à la grâce et à la perfection de celles qui sont faites de manière à les bien porter.
La tante ne pleura pas, car la révolution a laissé aux femmes de l'ancienne monarchie peu de larmes dans les yeux. autrefois l'amour et plus tard la Terreur les ont familiarisées avec les plus poignantes péripéties, en sorte qu'elles conservent au milieu des dangers de la vie une dignité froide, une affection sincère, mais sans expansion qui leur permet d'être toujours fidèles à l'étiquette et à une noblesse de maintien que les moeurs nouvelles ont eu le grand tort de répudier.
Son amour pour cette créature lui faisait autant admirer le
présent que craindre l' avenir .