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Comme tous les ans, Djenifer Goranitzé traverse le continent ravagé et affronte mille dangers pour parvenir à une décharge qui est également le cimetière fortuit des opposants tombés au champs du déshonneur. Au milieu des détritus, faisant fuir les rats qui disputent le territoire aux mouettes, Djenifer frappe du pied le sol jusqu'à en faire résonner les entrailles et rappelle, du royaume des morts, Nathan Golshem. Quand il commence à apparaître, elle lui parle avec le langage des morts, et continue à danser, les pieds en sang, pour donner plus de substance à son amant. Alors, après les premiers cauchemars, ils évoquent ensemble leur cause, leur vie d'avant, les compagnons tombés au combat, et ils s'aiment.

Que voilà un drôle de livre, dans lequel le sublime côtoie le plus souvent le sordide ! Tombée sous le charme du premier chapitre, qui décrit le rituel de rappel de Nathan Golshem, avec un petit côté symbolique que "La femme squelette", conte inuit, n'aurait pas renié, je suis vite retombée sur les ruines sur lesquelles Lutz Bassman, alias Antoine Volodine, construit son roman.
J'ai apprécié le rythme du texte, le phrasé précis, non exempt de répétitions assumées, qui donne au récit un petit côté mélopée pas désagréable et plutôt poétique. J'ai été surprise, agréablement, par les petites listes désopilantes, avec leur petit côté absurde, inattendu, dont semble friand l'auteur.
En revanche, j'ai trouvé le récit trop contrasté ; peut-être que le "sublime", le beau, le bon, le courage ou l'héroïsme paraissent plus grandioses quand ils sont opposés au sordide, au sale, au moche, à l'absurdité, à la méchanceté et à la mort. Moi, cette opposition constante, ce rappel systématique du plus "pire", m'a gênée. Les régnants, race supérieure humaine (?), se prêtent à tous les exactions possibles et surtout inimaginables pour remettre dans le droit chemin des opposants, les autres, tous les autres qui ne correspondent pas à cette caste régnante. Et ces opposants, en retour, s'opposent. A tout, à rien, tout le temps et à jamais. Ils s'opposent, c'est leur raison de vivre, leur mode de fonctionnement. Ils s'opposent à tout, et perdent lamentablement tous leurs combats. Ils sont méprisés, ignorés, humiliés, parqués, torturés, tués, sans relâche. Qu'importe la façon, ce qui importe, c'est l'opposition, le refus, sous toutes ses formes et sur tous les objets. du coup, les rappels que font Djennifer et Nathan des hauts-faits de leurs anciens compagnons d'infortune, construits sur le même modèle et amenant inéluctablement à la mort dudit compagnon, ont fini par me lasser.
Danse avec Nathan Golshem est ma première incursion, en demi-teinte, dans le post-exotisme de Volodine. D'un point de vu littéraire, c'est un livre à part, avec une écriture qui vaut le détour. En revanche, rationnellement, et en bonne humaniste, je n'adhère pas à l'instrumentalisation intellectuelle du monde tel qu'il apparait dans ce livre.
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«L'exotisme, c'est le centre de l'empire qui regarde ses marges, du point de vue des gagnants et des vainqueurs.
Mes personnages eux décrivent le monde depuis l'extérieur, loin des capitales et de ceux qui ont la parole et qui décrivent le monde de façon impériale et impérialiste ; ils prennent la parole à partir de leur défaite qui est celle du vingtième siècle, obsédés par cette idée de défaite et de perte, des personnages écrasés qui racontent leur rêve de vaincre pour l'humanité et de construire quelque chose de beau pour cette planète.» (Antoine Volodine, dont Lutz Bassmann est un des hétéronymes, à propos du post-exotisme)

Djennifer Goranitzé, «une des reines du dortoir ouest», entreprend chaque année à la lune d'automne, un long et périlleux pèlerinage sur la tombe de celui qui fut son mari pendant vingt ans, Nathan Golshem, «un camarade qui leur avait appris à ne pas plier, à ne rien accepter et à continuer à se battre alors qu'aucune victoire n'était en vue.» Cette tombe n'est en réalité qu'un monticule de pierres au milieu d'une décharge, sous lequel ne reposent que quelques restes, os de chien et de chèvre, ailes de mouettes.

Pour faire revenir Nathan Golshem de parmi les morts, Djennifer Goranitzé se livre à une cérémonie codée et étrange, rites chamaniques, danses et récits, et quand il est revenu, leurs récits s'entremêlent, construisant une toile d'histoires et d'images, portraits de combattants autodidactes, de vieilles femmes délabrées, de guerrières transformées en vieillardes monstrueuses.

«Ils se réunissaient à tout moment, au début de façon fugitive mais ensuite plus durablement. Ils échangeaient leurs corps, leurs noms et leurs voix. Et peu à peu renaissaient leurs ombres comme à l'intérieur de souvenirs indissociables, et s'affirmait leur volonté de survivre et de plaisanter tendrement ensemble jusqu'à la fin, de se moquer d'eux-mêmes et de leurs camarades, de rire de l'inconcevable naufrage du monde et du destin catastrophique qui leur était échu, un destin de révoltes matées et d'écrasement des rêves, un sous-destin.»

De ces combattants aux noms fabuleux émane, malgré les haillons, et malgré la défaite, une force supérieure ; cette chose qui les dénonce à leurs ennemis est sans doute les braises de leur rêve d'une société égalitaire. Survivant au-delà des guerres perdues aux marges de l'Empire, par la force de l'amour et la rage de durer, ces récits, racontant les batailles et défaites qui se sont succédées sur un temps infiniment long, ont la profondeur des mythes, la beauté d'une lumière qui ne s'éteint jamais.
Et dans ces récits il y a aussi l'humour, arme de résistance contre le désespoir, comme cette longue liste de chefs d'inculpation absurdes inventée pour faire enrager l'ennemi - « Dépose de cadavres devant une sortie de secours », « Lavage de cerveaux avec produits interdits », « récolte d'ananas en zone de combat », « confection d'amulettes en zone pénitentiaire »…

Sur une terre irrémédiablement abîmée, Djennifer Goranitzé et Nathan Golshem ont une volonté radicale et le sens de l'humour d'hommes qui, en dépit de leur défaite ne sont pas abattus. Dans l'étrange beauté de ce monde en ruines, «Danse avec Nathan Golshem» est une voix poignante dans l'oeuvre de Volodine, une image bouleversante de grandeur malgré une défaite qui n'a rien enlevé à la capacité de résister, de rire et d'aimer.
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Djennifer Goranitzé va tous les ans sur la tombe de son mari, Nathan. Et ensemble, ils se souviennent de leurs compagnons d'infortune. Une lecture dérangeante… J'ai eu du mal à entrer dans ce livre. Mon tort a été de vouloir rationaliser, d'essayer de situer l'action, de savoir quel était leur but… En fait, j'aurais du me détacher de tout contexte possible, de seulement la lier à la voix des pauvres, des opprimés, des
Et puis quel roman sombre ! Il m'a un peu plombé le peu d'allant que j'avais sur le moment. Mais j'ai bien aimé cette construction : alternance entre moments avec feu son mari et les souvenirs évoqués. La fin est la partie que j'ai préférée : cette énumération de méfaits complètement farfelus…
Deuxième roman de Lutz Bassmann et deuxième déception.
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A noter l'énumération incroyable des délits réels ou fantasmés ou inventés pour rire de Nathan Golshem. Une liste comme on en trouve rarement. Je dirais un chef d'oeuvre de ce genre littéraire sous-estimé qu'est la liste. Parmi ses items :
- Consommation de choux pourris pendant une période d'interdits alimentaires
- Pratique clandestine de la logorrhée
- Outrage aux morts pour la patrie
- Rupture d'anévrisme
- Encouragement à la délinquance de personnes handicapées mentales
- Dépose de cadavre devant une sortie de secours
- Revendication insistante d'une appartenance aux primates
- Remplumage malveillant d'édredons
- Fétidité aggravée en présence d'économistes

Vous vous en doutez, j'en passe, et des meilleurs.
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Un nouveau livre-fantôme de Lutz Bassmann, le décédé du Post-exotisme en 10 leçons, leçon 11. Bassmann sait surprendre, nous ayant habitués à la veine brutale du post-exotisme : ici nous en sommes quittes pour une histoire d'amour… enfin presque.
Chaque saison, Jennifer Goranitzé, « reine du dortoir », traverse le monde pourri et sans espoir pour les partisans de l'égalitarisme, afin de retrouver la tombe symbolique de son compagnon Nathan Golshem sise sur une décharge, et invoquer ses mânes.
Ses mânes et d'autres : les chapitres alternant, entre les « danses » où l'on revient au niveau de l'énonciation de la danse invocatoire de Jennifer Goranitzé et les récits imaginés par celle-ci, centrés sur un personnage et une situation, pour « solidifier » le spectre de Nathan Golshem. Nous parcourons ainsi les figures maintenant presque connues, reprises et exemplifiés par toutes les voix du post-exotisme : l'interrogatoire, l'assassinat des oppresseurs, l'emboîtement de cauchemar dans un cauchemar, les déchéances d' « untermenschen », les camps de rééducation, etc. Autant de situations complexifiant, développant ce qui se veut un « univers » post-exotique.
Mais là n'est pas pour moi l'audace essentiel de ce livre, mais bien la relation de tendresse sourde et puissante entre Jennifer Goranitzé et Nathan Golshem. Déjà dans le précédent livre Les aigles puent Bassmann avait amorcé ce thème. Ici la relation amoureuse malgré les exterminations, la mort, et toutes les abjections imaginables, est un signe intense au sein des cyclones de la tyrannie des Maîtres.
Ce secret, cette situation de fantasmagorie pour conjurer l'aimé, m'a rappelé un entretexte improbable, celui de Genet déclarant dans son « Journal d'un voleur » : « Ce que j'ai écrit fut-il vrai ? faux ? Seul ce livre d'amour sera réel ». Et pas seulement.
Lien : http://lucienraphmaj.wordpre..
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À date fixe, dans la mesure où l'état de décomposition du monde le lui permet – donc à quelques jours près -, Djennifer Goranitzé se rend sur ce qui pourrait être la tombe de son mari Nathan Golshem, danse en tapant le sol jusqu'à ce qu'il vienne à elle, et pendant quelques jours, dans une cabane qu'elle recrée chaque fois, ils se souviennent, évoquent ou créent les compagnons, les événements de leur vie de lutte.
Un texte d'une construction affirmée, mais souple, une langue inventive, sensible et claire, un monde dont le post-exotisme nous semble peut-être tout spécialement proche cette fois.
Texte salubre, et texte poétique où rien ne peut être tenu comme certain, le monde où eux et peut être nous évoluons, et même pas le retour de Nathan Golshem.
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Une ex-résistante ressuscite chaque année son compagnon d'armes défunt pour se souvenir avec lui de leurs luttes et de leur amour.

Publié début 2012, le dernier-né de l'incarnation Lutz Bassmann d'Antoine Volodine en est sans doute le plus abouti à ce jour.

Dans cet univers où les rebelles ont été écrasés dans des temps plus anciens, les survivants, anciens combattants, simples passants des classes inférieures, ou membres de tribus rejetées, vivent des rares miettes laissées par les vainqueurs, et de leurs souvenirs... L'un de ces combattants héroïques et dérisoires, Nathan Golshem, est mort depuis longtemps déjà, mais sa compagne Djennifer Goranitzé, au prix d'un long et douloureux périple, vient chaque année passer quelque temps sur l'endroit qui lui tient lieu de tombe. Là, moyennant quelques efforts et rituels chamaniques précis (échos constants d'autres romans du corpus post-exotique de Volodine), elle peut rendre un semblant de vie, fugitif, à son défunt compagnon, et passer quelques jours et quelques nuits avec lui, échangeant souvenirs de guerre et anecdotes de captivité... "Danse avec Nathan Golshem" est le récit de l'une de ces expéditions mortuaires et des histoires remémorées alors par les deux amants.

"Djennifer Goranitzé, une des reines du dortoir ouest, se rendait chaque année de l'autre côté de la frontière. le voyage était difficile et souvent Djennifer Goranitzé risquait sa vie dans l'entreprise. Elle serrait les dents, elle se battait contre l'adversité, elle avançait coûte que coûte, et, pour finir, elle atteignait le désert côtier et elle commençait à marcher sur la route qui longeait et dominait la mer. le paysage était d'une beauté à couper le souffle, et elle s'arrêtait de temps en temps pour l'admirer, mais son émotion n'était pas celle d'une touriste en quête d'images, pas du tout, non. Djennifer Goranidzé n'était pas partie en promenade, elle allait accomplir son devoir conjugal."

"C'était, selon lui, un discours qui devait plaire.
«Bien qu'attestée depuis plusieurs générations, et donc suspecte de s'être ancrée en moi comme une donnée fondamentale et irréversible, mon ralliement à la lie n'est dû qu'à la guerre et à un malheureux concours de circonstances, expliqua-t-il. Mais pour le reste, pousuivit-il, je m'aligne sans restriction sur les principes des riches et de leur économie libérale. J'apprécie leur vision du monde et, du mieux que je peux, j'essaie de la mettre en oeuvre. J'aspire moi-même à devenir riche et puissant. J'aimerais accéder à des fonctions de direction dans n'importe quel secteur. Je suis sensible depuis toujours à la morale du succès et de la compétition, et je ne suis pas ce ceux qui s'opposent au triomphe du capitalisme par des vociférations, des crimes ou des coups bas.»
Il s'interrompit, à vrai dire assez fier de sa tirade."

Phrases rythmées et scandées comme des rituels ou des chants guerriers, anecdotes sordides ou héroïques, plages insensées de comique d'énumération (toutes les guerres perdues, compositions du public de réunions militantes, chefs d'accusation possibles, maladies présentes au sein des camps prisonniers, rituels de conjuration des âmes défuntes,...), pour une poignante poésie des vaincus, irrémédiablement condamnés, mais dont l'âme ne plie toujours pas...
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