Citations sur Enquêtes - Entretiens (19)
Le monde est, pour l'Européen, un cosmos, à l'intérieur duquel chacun est en accord intime avec la fonction qu'il exerce ; pour l'Argentin, le monde est un chaos. L'Européen et l'Américain du Nord jugent qu'un livre doit être bon, dès lors qu'il a mérité un prix quelconque ; l'Argentin admet qu'il puisse ne pas être mauvais, malgré le prix.
Schopenhauer a déjà écrit que la vie et les rêves sont les feuillets d'un même livre : les lire en ordre, c'est vivre ; les feuilleter, rêver.
Proposer aux hommes la lucidité dans une ère bassement romantique, dans l'ère mélancolique du nazisme et du matérialisme dialectique, des augures de la secte de Freud et des commerçants du surréalisme, telle est la mission méritoire qu'a accomplie (et accomplit encore) Valéry.
Pourquoi sommes-nous inquiets que la carte soit incluse dans la carte et les mille et une nuits dans le livre des "Mille et une nuits" ? Que Don Quichotte soit le lecteur du "Quichotte" et Hamlet le spectateur d'"Hamlet" ? Je crois en avoir trouvé la cause : de telles inversions suggèrent que si les personnages de fiction peuvent être lecteurs ou spectateurs, nous, leurs lecteurs ou leurs spectateurs, pouvons aussi être des personnages fictifs. En 1833, Carlyle a noté que l'histoire universelle est un livre sacré, infini que tous les hommes écrivent et lisent et tâchent de comprendre, et où aussi, on les écrit.
Herbart a aussi a joué avec cette multiplication de l'être. Avant d'atteindre l'âge de vingt ans, il était arrivé à la conclusion que le moi est inévitablement infini, car le fait de se savoir soi-même suppose un autre moi qui se sait aussi lui-même, et ce moi suppose à son tour un nouveau moi.
Le monde, selon Mallarmé, n'existe que pour un livre ; selon Bloy, nous sommes les versets, les paroles ou les lettres d'un livre magique, et ce livre incessant est la seule chose qui existe au monde : plus exactement, est le monde.
Est classqiue le livre qu'une nation ou un groupe de nations ou les siècles ont décidé de lire comme si tout dans ses pages était délibéré, fatal, profond comme le cosmos, susceptible d'interprétations sans fin.
Pourquoi sommes-nous inquiets que la carte soit incluse dans la carte et les mille et une nuits dans le livre des "Mille et une nuits" ? Que Don Quichotte soit lecteur du "Quichotte" et Hamlet spectateur d'"Hamlet "? Je crois en avoir trouvé la cause : de telles inversions suggèrent que si les personnages d'une fiction peuvent être lecteurs ou spectateurs, nous, leurs lecteurs ou spectateurs, pouvons être des personnages fictifs.
La littérature est chose inépuisable, pour la raison suffisante et simple qu'un seul livre l'est.
La musique, les états de félicité, la mythologie, les visages travaillés par le temps, certains crépuscules et certains lieux veulent nous dire quelque chose, et nous n'aurions pas dû le laisser perdre, ou sont sur le point de le dire ; cette imminence d'une révélation, qui ne se produit pas, est peut-être le fait esthétique.
(La Muraille et les Livres)