N'importe où... Plein sud...

D’un coup, j’aperçois aussi deux enfants qui giclent en plein soleil sur le perron, le nez au vent, pour demander ce qui arrive et pourquoi leur papa est tout bleu et c’est qui la dame avec un pistolet et pourquoi elle a tiré dans le mur de la maison et est-ce que quelqu’un va aller en prison... Derrière eux, j’aperçois un grand type à la peau noire et à moitié nu dans un maillot de bain ridicule. Quasiment hilare ! Comme s’il n’avait jamais rien vu de plus drôle que deux types en train de se foutre sur la gueule et une demi-sauvage ensanglantée occupée à utiliser un flingue pour les séparer. Enfin, j’aperçois une charmante petite métisse qui mastique un chewing-gum avec férocité et reste, Colin mis à part, la seule personne adulte à ne pas me regarder d’un air halluciné. En fait, qui ne me regarde pas du tout. En fait, qui préfère couver Joce d’un œil que je qualifierais d’attendri. Mais sans doute ma perception des choses n’est-elle pas très aiguë à ce moment précis.

Elle secoue sa cendre en haussant les épaules. Par la fenêtre entre-ouverte, nous parviennent les premiers chants d'oiseaux perturbés seulement par les coups de klaxon réguliers d’un abruti qui s’est sans doute mis dans la tête de réveiller tout le quartier. Je me sens mou et vieux et flasque, pourtant je trouve encore, en la regardant, l'énergie de lancer à nouveau mon grappin vers le sommet de ses remparts.
- Ecoute, on pourrait peut-être en discuter une bonne fois pour toutes...
En guise de réponse, son briquet glisse à son tour jusqu'à moi. Mais son regard reste résolument tourné dans la direction contraire. J'attends un peu. Un signe de détente. Un espoir. Mais rien ne vient. J'allume ma cigarette.
- Je pensais pas avoir une fille obtuse à ce point, je lâche, une fois les poumons remplis de fumée mentholée.
- Je pensais pas avoir un père capable de sauter ma meilleure amie, elle réplique du tac au tac, me vissant pour la première fois son regard en plein front.

Et puis, caché sous le bonheur, tout au fond du carton, le petit cahier noir. C’est la première fois que je le rencontre, mais curieusement, j’ai l’impression de le connaître. Quand je l’ouvre au hasard, découvrir l’écriture de mon père ne me surprend pas. Je la reconnais facilement, l’écriture de mon père, surtout grâce aux chèques qu’il me sert tous les mois. Je prends une phrase au hasard. Une seule. Il n’y aura pas de deuxième chance.

Ma faiblesse est la faiblesse de tous les hommes. Je n’ai pas en plus la prétention de me croire unique. Et cette idée ne me rassure pas...