On reconnait un bouquin de Bosco à quelques thèmes, quelques éléments. D'abord, le sud de la France, les paysages de Provence (en particulier le Luberon). Ensuite, ses protagonistes sans attaches, solitaires, qu'ils soient des enfants ou des hommes d'âge mur. Par la suite, une touche de mystère (de mysticisme?), à la frontière du fantastique. Avec
Malicroix, l'on peut cocher toutes ces cases. En effet, on y retrouve le jeune Martial de Mégremut, seul héritier de son grand-oncle maternel Cornelius de
Malicroix. Contre l'avis de ses proches, il s'enfonce dans la Camargue pour y réclamer son héritage : des terres dans les marécages, quelque bétail, une masure. Mais à condition qu'il demeure là-bas, sur une ile isolée, pendant une période de temps. Évidemment, il est disposé à relever le défi.
Sur l'ile son ile, une vie simple et rustique l'attend. Il peut compter sur la compagnie de Balandran, qui s'occupe du troupeau et qui lui sert en quelque sorte de serviteur. Un type besogneux mais farouchement indépendant et solitaire. Puis, de temps à autre, la visite du passeur et du notaire. C'est tout. La vie sur cette ile est étrange. À certains moments, la pluie tombe souvent avec violence, à d'autres, un brouillard opaque l'envahit. Et que dire des durs hivers. Puis, il s'y passe d'étranges événements, par exemple, des coups de feu que l'on entend au loin. Des braconniers? Des rôdeurs furtifs… Rêve ou réalité? Parfois, Mégremut se perd dans la contemplation des eaux troubles du Rhône. « Quelquefois la vie mystérieuse de ces fonds montait à la surface, qui s'agitait, et une ondulation soulevait les eaux hautes qui la propageait jusqu'aux bords en bourrelets puissants. » (p. 45)
Cette nature, toujours présente dans l'oeuvre de Bosco, prend ici des airs de chaos organique, sauvage et violent. de dangereux? Par exemple, un jour, Mégremut est témoin de la chute d'un mulet, qui glisse et se fait emporter par le courant vers le large du fleuve où il disparait dans un tourbillon. « C'est alors que j'eus vraiment peur. Et d'une peur mystérieuse. Hors de la crainte du danger, cette peur, qui m'envahissait, comme un corps glissé dans mon corps, portait le froid. » (p. 45). Ce paysage marécageux fait changement des plateaux arides, des jolis jardins bien entretenus, des villages pittoresques, de la civilisation. Au moins, la description est toujours aussi évocatrice, sublime. Plus on avance dans la lecture du roman, plus les délires de Mégremut se confondent, deviennent surréels. « Les arbres fantomalement formaient comme une forêt sous-marine, où les ondes, douces et longues, de cette clarté, glissaient entre les branches, telles des nappes d'eau faiblement colorées par de fugitives phosphorescences. » (p. 125)
Par moments, le lecteur se surprend à partager les délires de Mégremut, ses peurs, ses angoisses. Les mystères qui l'entourent sont si tenaces qu'il serait difficile d'en être autrement. On est dans quelque chose qui ressemble à un voyage initiatique. Ceci étant dit, à ces mystères s'ajoute des éléments bien réels : une vieille brouille entre voisins, datant de la jeunesse de
Malicroix, dont l'ombre plane sur tout le roman. Rivalité, vengeance, histoire d'amour tragique… Je dois admettre ne pas avoir tout saisi de cette histoire aux ramifications multiples. Trop multiples? Il faut ajouter que l'intrigue est lente à se déployer. de plus, j'étais tellement absorbé par l'évocation de lieux, des sentiments de Mégremut, l'atmosphère qui se dégageait, que quelques pans de l'intrigue m'ont échappé. Entre autres, Anne-Madeleine, le Grelu, Oncle Rat… Il y a vraiment très peu de personnages, essentiellement, ceux mentionnés dans cette critique, mais le rôle de chacun n'est pas clair et demeure flou un bon moment.
Bref,
Malicroix est une lecture qui me laisse un peu sur ma faim (par rapport aux autres romans de Bosco) mais j'ai tout de même apprécié ce voyage énigmatique dans les paysages magiques du sud de la France.