Parti sans laisser d'adresse.
Débuter les carnets d'André Blanchard avec en tête le décès de l'auteur survenu le 29 septembre 2014 à l'âge de 63 ans, c'est à coup sûr encaisser un sale gnon avec l'arrière-goût tenace de rester sur sa faim dans l'avenir. Il est archi faux de croire que les gens sont remplaçables. Ses goûts, son oeil, sa plume demeurent uniques. Il n'y aura pas d'autre critique littéraire comme lui, niché à Vesoul, en Franche-Comté, surveillant patenté d'une galerie d'art, vivant, courant les vide-greniers et les solderies pour dénicher des bons bouquins, lisant, pestant, s'enthousiasmant, écrivant. Ses livraisons régulières étaient toujours réjouissantes avec des piques volontiers acerbes, des enthousiasmes communicatifs. L'ultime carnet du preux chevalier des lettres démarre par une remarque printanière avec le renouveau de la nature que le passage des saisons n'entame jamais au contraire de l'homme. Juste après, on apprend qu'il aurait pu se crever un oeil avec des ciseaux par une maladresse déconcertante. Viennent ensuite des petites joies confiées en passant au lecteur, glanées chez
Mona Ozouf,
Hubert-Félix Thiéfaine,
Léautaud,
Balzac, Green,
Flaubert,
Proust… L'intellectuel footeux
Lilian Thuram se fait tacler tout comme le chanteur
Alain Souchon qui se compare à Céline sans sourciller. On apprend aussi que sous le déluge de feu, « les fennecs, terrorisés, venaient se réfugier » près des soldats enfouis dans le sable lors de la bataille de Bir Hakeim. Il y a encore des salves réjouissantes car chantournées envers l'inquiétante
Marcela Iacub ou le multirécidiviste pédagogue patenté
Philippe Meirieu, ou bien
Philippe Claudel, « retors… direction le putassier »,
Pierre Assouline « spécialiste du remplissage », etc. La distinction faite parmi les écrits de
Guy Debord, théoriques et polémiques, est pertinente. Fustigeant les premiers, privilégiant les seconds, il écrit : « […] il a une façon définitive de poser la phrase afin qu'elle tombe d'aplomb, et pile dans le mille, c'est-à-dire là où l'ennemi ne se méfiait pas. C'est ainsi que les autres sont d'abord gens à passer au fil de la plume ». le recueil se clôture magistralement avec
Madame Bovary à la poursuite de toutes les ivresses afin d'essayer de conjurer la « pourriture instantanée des choses où elle s'appuyait ». Les remarques tirées de la vie quotidienne, politique, littéraire, artistique d'André Blanchard sont autant de facettes qui construisent une vision kaléidoscopique colorée et vivante. Les pages filent trop vite et si les courts paragraphes permettent de multiples retours en arrière et des relectures toujours plus goûteuses à chaque fois, la fin se profile avec son « horrible gueule de grenouille bancroche ». L'esprit Blanchard demeure et flotte au-dessus de l'alambic des jours. C'est la part des anges.