AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Alfaric


Je tiens à remercier Babelio et les Presses de la Cité pour m'avoir fait découvrir cette oeuvre à la fois classique et atypique.
Mon 1er sentiment ? Un mélange entre le film "Avatar" de James Cameron et le roman "Sa Majesté des mouches" de William Golding.
Mon 2e sentiment ? Un mélange entre les romans préhistoriques de J.-H. Rosny et les vivisections sociales et psychologiques de Stephen King


Des fugitifs et leurs poursuivants se sont crashés sur l'exo-planète dénommée Eden, monde de ténèbres privé de la lumière d'une étoile mais éclairée çà et là par la bioluminescence de la flore et de la faune qui survie en puisant dans l'énergie géothermique de l'astre isolé. Deux naufragés restent sur place (Tommy Schneider et Angela Young) et trois naufragés tentent de repartir chercher du secours (Mehmet Haribey, Dixon Thorleye et Michael Tennison)…
160 ans plus tard les 532 habitants de Famille travaillent dans Vallée-Cercle à la survie de leur communauté dans laquelle la consanguinité fait des ravages en opposant normaux, faces-de-rats et pieds-griffus, tous répartis en huit groupes qui vivent comme les sociétés premières de chasse et de cueillette : les Lampionrouges, les Ailes-de-Rat, les Crique-aux-Poissons, les Picarbre, les Brooklyn, les Londres, les Bleus et les Fleurs-Etoiles…
Après être devenu le héros d'un jour en abattant un prédateur indigène, John Lampionrouge se sent en droit d'exprimer à voix haute ses inquiétudes quand à l'avenir de la communauté de plus en plus nombreuse face à des ressources de plus en plus limitées… Oui mais non, la tradition avant tout dit le Conseil des Anciens ! Ils poussent ainsi John à commettre l'irréparable, lui qui va être banni avant de fonder sa propre tribu avec ceux qui partagent son point de vue…

"Dark Eden" est un "Robinson Crusoé" collectif et générationnel, d'où son côté universel, à la fois un récit d'exploration et un récit de rébellion. Avec cette communauté ayant régressé au stade des peuples premiers comme le souligne l'emploi d'un vocabulaire et d'une grammaire spécifiques (ce qui est ponctuellement facile voire relou, toutefois rien de bien méchant finalement genre se tommyfier = se suicider, Secret-Air = secrétaire ou l'âme-erre = la mer), on est carrément plus dans un récit préhistorique que dans un récit de science-fiction… Mais qu'importe, la vraie force du roman c'est qu'en dépit de péripéties n'offrant rien de très palpitant on peut le considérer comme un page-turner : on alterne rapidement les points de vue de John Lampionrouge et de Tina Picarbre, agrémentés de quelques points de vue extérieurs pour mettre en lumière tel ou tel point de l'intrigue ou de l'univers… du coup on ne s'ennuie jamais et on se prend vite de sympathie pour ce groupe d'adolescents qui plus que l'éternelle querelle des Anciens et des Moderne rejoue le drame récurrent de l'humanité partagée entre ceux qui ne veulent rien changer du tout par peur de tout, ceux qui veulent améliorer les choses pour tout le monde et ceux qui veulent améliorer les choses pour eux seuls (évidement ces derniers vouent aux gémonies leurs prédécesseurs alors qu'ils leur empruntent tout au presque : c'est la stratégie habituelle des gros crevards… VDM dans un MDM).
Les lecteurs de "Rahan" reconnaîtront assez vite l'opposition entre conservateurs (les partisans de Caroline), progressistes qui essayent d'instaurer la démocratie (les partisans de John, à mi chemin entre Moïse et le Fils des Âges Farouches) et homines crevarices qui essayent d'imposer le fascisme (les partisans de David, qui parlent de Jésus pour mieux agir comme Hitler).

Un peu surpris, mais agréablement surpris, qu'en 2012 Chris Beckett écrive un roman qui pourrait être la suite du "Ravage" de René Barjavel (1943), de "La Planète des singes" de Pierre Boule (1963) ou du "Malevil" de Robert Merle (1972)… La fin est donc prévisible et laisse sur sa faim, mais cela fait partie du truc car on sent bien l'influence des Grands Anciens…
Adam et Eve, Jardin d'Eden, arbre de la connaissance, mais aussi Caïn et Abel, Exode et recherche de la Terre Promise… On sent vite qu'on puise dans la Bible pour mieux critiquer le principe même de l'autorité transcendante qui en est le fondement. John Lampionrouge veut s'émanciper des croyances et des superstitions qui empêchent l'humanité d'avancer, car comme le disait Jean Jaurès difficile d'oeuvrer au progrès de l'humanité quand on se réfère systématiquement à une divinité inaccessible qui détiendrait toutes les vérités (à laquelle d'ailleurs on peut faire dire tout et n'importe quoi, puisque celle-ci ne se manifeste jamais). de plus le concept d'autorité transcendante peut facilement être remplacé par celui d'idéologie : "Torah", "Bible", "Coran", "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations", "Manifeste du parti communiste"… ont les mêmes effets sur leurs adorateurs !
Ce n'est pas un hasard si la nouvelle Eve est une afro-anglaise de Londres et le nouvel Adam un juif new-yorkais… L'auteur insiste ainsi beaucoup sur la manipulation de l'histoire et de la mémoire et effectivement son récit est une démonstration de l'évhémérisme : les naufragés du ciel sont devenus des dieux, l'unique femme survivante une déesse mère, la Terre un paradis à retrouver dont on attend désespérément monts et merveilles…
D'un côté l'auteur met en avant le thème de l'émancipation, accompagné du progrès en général et de la soif de connaissances en particulier à travers les personnages de John et Jeff, et d'un autre côté il met également en avant la confiscation du pouvoir accompagnée de violences et jalousies donc de trahisons… Genre cette connasse de Lucy Lu qui fait dire au Peuple des Ombres tout ce dont à envie David Lampionrouge, l'homme fort du moment… (Et contrairement à Mrs. Carmody de "The Mist", cette illuminée 100% hypocrite ne crève pas… Il n'y a pas de justice !). L'auteur montre ainsi entre autres choses les tensions qui accompagnent le passage d'une société matriarcale à une société patriarcale…


D'habitude en SFFF, je ne suis pas vraiment fan des illustrations de couverture minimalistes… Mais là, avec un mise en page aérée donc agréable et la bonne traduction de Laurent Philibert–Caillat, le livre objet est réussi car sobre et classe. Bref, un livre bien-bien… ^^
Amis babeliotes, sachons attendre patiemment le tome 2 intitulé "Mother Eden"…
Commenter  J’apprécie          8718



Ont apprécié cette critique (79)voir plus




{* *}