Il y a des romans que l'on voudrait donner envie de lire sans rien en dire. Pour préserver la magie de la découverte.
Beauchemin avec son texte "
Le jour des corneilles".
"
Le jour des corneilles" est de ces pépites qui vous immergent dans un univers profondément original, tout en proposant une intrigue minimaliste, une galerie de personnages réduite grosso modo à deux individus, et un décor concentré sur un lieu quasiment unique.
C'est un récit à la texture particulière, propre à nous faire perdre nos repères, parce qu'ancré dans le monde particulier que ses héros ont bâti selon leurs propres critères, il est empreint d'une sorte d'intemporalité.
Le duo dont il est question, composé d'un père et de son fils, vit reclus dans la forêt, en totale autosuffisance, chassant et pêchant pour se nourrir, et utilisant avec ingéniosité, pour satisfaire tous leurs besoins, les ressources naturelles d'un environnement qui peut aussi, notamment lors des longs et rudes hivers, se montrer hostile.
Le lecteur découvre peu à peu les circonstances et les motifs de cet isolement par l'intermédiaire de la narration du fils, devenu adulte, qui se justifie face à un tribunal d'on ne sait quel crime en exposant des pans de son existence.
Une existence rude, presque primitive, rythmée par des scènes d'une intense violence, provoquées par la démence s'emparant parfois du père, un taiseux abrupt, pragmatique à l'extrême, et visiblement dénué de tout sentiment, hormis une peur irraisonnée de la mort.
Toute sa vie, son fils sera hanté par une obsession : déceler ne serait-ce qu'une once d'amour paternel chez celui qui lui fait subir les pires sévices.
Cela devrait déjà suffire à vous convaincre... et pourtant, je n'ai pas encore évoqué LA raison pour laquelle vous devez lire "
Le jour des corneilles" : sa langue... unique, inventive, mélange d'argot et de langage soutenu, de termes surannés et d'expressions nées de l'imagination du narrateur, qui traduisent le bon sens et la lucidité instinctive de ceux que leur naïveté a préservé de la ruse, de la malveillance. Entre gouaille et poésie, elle instille au récit un rythme vif qui relègue au second plan les quelques redondances dont pâtit l'intrigue, tout en exhaussant le caractère poignant de cette histoire à la fois belle et tragique.
Je ne peux pas m'empêcher de vous en livrer ici un court extrait :
"Il me paraît que les astres opéraient sur sa langue quelque besogne secrète et prodigieuse. Car sous voûte noire, la glotte lui délaçait parfois fortement, lui d'ordinaire si pétri de silences. Il fut ainsi une autre fois où la parure des étoiles fit père plus parleur qu'en la tradition.
C'était en heure d'aube, nous nous ébranlions afin de courir le garenne. Il nous tardait, en effet, non seulement d'assurer le repas du soir, mais aussi de regarnir notre magasin d'accoutres. Car nos cache-esgourdes, excuse-train, mitaines, godillots-de-poil, tapisse-parties, escorte-blair et pousse-cuisses habituels menaçaient d'usure."
Alors, qu'attendez-vous ?...
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