Très souvent mentionné dans les bibliographies, Sangre judia du journaliste Pere Bonnin est un curieux ouvrage sur les Espagnols d'ascendance juive et l'antisémitisme chrétien. Questionnement sur l'identité juive de l'auteur, l'ouvrage a pour objectif de susciter la réflexion sur l'apartheid social provoqué par l'antisémitisme catholique en Espagne. Mêlant considérations religieuses et recherche historique, l'essai de Bonnin a provoqué un grand intérêt (4ème édition déjà) et de nombreuses réactions nationales et internationales, favorables et défavorables, essentiellement dues aux chapitres sur les relations du pays avec Israël et la cause palestinienne.
L'ouvrage mérite qu'on s'y attarde car il aborde des thèmes intéressants. En voici quelques uns.
- L'origine de la limpieza de sangre et ses répercussions sur l'histoire et le développement de l'Espagne. Expression difficilement traduisible tant elle est connotée (Titre de la 2ème aventure du capitaine Alatriste de Perez-Reverte, il devient en français Les Bûchers de Bocanegra) qui oblige les juifs et les musulmans à se convertir et à tous les Espagnols à fournir un certificat de "Pureté du sang" qui fait d'un individu un "cristiano viejo" (Sancho Panza à Don Quichotte: "Je suis de vieux chrétiens, et pour devenir comte c'est assez"). Cette obsession du sang gangrènera la société espagnole jusqu'à son abrogation au XIX ème siècle.
- La communauté juive et la guerre civile: les juifs espagnols prirent le parti de la République. La constitution de la II République de 1931 fut la plus laïque et la plus démocratique promulguée en Espagne. Malheureusement, la communauté souffrit aussi par la suite de la croisade menée par l'église contre les "rouges" et les laïques: saccage de la synagogue de Barcelone par les troupes nationales en 1939, fermeture des synagogues de Madrid et de Barcelone, obligation du baptême de tous les enfants sous peine de non-report des naissances dans les registres de l'Etat civil...
- Quelques lignes intéressantes sur l'or nazi en Espagne et l'implantation de bases militaires américaines sur la péninsule en échange d'abandon de poursuites.
- Un petit lexique sur le vocabulaire antisémite de la langue castillane (marranada, cohen, sayon...)
- Une longue liste de patronymes tirés des registres de l'inquisition qui indiquaient que la personne était juive ou marrane (la force du patronyme est telle que le ministre Zapatero souvent la cible de l'extrême-droite pour avoir un grand-père officier républicain l'était aussi pour posséder un nom répertorié comme marrane). Cette dernière partie de l'ouvrage comprend une bibliographie.
Sangre judia montre à quel point l'obsession de la race de la société espagnole bouleversa son développement et ses relations avec les autres nations. L'essai dépeint également l'hypocrisie d'un système basé sur la nécessité de produire des certificats de pureté du sang pour obtenir une place, une visibilité, une légitimité en son sein. Car tout s'achète et comme le dit le dicton, "Junta dinero y nobleza y obtendrás buena pareja"."
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