J'au vu de Claude Monet des toiles originales qui sont bien sa chair et son sang. L'année dernière on lui a refusé un tableau de figures, des femmes en toilettes claires... Rien de plus étrange comme effet. Il faut aimer singulièrement son temps pour oser un pareil tout de force, des étoffes coupées en deux par l'ombre et le soleil... Ce qui distingue son talent, c'est une facilité incroyable d'exécution, une intelligence souple, une compréhension vive et rapide de n'importe quel sujet. Je ne suis pas en peine de lui. Il domptera la foule quand il le voudra...
Emile Zola
M. Monet, dont nous allons essayer de décrire les oeuvres, semble être l'antipode absolu de M. Renoir. La puissance, l'animation, la vie en un mot, que le peintre du "Bal" met dans les personnages, M. Monet les met dans les choses : il leur a trouvé une âme. Dans ses tableaux l'eau clapote, les locomotives marchent, les voiles des bateaux s'enflent sous le vent, les terrains, les maisons, tout a dans l'oeuvre de ce grand artiste, une vie intense et personnelle que personne n'avait découverte ni même soupçonnée avant lui...
On s'est accordé à dire que Monet s'était survécu trop longtemps et qu'à sa mort, en 1926, il était devenu anachronique. Or voici que ces vastes aboutissements que sont les derniers Nymphéas commencent à appartenir à notre époque plus que les grandes récapitulations cézaniennes (les "Trois Grandes Baigneuses"). L'écart de vingt-cinq ans qui sépare les Baigneuses des Nymphéas de l'Orangerie prend finalement un sens, et ce n'est pas en vain que Monet aura survécu vingt ans à Cézanne
"Monet n'est qu'un oeil, mais quel oeil" a dit Cézanne. De la période impressionniste aux oeuvres de la fin, la recherche de la visualité pure conduira Monet vers un art aux limites de l'abstraction, qui annonce l'abstraction lyrique.
Des gares Saint-Lazare aux nymphéas, Monet a peint de nombreuses séries, reprenant un même motif à divers moments de la journée. Il cherche à fixer des états particuliers de la lumière, selon le lieu, la saison, l'heure.