Je note qu'elle prend de l'importance dans la famille, étendant ses vrilles comme le jasmin qu'elle a planté, dispensant son parfum et assez d'ombre pour gagner le cœur de tous.
La mère de Prabha Devi, pour sa part, était ravie d'avoir une fille. « J'aurais quelqu'un à qui transmettre mes recettes. Quelqu’un qui prendra soin de mes bijoux. Quelqu’un qui voudra me ressembler. Quelqu’un qui dire « chez ma mère, voilà comment on faisait »… »
Le père de Prabha Devi lui jeta un regard désapprobateur et marmonna : « Ce bébé ne s’est pas contenté de fiche mes projets par terre, il t’a apparemment ramolli le cerveau par-dessus le marché. Si tu veux savoir, une fille, ce n’est qu’un tas d’embêtements. »
Elle sentit les années s'envoler. Ce corps, qui avait été la source de tant de malheur, d'abord à cause de sa soif excessive de gratifications puis ensuite à cause de l'anesthésie de ses sens, se décrispait enfin.
Pendant toute sa vie d’epouse, elle s’était demandé ce qui se passerait si elle disait à Jagdish qu’elle avait envie de faire l’amour. Serait-il rebuté par la crudité de son désir ? Se détournerait-il ? Perdrait-il tout respect pour elle ?
Mais elle avait découvert que le désir fait naître le désir, que l’épanouissement engendre l’epanouissement. Un baiser en amène un autre. Une caresse une autre. Ce que l’on donne est rendu.
Elle avait découvert depuis longtemps qu’on réservait aux femmes qui avaient des opinions le même sort qu’aux mauvaises odeurs. On les fuyait.
Voilà des années maintenant qu'il me parle sur ce ton. Ce mélange de réprimande et de leçon... Pourquoi m'a-t-il fallu si longtemps pour que ça me reste en travers de la gorge ?
« Au cours des nombreuses années qui suivirent, c’est tout ce que fit Prabha Devi. Attendre. […] Attendre que quelque chose se passe pendant que sa vie lui filait entre les doigts, dans le brouillard des jours qui se suivent et se ressemblent. »
J'ouvre le Frigidaire et repère une grande pizza aux poivrons surgelée. Je suis tentée de la mettre dans le four à micro-ondes et de la manger toute entière, jusqu'au dernier morceau détrempé. J'imagine les titres des journaux :Une femme enceinte, conduite au désespoir par son mari cruel, finit à l'hôpital à cause d'une overdose de pizza. Cela donnerait une bonne leçon à Sunil.
Il n’y a pas de mal à vouloir être heureuse, non ? Désirer que la vie vous apporte plus que de remplir des devoirs que vous avez endossés avant de savoir à quoi ils vous engageaient vraiment ?
Car en dépit de leurs costumes Bill Blass, de leurs chaussures en peau de crocodile et des luisantes Benz qui les attendaient docilement au parking, ils appartenaient toujours aux villages de leurs pères. Des villages où l'on promenait une femme prise en flagrant délit d'adultère autour de la place du marché à dos d'âne, la tête rasée, les vêtements arrachés, tandis que la foule se gaussait et lui lançait des ordures.