De 1553 à 1557,
Joachim du Bellay vit à Rome, auprès de son cousin le Cardinal Jean du Bellay dont il est l'intendant. Durant cette période, il côtoie de près le pouvoir ecclésiastique et la vie publique romaine. Ce n'est qu'en 1558, après la disgrâce du Cardinal du Bellay, qu'il rentre en France. C'est cette même année qu'il fait publier deux recueils écrits à Rome : Antiquités de Rome et
Les Regrets. Deux ans plus tard,
Joachim du Bellay disparaissait à l'âge de 37 ans.
Dans un récit autobiographique,
Les Regrets de du Bellay dessinent une histoire : celle d'un exil plus ou moins contraint, la rapide déception de ne plus trouver « Rome en Rome », une tâche écrasante et ennuyeuse au milieu d'une cour papale violente et dépravée ; la douleur de l'éloignement, le regret de sa terre natale (
Du Bellay est originaire de l'Anjou), la privation d'amis mais aussi la difficulté permanente d'écrire… Et puis viennent les déceptions du retour en France : la Cour royale, égoïste et ingrate, les problèmes personnels…
Toutes ces impressions livrées et ces évènements vécus font un autoportrait saisissant de l'auteur : un homme dévoué, un esprit lettré et critique, attentif à tout ce qui l'entoure, un homme épris de morale et de vertu, fort en amitié. C'est aussi un être nostalgique, parfois tenté par la résignation :
« J'aime la liberté, et languis en service,
Je n'aime point la cour, et me faut courtiser,
Je n'aime la feintise, et me faut déguiser,
J'aime simplicité, et n'apprends que malice :
Je n'adore les biens, et sers à l'avarice,
Je n'aime les honneurs, et me les faut priser,
Je veux garder ma foi, et me la faut briser,
Je cherche la vertu, et ne trouve que vice :
Je cherche le repos, et trouver ne le puis,
J'embrasse le plaisir, et n'éprouve qu'ennuis,
Je n'aime à discourir, en raison je me fonde :
J'ai le corps maladif, et me faut voyager,
Je suis né pour la Muse, on me fait ménager :
Ne suis-je pas, Morel, le plus chétif du monde ? »
Les sonnets qui composent
Les Regrets empruntent à l'élégie (l'arrivée à Rome, le désenchantement et l'ennui qui s'en suivent), à la satire (pour peindre les événements vécus, les personnages des papes et toute leur cour, avec ses conseillers, ses courtisans et ses comploteurs, et la vie publique au dehors) et enfin, à l'éloge (nombreux sont les hommages rendus à ses amis tels
Ronsard, Morel, Paschal, Dagaut, Gordes et Thiard, ou encore à Marguerite de France ou au Roi Henri II - tous dédicataires d'un ou plusieurs poèmes) pour décrire les années passées à Rome
« Maintenant je pardonne à la douce fureur
Qui m'a fait consumer le meilleur de mon âge,
Sans tirer autre fruit de mon ingrat ouvrage
Que le vain passe-temps d'une si longue erreur
Maintenant je pardonne à ce plaisant labeur,
Puisque seul il endort le souci qui m'outrage,
Et puisque seul il fait qu'au milieu de l'orage,
Ainsi qu'auparavant, je ne tremble de peur.
Si les vers ont été l'abus de ma jeunesse,
Les vers seront aussi l'appui de ma vieillesse,
S'ils furent ma folie, ils seront ma raison,
S'ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
S'ils furent mon venin, le scorpion utile
Qui sera de mon mal la seule guérison. »
Elle fut belle la Muse qui inspira à
Joachim du Bellay une si belle poésie. Une poésie certes marquée par le style et les règles d'écriture de la Renaissance, par une grande érudition, mais qui fut en même temps très personnelle, comme un Je partagé entre vécu et imaginaire.
Une poésie qui a traversé le temps mais qui arrivée jusqu'à nous, jamais n'a vu sa beauté altérée.
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