Quand on parle, il n’y a pas de retour en arrière, ce qui n’est pas le cas si l’on se tait.
L’amoureux passionné des livres est un type d’homme universel. Indépendamment de leur origine, leur nation, leur langue, leur religion ou de l’endroit de la Terre où ils vivent, de tels hommes ont des réactions communes, leurs habitudes sont similaires et la constitution quasi organique qui détermine leurs comportements les amène à prendre des décisions strictement identiques. […] Par exemple, même lorsqu’ils visitent un pays dont ils ignorent la langue ou dont ils ne savent pas lire l’alphabet, ils ne peuvent s’empêcher d’entrer dans les librairies ou de lécher longuement leurs vitrines.
[...] j'aurais dû depuis longtemps savoir que le début d'un livre trouve son rythme à partir de la dernière phrase d'un autre livre.
C’est pourquoi chaque lecteur aime avoir dans sa bibliothèque des livres qu’il n’a pas encore ouverts. Il se soucie des promesses qu’ils portent en eux. L’attente est l’un des moteurs les plus forts de la vie.
(...) je préciserai toutefois que jouir d'une position sociale ne signifie pas pour autant qu'on ait progressé dans son aventure intérieure.
En regardant ses livres, je l’imaginais errant comme une ombre indomptable à travers des chantiers de fouilles, les grandes archives, les entrepôts isolés du Vatican ou de Moscou. Les notes collées aux couvertures étaient pleines de preuves des lieux où il était passé. Ce qui était indiscutable, c’est qu’il avait prêté une véritable attention aux études historiques qui, au fil des ans, avaient envahi la littérature. Il avait consulté de nombreuses sources pour en extraire le contenu de la bibliothèque d’Alexandrie, et, en étudiant attentivement les notes que ses recherches lui avaient permis de rassembler, il avait détecté des contradictions, décelé des ambiguïtés. Pouvait-il ne pas avoir rêvé des plus de cinq cents manuscrits d’origine byzantine, dont on avait plus tard perdu la trace, de tous ceux que Photios avait inventoriés, de milliers d’œuvres originales peut-être tombées entre les mains d’Ivan le Terrible, réduites en cendres, enfouies dans le sol ou jetées à l’eau par les
Mongols à Bagdad, depuis des temps immémoriaux.
L’amoureux passionné des livres est un type d’homme universel. Indépendamment de leur origine, leur nation, leur langue, leur religion ou de l’endroit de la Terre où ils vivent, de tels hommes ont des réactions communes, leurs habitudes sont similaires et la constitution quasi organique qui détermine leurs comportements les amène à prendre des décisions strictement identiques. S’ils se plaisent à rêver d’agir différemment les uns des autres, il est assez improbable qu’ils s’en rendent compte. Par exemple, même lorsqu’ils visitent un pays dont ils ignorent la langue ou dont ils ne savent pas lire l’alphabet, ils ne peuvent s’empêcher d’entrer dans les librairies ou de lécher longuement leurs vitrines.
Tout de suite après ce rêve, je me suis réveillé rasséréné. J'avais à cet instant ressenti le besoin de lire Musil et c'était sans nul doute la seule chose qui apaiserait mon âme blessée et dissiperait l'épais brouillard qui
m' obnubilait plutôt que de téléphoner à quelqu'un ou de sortir prendre l'air.En effet, tiré du lit, après m'être lavé le visage et fait une tasse de café, j'ai senti que relire Musil me ferait du bien.
( p.64)
La bibliomanie commence là où s’arrête l’utilitarisme.
J'ai sorti de l'étagère le fac-similé de l'exemplaire latin de "La Nef des fous", publié à Bâle en 1498, de Sebastian Brant, j'ai tout de suite trouvé la page que je cherchais, et je la lui ai tendue. Sur cette page, il y avait une gravure peinte à la main représentant un bibliomane et, juste au-dessus de cet aimable personnages, quelques vers commençaient par les mots "De inutilibus libris". (pp. 134-135)