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Citations sur Molloy (69)

Je dus m'endormir, car voilà qu'une énorme lune s'encadrait dans la fenêtre. Deux barreaux la partageaient en trois parties, dont la médiane restait constante tandis que peu à peu la droite gagnait ce que perdait la gauche. Car la lune allait de gauche à droite ou la chambre allait de droite à gauche, ou les deux à la fois peut-être, ou elles allaient toutes les deux de gauche à droite, seulement la chambre moins vite que la lune, ou de droite à gauche, seulement la lune moins vite que la chambre. Mais peut-on parler de droite et de gauche dans ces conditions ? Que des mouvements d'une grande complexité fussent en train, cela semblait certain, et cependant quelle chose simple apparemment que cette grande lumière jaune qui voguait lentement derrière mes barreaux et que mangeait peu à peu le mur opaque, jusqu'à l'éclipser. Et alors sa calme course s'inscrivait sur les murs, sous forme de clarté rayée de haut en bas et que pendant quelques instants firent trembler des feuilles, si c'était des feuilles, et qui disparut à son tour, me laissant dans l’obscurité. Qu'il est difficile de parler de la lune avec retenue ! Elle est si con la lune. Ça doit être son cul qu'elle nous montre toujours. On voit que je m'intéressait à l'astronomie, autrefois. Je ne veux pas le nier.
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A qui n'a rien il est interdit de ne pas aimer la merde.
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C'est le matin qu'il faut se cacher. Les gens se réveillent, frais et dispos, assoifés d'ordre, de beauté et de justice, exigeant la contrepartie. Oui, de huit à neuf jusqu'à midi, c'est le passage dangereux. Mais vers midi cela se tasse, les plus implacables sont repus, ils rentrent, tout n'est pas parfait, mais on a fait du bon travail, il y a eu des rescapés mais ils ne sont pas bien dangereux, chacun compte ses rats. Au début de l'après-midi cela peut reprendre, après le banquet, les célébrations, les congratulations, les allocutions, mais ce n'est rien à côté de la matinée, du sport pas plus. Évidemment, vers les quatre ou cinq heures il y a l'équipe de nuit, les vigiles, qui commence à s'agiter. Mais c'est déjà la fin du jour, les ombres se rallongent, les murs se multipient, on rase les murs (...) Puis c'est la vraie nuit, dangereuse elle aussi, mais favorable à qui la connaît. (...) Non, elle n'est pas fameuse non plus, la nuit, mais à côté du jour elle est fameuse, et notamment à côté de la matinée elle est indiscutablement fameuse. Car l'épuration qui s'y poursuit est assurée par des techniciens, pour la plupart. Ils ne font que ça, le gros de la population n'y participe pas, préférant dormir, toutes choses considérées. On lynche le jour, car le sommeil est sacré, et surtout le matin, entre le petit déjeuner et le repas de midi.
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Je suis dans la chambre de ma mère. C'est moi qui y vis maintenant. Je ne sais pas comment j'y suis arrivé. Dans une ambulance peut-être, un véhicule quelconque certainement.
(Incipit)
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Il y avait si longtemps que je vivais loin des mots, vous comprenez, qu'il me suffisait de voir ma ville par exemple, puisqu'il s'agit ici de ma ville, pour ne pas pouvoir, vous comprenez. C'est trop difficile à dire pour moi. De même la sensation de ma personne s'enveloppait d'un anonymat souvent difficile à percer, nous venons de le voir je crois. Et ainsi de suite pour les autres choses qui me bafouaient les sens. Oui, même à cette époque, où tout s'estompait déjà, ondes et particules, la condition d'objet était d'être sans nom, et inversement. Je dis ça maintenant, mais au fond qu'en sais-je maintenant, que grêlent sur moi les mots glacés de sens et que le monde meurt aussi, lâchement, lourdement nommé? J'en sais ce que savent les mots et les choses mortes et ça fait une jolie petite somme, avec un commencement, un milieu et une fin, comme dans les phrases bien bâties et dans la longue sonate des cadavres.
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Il était aussi content que moi, je crois. Son cœur battait sous ma main, et cependant, ma main était loin de son cœur.
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Certaines questions d’ordre théologique me préoccupaient bizarrement. En voici quelques-unes.
1° Que vaut la théorie qui veut qu’Ève soit sortie, non pas de la côte d’Adam, mais d’une tumeur au gras de la jambe (cul ?) ?
2° Le serpent rampait-il ou, comme l’affirme Comestor, marchait-il debout ?
3° Marie conçut-elle par l’oreille, comme le veulent saint Augustin et Adobard ?
4° L’antéchrist combien de temps va-t-il nous faire poireauter encore ?
5° Cela a-t-il vraiment de l’importance de quelle main on s’absterge le podex ?
6° Que penser du serment des Irlandais proféré la main droite sur les reliques des saints et la gauche sur le membre viril ?
7° La nature observe-t-elle le sabbat ?
8° Serait-il exact que les diables ne souffrent point des tourments infernaux ?
9° Théologie algébrique de Craig. Qu’en penser ?
10° Serait-il exact que saint Roch enfant ne voulait téter ni les mercredis ni les vendredis ?
11° Que penser de l’excommunication de la vermine au seizième siècle ?
12° Faut-il approuver le cordonnier italien Lovât qui, s’étant châtré, se crucifia ?
13° Que foutait Dieu avant la création ?
14° La vision béatique ne serait-elle pas une source d’ennui, à la longue ?
15° Serait-il exact que le supplice de Judas est suspendu le samedi ?
16° Si l’on disait la messe des morts pour les vivants ?
Et je me récitais le joli Pater quiétiste, Dieu qui n’êtes pas plus au ciel que sur la terre et dans les enfers, je ne veux ni ne désire que votre nom soit sanctifié, vous savez ce qui vous convient. Etc. Le milieu et la fin sont très jolis.
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Qu’il est difficile de parler de la lune avec retenue ! Elle est si con, la lune. Ca doit être son cul qu’elle nous montre toujours. On voit que je m’intéressais à l’astronomie, autrefois. Je ne veux pas le nier. Puis ce fut la géologie qui me fit passer un bout de temps. Ensuite c’est avec l’anthropologie que je me fis brièvement chier et avec les autres disciplines, telle la psychiatrie, qui s’y rattachent, s’en détachent et s’y rattachent à nouveau, selon les dernières découvertes. Ce que j’aimais dans l’anthropologie, c’était sa puissance de négation, son acharnement à définir l’homme, à l’instar de Dieu, en termes de ce qu’il n’est pas. Mais je n’ai jamais eu à ce propos que des idées fort confuses, connaissant mal les hommes et ne sachant pas très bien ce que cela veut dire, être. Oh j’ai tout essayé. Ce fut enfin à la magie qu’échut l’honneur de s’installer dans mes décombres, et encore aujourd’hui, quand je m’y promène, j’en retrouve des vestiges. Mais le plus souvent c’est un endroit sans plan ni limite et dont il n’est jusqu’aux matériaux qui ne me soient incompréhensibles, sans parler de leur disposition. Et la chose en ruines, je ne sais pas ce que c’est, ce que c’était, ni par conséquent s’il ne s’agit pas moins de ruines que de l’inébranlable confusion des choses éternelles, si c’est là l’expression juste.
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A qui n'a rien il est interdit de ne pas aimer la merde.
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[...] ... Ma mère me voyait volontiers, c'est à dire qu'elle me recevait volontiers, car il y avait belle lurette qu'elle ne voyait plus rien. Je m'efforcerai d'en parler avec calme. Nous étions si vieux, elle et moi, elle m'avait eu si jeune que cela faisait comme un couple de vieux compères, sans sexe, sans parenté, avec les mêmes souvenirs, les mêmes rancunes, la même expectative. Elle ne m'appelait jamais fils, d'ailleurs je ne l'aurais pas supporté, mais Dan, je ne sais pourquoi, je ne m'appelle pas Dan. Dans était peut-être le nom de mon père, oui, elle me prenait peut-être pour mon père. Dan, tu te rappelles le jour où j'ai sauvé l'hirondelle. Dan, tu te rappelles le jour où tu as enterré la bague. Voilà de quelle façon elle me parlait. Je me rappelais, je me rappelais, je veux dire que je savais à peu près de quoi elle parlait, et si je n'avais pas toujours personnellement participé aux incidents qu'elle évoquait, c'était tout comme. Moi je l'appelais Mag, quand je devais lui donner un nom. Et si je l'appelais Mag c'était qu'à mon idée, sans que j'eusse su dire pourquoi, la lettre g abolissait la syllabe ma, et pour ainsi dire crachait dessus, mieux que toute autre lettre ne l'aurait fait. Et en même temps je satisfaisais un besoin profond et sans doute inavoué, celui d'avoir une ma, c'est-à-dire une maman, et de l'annoncer, à haute voix. Car avant de dire mag on dit ma, c'est forcé. Et da, dans ma région, veut dire papa. D'ailleurs pour moi la question ne se posait pas, à l'époque où je suis en train de me faufiler, je veux dire la question de l'appeler ma, Mag ou la comtesse Caca, car il y avait une éternité qu'elle était sourde comme un pot. Je crois qu'elle faisait sous elle, et sa grande et sa petite commission, mais une sorte de pudeur nous faisait éviter ce sujet, et je ne pus jamais en acquérir la certitude. Du reste cela devait être bien peu de chose, quelques crottes de bique parcimonieusement arrosées tous les deux ou trois jours. La chambre sentait l'ammoniaque, oh pas que l'ammoniaque, mais l'ammoniaque, l'ammoniaque. Elle savait que c'était moi, à mon odeur. Son vieux visage parcheminé et poilu s'allumait, elle était contente de me sentir. Elle articulait mal, dans un fracas de râtelier, et la plupart du temps ne se rendait pas compte de ce qu'elle disait. Tout autre que moi se serait perdu dans ce babil cliquetant, qui ne devait s'arrêter que pendant ses courts instants d'inconscience. D'ailleurs je ne venais pas pour l'écouter. Je me mettais en communication avec elle en lui tapotant le crâne. Un coup signifiait oui, deux non, trois je ne sais pas, quatre argent, cinq adieu. J'avais eu du mal à dresser à ce code son entendement ruiné et délirant, mais j'y étais arrivé. Qu'elle confondît oui, non, je ne sais pas et adieu, cela m'était indifférent, je les confondais moi-même. Mais qu'elle associât les quatre coups avec autre chose qu'avec l'argent, voilà ce à quoi il fallait obvier à tout prix. Pendant la période de dressage donc, pendant que lui frappais les quatre coups sur le crâne, je lui fourrais un billet de banque sous le nez ou dans la bouche. Petit naïf que j'étais ! Car elle semblait avoir perdu, sinon la notion de la mensuration absolument, tout au moins la faculté de compter au-delà de deux. Il y avait trop loin pour elle, comprenez-vous, de un à quatre. Arrivée au quatrième coup elle se croyait seulement au deuxième, les deux premiers s'étant effacés de sa mémoire aussi complètement que s'ils n'avaient jamais été ressentis, quoique je ne voie pas très bien comment une chose jamais ressentie peut s'effacer de la mémoire, et pourtant cela arrive couramment. Elle devait croire que je lui disais tout le temps non, alors que rien n'était plus loin de mes intentions. Eclairé par ces raisonnements je cherchai, et finis par trouver, un moyen plus efficace pour insérer dans son esprit l'idée d'argent. Il constituait à substituer aux quatre coups de mon index un ou plusieurs (selon mes besoins) coups de poing, sur son crâne. Ca, elle le comprenait. D'ailleurs je ne venais pas pour l'argent. Je lui en prenais, mais je ne venais pas pour cela. Je ne lui en veux pas trop, à ma mère. Je sais qu'elle fit tout pour ne pas m'avoir, sauf évidemment le principal, et si elle ne réussit jamais à me décrocher, c'est que le destin me réservait une autre fosse que celle d'aisance. Mais l'intention était bonne et cela me suffit. Non, cela ne me suffit pas, mais je lui en tiens compte, à ma mère, des efforts qu'elle fit pour moi. ... [...]
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