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Critique de Cosaque


Balzac est pour moi une découverte relativement récente. Bien sûr je connaissais son nom, mais il se noyait dans la masse des écrivains français du XIXe siècle, de plus j'avais tendance à le confondre avec Zola ; je ne sais pas pourquoi, sans doute à cause du Z. L'aspect misérabiliste du XIXe siècle, justement traité par Zola, avec son cortège de malheurs sociaux : la mine, l'alcool, la prostitution, les maladies, la prison... me rebutait. Je préférais les récits fantastiques d'un Edgar Allan Poe ou ceux d'un Ernest Theodore Amadeus Hoffmann. C'est justement par ce dernier que je suis venu à Balzac, ayant appris qu'il avait écrit des nouvelles dans le genre d'Hoffmann. J'étais curieux de les lire, car Balzac reconnaissait une dette littéraire à Hoffmann. Je fus immédiatement séduit, les nouvelles De Balzac sont certes moins foisonnantes que celles d'Hoffmann, en revanche les personnages sont dotés d'une énergie souterraine, (pulsions, désir, fantasme) si puissante qu'ils en deviennent inquiétants, il y a une part très sombre dans les personnages balzaciens.


Le père Goriot est le troisième des grands romans De Balzac que j'ai lu, et ça y est je suis devenu balzacodépendant, je vais me procurer et lire tout ce qu'il a écrit (ce qui devrait m'occuper pendant un certain temps, car son oeuvre est pléthorique). Dans ce roman on retrouve la problématique de la réussite sociale du jeune provincial à la capitale. Réussite qui passe par la cooptation d'un certain milieu parisien, dans lequel l'argent, la condition sociale et le sexe sont les éléments moteurs.

Je ne vais pas me livrer à une étude complète de ce roman, d'abord parce que je n'en suis pas forcément capable ensuite parce qu'il doit y en avoir beaucoup de disponibles. Non, je vais me borner à exposer les éléments qui m'ont marqué, donc quelque chose de partielle.

Ce sont les personnages de Vautrin et de Goriot qui m'ont particulièrement intéressé. Tous deux sont habités par des volontés puissantes. Vautrin apparaît comme diabolique tant il semble être au courant de tout de ce qui se dit, se fait et même se pense à Paris, de plus il est pourvu d'une force physique peu commune. Il y a dans ce personnage quelque chose qui tient du fauve : magnifique et fascinant, mais tellement dangereux. D'autant plus, lorsqu'il se prend d'affection pour quelqu'un, ce qui est le cas du jeune de Rastignac qui ne parvient pas à se dégager d'une sollicitude quelque peu encombrante. Cet aspect méphistophélique de Vautrin est accentué parce que nous avons affaire là à un bagnard en cavale, donc un être que la société cherche à éliminer. Or non seulement elle n'y parvient pas mais Vautrin la défie et s'en moque. Ainsi la scène de l'arrestation est l'occasion de voir mis à nu les influx qui agitent ce personnage, c'est à une sorte de phénomène physique auquel nous assistons. Un coup de matraque sur la tête de Vautrin en fait tomber la perruque qui révèle le roux de ses cheveux, et c'est Collin, dit trompe la mort qui nous apparaît. D'un bond il est sur la table et menace ceux qui l'ont trahi, sa physionomie est telle que l'assistance stupéfaite est pétrifiée de terreur. La rougeur de sa chevelure se répand à sa figure, il se comprime sur lui-même, la concentration d'énergie est telle qu'une conflagration paraît inévitable. Mais au lieu de l'explosion attendue, c'est un sourire qui fleurit aux lèvres de Collin, il est suffisamment maître de lui pour canaliser les énergies colossales qui circulent en lui. C'est avec sérénité, presque avec douceur qu'il demande qu'on lui passe les menottes, son départ apparaît comme de sa propre initiative, la maréchaussée n'est plus qu'une escorte : plus qu'à un adieu c'est à un au revoir auquel nous assistons. Ainsi cette arrestation qui devait sonner le glas des agissements de Collin/Vautrin en consacre son pouvoir.

Le père Goriot lui, s'enfonce dans la déchéance financière, mental et physique. Alors qu'il est l'archétype de personnage honnête il est universellement méprisé, alors que Vautrin fait l'unanimité. Goriot semble être la figure christique antinomique de celle de Vautrin, si ce n'est que le père Goriot limite son sens du sacrifice qu'à deux objets uniques, ses deux filles. Je pense que nous avons plutôt là un cas pathologique comme la littérature en a produit (voir certains personnages des pièces de Molière : Harpagon ou Argan ou encore ceux de Shakespeare : Macbeth, Othello). Car plus ses deux filles révèlent le mépris qu'elles ont de leur père, et plus celui-ci se saigne pour les aider à mener leurs projets à bien, même ceux qui consistent à violer les valeurs morales. Ainsi il facilitera l'aménagement de l'amant (au sens d'une liaison extra-conjugale) de l'une d'elles afin qu'elle puisse en jouir selon son bon plaisir. Quelques mots d'affection suffisent à le dédommager de ses efforts, la relation totalement asymétrique entre lui et ses filles, mais gare à qui s'aviserait de le lui révéler, car il s'expose à une haine et une violence inattendues de la part de cet être si humble. le père Goriot qui se veut si effacé et soumis est capable d'une brutalité et d'une force physique inattendues. Cependant ces démonstrations de force épuisent son fluide vital, contrairement à Vautrin pour qui elle n'était que l'expression superficielle d'une puissance interne. Chaque action qu'il fait pour ses filles le mène vers le dépérissement et sa conclusion logique, la mort. Aveuglé par son obsession il ne voit pas venir sa fin, ou peut-être la recherche-t-il ? La scène de l'agonie du père Goriot est d'une théâtralité en diable. Il semble atteint d'une commotion cérébrale : sa monomanie lui aurait ravagé le cerveau. Sa fin est une alternance de prise de conscience du fait que ses filles l'abandonnent seul à son sort et d'une culpabilité mal définie qui le pousse vers plus de mortifications. Tour à tour il les maudit, les excuse et s'accuse. Il crie, soupire, se redresse, serre sur son coeur le médaillon qui contient les cheveux de ses tendres filles, enfin bref nous avons là une scène mélodramatique comme on ose plus en faire ; ce qui est un tort, car cela nous obligerait à sortir un peu de notre quant à soi de peuple trop bien nourri. Il semble qu'il y ait des adaptations cinématographiques qui ont été faites, je ne les ai pas vu, j'aimerais bien voir de quelle manière a été traitée cette séquence d'agonie, il me paraît difficile de passer à côté.


La conclusion de ce roman m'a laissé longtemps perplexe. Car enfin, voici un personnage suffisamment intelligent et honnête pour être écoeuré par la vilénie de ces deux femmes, qui ne viendront même pas à l'enterrement de leur père, qui lance un défi au monde social que représente la ville de Paris. Personnellement plutôt que de me confronter avec ce milieu frelaté, je m'en vais et me fais berger dans les Cévennes. Si au moins ce cher Rastignac exprimait par cette phrase dite en regardant la cité de toutes les turpitudes : « À nous deux maintenant ! », le désir de combattre les forces du mal, tel un juge italien la Mafia, mais non, cette déclaration de guerre n'est que le prélude haineux d'un personnage qui va se vouer à sa réussite personnelle. Est-ce que pour Balzac toute réussite sociale n'est que le fruit fielleux de manoeuvres serviles, malhonnêtes par lesquelles on perd son âme ?
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