Sa fin se situait, comme sa naissance, dans un temps mythique. Quand je me disais : elle a l'âge de mourir, c'étaient des mots vides, comme tant de mots. Pour la première fois, j'apercevais en elle un cadavre en sursis.
Aujourd'hui, je n'ai pas vécu. -je perds des jours.
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disparaître, ce n'est rien: votre œuvre restera.
Je la touchais, je lui parlais, mais impossible d'entrer dans sa souffrance.
Mais le langage pourrissait dans ma bouche. J'avais l'impression de jouer la comédie partout.
J'ai compris pour mon propre compte, jusque dans la moelle de mes os, que dans les derniers moments d'un moribond on puisse enfermer l'absolu.
Poupette est venue au-devant de nous dans le jardin de la clinique : « C’est fini. » Nous sommes montés. C’était tellement attendu, et tellement inconcevable, ce cadavre couché sur le lit à la place de maman. Sa main, son front étaient froids. C’était elle encore, et à jamais son absence. (p. 102)
Un jour elle m’a dit : « Les parents ne comprennent pas leurs enfants, mais c’est réciproque… » (p. 81)
Je le haïssais, cet appareil couleur de corbillard : « Votre mère a un cancer. – Votre mère ne passera pas la nuit. » Un de ces jours il grésillera à mes oreilles : « C’est la fin. » (p. 56-57)
J’ai arrêté un taxi. Le même trajet, le même automne tiède et bleu, la même clinique. Mais j’entrais dans une autre histoire : au lieu d’une convalescence, une agonie. Auparavant, je venais passer ici des heures neutres; je traversais le hall avec indifférence. Des drames se déroulaient derrière les portes fermées : rien n’en transpirait. Désormais, un de ces drames était le mien. (p. 53)