Il y a quelques années, les images de la jungle de Calais faisaient la une des journaux télévisés. Beaucoup y voyaient une chose qu'ils croyaient disparu dans les pays riches ; mais pour certains elles ne faisaient que rappeler de forts mauvais souvenirs. Car on l'a oublié, mais en France le phénomène des bidonvilles, qui explosa après la guerre suite aux destructions, persista extrêmement longtemps. Au début des années 70, environ 100 000 personnes y vivaient encore ; celui de Nanterre, le plus grand, comptait jusqu'à 14 000 habitants – soit l'équivalent de Guéret.
Cette période est peu documentée, et laissa peu de traces dans la littérature. A ma connaissance (mais je suis preneur d'informations), les rares livres de l'époque qui en parlent sont plutôt des livres pour enfants, destinés à faire comprendre aux petits lecteurs de milieux plutôt aisés quelle chance était la leur. Pas très étonnant donc de voir
Paul Berna, grand nom de la littérature jeunesse d'après-guerre, et l'un des rares à être encore réédité – principalement ‘
le cheval sans tête', son oeuvre la plus célèbre. Les héros en étaient des enfants issus de quartiers très populaires, cette fois on plonge carrément en dessous.
Les lieux sont imaginaires, mais la description correspond grosso modo au bidonville français type de l'époque : une petite ville de deux ou trois milles habitants dans des installations de fortune allant de la tente à la maisonnette de planches en passant par le camping-car, quelque part dans la banlieue parisienne, sur un terrain vague enclavé entre des entrepôts, des usines et une nationale où passe un flot continu de camions. Un ensemble disparate de nationalité survit là, chacune dans son coin : roms, italiens, portugais, français, algériens, africains… Plus les apatrides, les isolés, les paumés, et parmi ces derniers un bon paquet de gamins des rues. L'histoire suit l'un d'eux, Cadi, nouveau venu débarquant d'un bidonville expulsé. Ses débuts sont brutaux, mais il parvient à faire se faire une place, et se joint à ses nouveaux amis dans leur lutte contre le ferrailleur voisin, qui les raquette…
Paul Berna brosse un tableau de la vie des bidonvilles assorti d'une véritable petite analyse sociologique. C'est un environnement qu'il semble réellement connaitre, il fournit des détails précis sur son organisation sociale, mais aussi ses aménagements de fortune pour amener l'eau ou se débarrasser des déchets. Si vous tombez dessus par hasard à lire, donc, pour redécouvrir un passé peu reluisant mais pas si lointain. Les médias modernes ont peu de mémoire, mais la littérature pour enfant en a beaucoup.