Sous le charme !
Depuis dix ans, Pascal Dérivat, le narrateur, habite
le mas Théotime, hérité d'un grand-oncle, au coeur d'une nature provençale souvent assommée de chaleur. Solitaire et taciturne, il herborise et confectionne un herbier. Il a confié l'exploitation de ses terres à un couple de métayers, le vieil Alibert et sa femme, "modelés aux exigences de la terre" (page 44), qu'il aide néanmoins lorsque la tâche est trop lourde.
En raison de l'étendue des surfaces à exploiter, le travail est rude et les distractions rares. On devine la présence humaine à la fumée qui s'échappe de la cheminée des fermes. On attache de l'importance aux relations de voisinage, soit pour l'entraide qu'elles peuvent apporter, soit, au contraire, pour les désagréments qu'elles font subir. C'est ainsi qu'à proximité, la ferme de la Jassine abrite Clodius, un cousin, qui, jaloux de Pascal, "traîne son tourment de mauvais fils de la terre" (page 175) et lui occasionne de multiples tracas.
Cette ambiance calme et laborieuse est bientôt perturbée, coup sur coup, d'une part par l'arrivée de Geneviève Métidieu, une cousine de Pascal, dont la présence et le souvenir vont irradier le roman, et d'autre part par l'assassinat de Clodius. Pourquoi ? Comment ? C'est l'intrigue de ce roman à la fois apaisant et envoûtant.
Le mas Théotime, c'est l'histoire d'une maison. Digne de figurer dans une anthologie, l'incipit plante le décor et donne, en quelque sorte, le "la" du roman. D'abord appelée le "mas" et présentée comme un refuge et un abri, la maison, au fil du roman, n'est plus désignée que par le prénom, Théotime, comme s'il s'agissait d'une personne. Elle est alors décrite avec les qualités qu'on attribue en général aux personnes : sérénité, grandeur, honnêteté, amitié, bonté.
Le mas Théotime, c'est ensuite l'histoire des terres qui l'entourent. "Ce petit monde dépendait de moi, qui dépendait de Théotime" (page 284).
Henri Bosco excelle dans la description des paysages, au gré des saisons. Il distille une atmosphère mystérieuse qui semble surgir de la nature omniprésente. On retrouve d'ailleurs les quatre éléments chers aux philosophes de l'Antiquité : la terre, l'eau, représentée par la source, l'air que symbolise Geneviève, une créature "aérienne" (page 36) et le feu, non seulement les incendies que Clodius allume, mais aussi le feu qui, depuis si longtemps, couve pour Geneviève dans l'aridité du coeur de Pascal (page 104), mais qui ne s'embrasera pas.
En effet,
le mas Théotime, c'est surtout l'histoire de tourments amoureux. L'histoire d'un amour d'enfance qui n'a pas su grandir, d'une attirance qui en est restée au stade du baiser volé et en restera à celui des regrets éternels. Alors que Geneviève avoue avoir peur de le perdre (page 181), Pascal n'ose pas se déclarer. Un regard vers Françoise, la fille Alibert, suffit à le troubler : "Françoise était belle et n'en savait rien" (page 55). C'est que les hommes et ces femmes de ce roman parlent peu et s'aiment avec pudeur.
Alors, oui, amis lecteurs, sur le chemin de vos lectures, poussez la porte du mas Théotime, maintenant que vous en connaissez l'adresse. Une forme soignée, une belle langue, où aucun mot ne semble avoir été écrit au hasard, au service d'un fond superbe. Vous serez sous le charme : le charme suranné d'une époque révolue où l'on vivait au rythme de la nature, et non pas des technologies ; mais surtout le charme intemporel de coeurs qui battent pour un autre et aspirent au bonheur.
Les numéros de page renvoient à l'édition Folio de 1986.